Pays-Bas - Collection

Un portrait contesté de Rembrandt exposé à la Haye

Par Alexandre Clappe · lejournaldesarts.fr

Le 15 décembre 2022 - 1019 mots

LA HAYE / PAYS-BAS

Les spécialistes sont divisés sur l’authenticité du tableau à l’histoire particulièrement rocambolesque.

Rembrandt ou Atelier, Autoportrait au béret rouge (détail), 1643, 62,5 x 49,6 cm, huile sur toile, collection privée. © Escher in het Paleis
Rembrandt (1606-1669) ou Atelier, Autoportrait au béret rouge (détail), 1643, 62,5 x 49,6 cm, huile sur toile, collection privée.
© Escher in het Paleis

Après un curieux parcours, un tableau représentant le maître du Siècle d'or néerlandais Rembrandt van Rijn est de nouveau exposé aux Pays-Bas pour la première fois depuis plus de cinq décennies. La question « Qui a réellement peint Rembrandt avec un béret rouge ? » reste toutefois en suspens.

Depuis le mois dernier et jusqu’à fin janvier, le tableau est exposé à l’Escher in Het Paleis, un ancien palais royal de La Haye abritant aujourd’hui une collection d’œuvres de l’artiste néerlandais M.C. Escher (1898-1972). Sa présentation a été programmée pour coïncider avec la publication d’un nouveau livre, Rembrandt in a Red Beret: The Vanishings and Reappearances of a Self-Portrait, qui détaille l’histoire surprenante de cette œuvre d’art représentant l’artiste âgé alors de 37 ans.

Cette publication a été commandée par le propriétaire actuel du tableau, Johann Eller, à l’historien de l'art américain Gary Schwartz, expert de Rembrandt et convaincu que l'œuvre est un autoportrait du maître. « Il a été accepté sans condition comme un Rembrandt de 1823 à 1969 » a-t-il déclaré au New York Times. C'est une image canonique, et personne d'autre n'a peint ce genre d'images. Je ne vois tout simplement pas pourquoi on en douterait ». Mais lorsqu'il a commencé à enquêter sur le passé de l'œuvre à la demande de son propriétaire actuel, Gary Schwartz a découvert une histoire encore plus intrigante qu'une simple question d’attribution. 

La première trace connue du tableau remonte à 1823, lorsqu'il faisait partie de la collection du roi Willem II des Pays-Bas. Son fils, le prince Hendrik, l'a exposé au Het Paleis de 1850 à 1879. La toile a été reçue en héritage par Wilhelm Ernst, un grand-duc allemand, qui l'a prêtée au Musée grand-ducal de Weimar, en Allemagne, en 1909. C'est là qu'elle a été volée lors d'un cambriolage en 1921. Un vol audacieux qui impliquait d'escalader le bâtiment, de grimper sur un paratonnerre et d'entrer par une fenêtre. À l'époque, un journal allemand rapporte que les voleurs s'étaient emparés d'un « autoportrait de renommée mondiale du maître néerlandais, une œuvre de sa meilleure période, peinte un an après la célèbre Ronde de nuit d'Amsterdam ». Deux hommes auraient avoué par la suite le cambriolage, mais le tableau n'a jamais été retrouvé, malgré une récompense de 100 000 Deutsche Marks.

Rembrandt (1606-1669) ou Atelier, Autoportrait au béret rouge, 1643, 62,5 x 49,6 cm, huile sur toile, collection privée. © Escher in het Paleis
Rembrandt (1606-1669) ou Atelier, Autoportrait au béret rouge, 1643, 62,5 x 49,6 cm, huile sur toile, collection privée.
© Escher in het Paleis

On perd la trace du tableau pendant plus de vingt ans, jusqu'à ce qu'en 1945 une femme nommée Anna Cunningham se présente au Dayton Art Institute dans l'Ohio et présente le tableau au directeur du musée, Siegfried Weng. Celui-ci a alors reconnu la toile volée - alors très endommagée - et a soupçonné qu'elle avait été volée pendant la Seconde Guerre mondiale. Le mari de Cunningham, un plombier nommé Leo Ernst, avait raconté à son épouse une histoire différente. Il affirmait que lors d'une visite à New York en 1934, il s'était saoulé avec un groupe de marins allemands et avait trouvé à son réveil trois mystérieuses toiles dans sa chambre d'hôtel le lendemain matin. Il dit avoir gardé le Rembrandt dans son placard depuis.

Après avoir brièvement exposé le tableau à l'Art Institute, Weng décide de le remettre à l'Art Looting Investigation Unit de Washington, un service de l’OSS (*) devenu depuis la CIA, dirigé par Charles Henry Sawyer, l'un des Monuments Men qui avaient œuvré à la récupération du patrimoine culturel pendant la guerre. Le gouvernement confisque alors l'œuvre, qui est conservée pendant 20 ans à la National Gallery of Art de Washington.

En 1965, le président Lyndon B. Johnson décide qu'il est grand temps que les États-Unis rendent les œuvres d'art saisies pendant la guerre. Le gouvernement envoie le portrait de Rembrandt à Bonn (Allemagne de l'Ouest) en 1967, et le tableau revient finalement à un héritier de Wilhelm Ernst, qui le vend à Johann Eller en 1983.

Mais la question demeure : est-ce un tableau de Rembrandt ? Dans les années 1930, le plus grand spécialiste du peintre, Abraham Bredius, décrit Rembrandt au béret rouge dans un catalogue des œuvres du peintre comme un autoportrait de 1643 et le note comme volé. Mais en 1969 l'historien de l'art allemand Horst Gerson met à jour le catalogue de Bredius en inscrivant le tableau au béret rouge comme « un portrait par, ou d’après Ferdinand Bol », en référence à l'élève de Rembrandt.

L'année suivante, les experts du Rembrandt Research Project, un groupe de chercheurs néerlandais qui a examiné toutes les peintures connues du maître, étaient encore plus dubitatifs, suggérant une imitation du XIXe siècle. Ernst van de Wetering, un historien de l'art qui a ensuite dirigé le groupe de recherche, réexamine le tableau au Rijksmuseum et parvient à la conclusion, publiée en 2005, que le tableau a été produit par l’atelier de Rembrandt, qui vendait souvent des œuvres sous son nom même si elles étaient achevées ou entièrement peintes par ses élèves.

Jeroen Giltaij, ancien conservateur en chef des peintures de maîtres anciens au musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam, a récemment publié un nouveau catalogue de tous les Rembrandt connus et contestés, The Great Rembrandt Book : All 648 Paintings. Il indique également que le Rembrandt au béret rouge est une œuvre d'atelier.

Les attributions à Rembrandt changent avec le temps. Dans les huit catalogues publiés sur ses œuvres, « le nombre de peintures autographes a varié de 614 à 330 » indique Jeroen Giltaij. 

Plusieurs experts contactés par le New York Times qui raconte l’affaire, dont Quentin Buvelot, conservateur des maîtres anciens au Musée Mauritshuis, David de Witt, conservateur principal au Rembrandt House Museum, Petria Noble, restauratrice en chef de Rembrandt au Rijksmuseum, et Otto Naumann, ancien marchand de maîtres anciens reconnu, ont tous refusé de commenter l'attribution par Gary Schwartz.

Selon ce dernier, si les gens ne voient pas en lui un véritable Rembrandt, c'est en partie parce que le mauvais état de la peinture influence négativement l'opinion des experts sur cette pièce, ajoutant que grâce à l’exposition, d'autres spécialistes auront la possibilité de voir l'œuvre et de décider par eux-mêmes.

NOTE

(*) Office of Strategic Services (« Bureau des services stratégiques ») : agence des renseignements américains pendant la guerre, remplacée à l’issue de celle-ci par la CIA

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