Monument

Protection

Quel avenir pour les hôpitaux désaffectés ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 23 avril 2013 - 973 mots

Pris dans le grand mouvement de réforme de l’hôpital, et face à la pression foncière, le devenir de certains sites patrimoniaux majeurs demeure incertain.

Dans ce paysage hospitalier en pleine refonte où la majorité des anciennes structures sont promises à la désaffectation, aucun plan d’envergure nationale n’a été envisagé quant au devenir des édifices abandonnés. La plupart des opérations se font sans réelle vision sur le long terme. Les hôpitaux de Douai et Valenciennes (Nord), Toulouse (Haute-Garonne) ou Riom (Puy-de-Dôme) viennent ainsi d’être désaffectés sans que leur avenir soit clairement établi. Et, dans le domaine du patrimoine, le temps peut se révéler un ennemi fatal ; chaque jour qui passe abîme un peu plus l’édifice jusqu’à causer des dommages irréversibles. La destruction se révèle d’autant plus inévitable quand les travaux de réhabilitation deviennent plus coûteux qu’une nouvelle construction. C’est ce qui menace des édifices comme l’hôpital de Douai, très endommagé par des années de non-entretien. À Toulouse également, la situation devient préoccupante. Candidate malheureuse au titre de « Capitale européenne de la culture 2013 », la Ville rose avait lancé un grand programme patrimonial pour transformer en « Cité des arts » le site de l’hôpital La Grave, édifice du XVIIe siècle. Mais le ministère de la Santé, propriétaire de ces 18 000 mètres carrés sur les quais de la Garonne, et la municipalité peinent à trouver un accord financier. Pendant ce temps, les plafonds de la chapelle hospitalière, dont le dôme est l’un des emblèmes de la ville, se délabrent. Ils menacent aujourd’hui de s’effondrer. La Mairie a affirmé sa volonté de réhabiliter le site, mais les travaux interviendront-ils à temps ? Plus chanceux, l’hôpital de l’hôtel-Dieu de Lyon, désaffecté fin 2010 et classé monument historique l’année suivante, doit être transformé, après une restauration complète et d’ici à 2016, en un grand hôtel de luxe et une galerie marchande. Si le projet fait grincer des dents de nombreux habitants, la restauration, elle, semble se dérouler dans les règles de l’art. Un grand musée médical et anatomique pourrait, en outre, y être réinstallé en remplacement de l’ancien Musée des hospices civils de Lyon, fermé au moment de la désaffectation. Mais, pour l’heure, les financements n’ont pas été trouvés.

Projets fonciers
Face aux enjeux de la santé publique, il est difficile de faire valoir l’intérêt patrimonial d’un site. Il est d’autant plus délicat de protéger un site qu’il a été sans cesse modifié au fil du temps, comme c’est souvent le cas pour le patrimoine hospitalier. Nombre de sites sont ainsi protégés seulement en partie. Conçu par Tony Garnier comme une vaste cité-jardin, l’hôpital de Grange-Blanche [aujourd’hui Édouard-Herriot] à Lyon a été partiellement protégé. Mais les rares pavillons préservés semblent avoir été choisis moins pour leur intérêt patrimonial que pour leur propension à ne pas gêner le projet de « modernisation ». Quatre pavillons ont été démolis en 2010, alors que, de l’aveu même des services de la Ville, ils étaient peu altérés, et deux autres doivent l’être prochainement. Le cas de l’hôpital de Strasbourg est plus préoccupant encore. Il s’agit d’un bâtiment du XVIIIe siècle richement décoré, un fait assez rare puisque les théories miasmatiques ont donné naissance à des architectures hospitalières plutôt minimalistes. Depuis qu’il a été décidé, il y a une dizaine d’années, de réimplanter l’hôpital moderne dans la ville, l’édifice est « détruit morceau par morceau », comme a pu le constater le chercheur Pierre-Louis Laget.

De manière générale, peu d’hôpitaux sont protégés. « Il y a une réticence totale des directeurs d’hôpitaux et des maires (qui siègent d’ailleurs souvent dans les conseils d’administration des hôpitaux) à demander à faire classer un édifice, parce qu’ils ont très peur que ce soit un frein à l’évolution sanitaire du programme », explique le chercheur Claude Laroche. Une véritable « erreur de perspective » selon lui. Et d’enfoncer le clou : « Ces cinquante dernières années, on a travaillé au coup par coup sans réfléchir à la logique d’un site. Pourtant, avoir une approche patrimoniale ne freine pas les projets fonciers : on peut construire et aménager dans un site protégé. » La préservation des édifices, souvent construits en centre-ville, se heurte à des projets fonciers. Et l’intérêt historique des monuments ne fait pas le poids face à ces enjeux économiques et politiques.  À Paris, où les prix de l’immobilier flambent, la situation est critique : la sacristie de la chapelle de l’hôpital Laennec, un bâtiment vendu au début des années 2000 par l’Assistance publique à un promoteur immobilier, a été rasée « par erreur » en 2012 alors qu’elle était classée !

Autre édifice parisien emblématique, l’Hôtel-Dieu, promis, depuis 2011, à un grand projet de transformation entraînant la fermeture de divers services ; projet que les personnels, usagers et membres du corps médical dénoncent comme « une fermeture déguisée ». Symbole de l’hôpital public, le plus ancien hôpital de France fera-t-il, lui aussi, les frais d’une politique d’économie à court terme ? Si les défenseurs du patrimoine doivent rester vigilants, l’histoire du lieu devrait le mettre à l’abri de la destruction. On ne peut en dire autant du patrimoine du XXe siècle. « Pour les bâtiments de l’après-Seconde Guerre mondiale, l’obsolescence est plus grande ; ils ont souvent été faits en série et la notion de patrimoine est, dans ce cas, très difficile à expliquer », souligne Claude Laroche. À peine âgé d’une trentaine d’années, l’hôpital édifié à Corbeille-Essonnes par l’architecte André Wogenscky, collaborateur de Le Corbusier, est menacé par le projet de regroupement des bâtiments de l’hôpital sud-francilien. Il s’agit pourtant d’un monument unique où chaque élément a été pensé pour créer un lieu apportant aux malades sérénité et confiance. Il fait partie de ces nombreux hôpitaux négligés qui mériteraient que l’on s’interroge sur leur possible réhabilitation.

Titre original de l'article du Jda : "Quel avenir pour les bâtiments désaffectés ?"

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Vue depuis le parvis de l’hôpital Gilles-de-Corbeil, à Corbeil-Essonnes. © Inventaire général du patrimoine culturel

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Quel avenir pour les hôpitaux désaffectés ?

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