Préhistoire

Marc Gauthier : Champignons et bactéries menacent Lascaux

Entretien avec Marc Gauthier, président du comité scientifique pour la sauvegarde de la grotte

Par Eva Bensard · Le Journal des Arts

Le 18 avril 2003 - 1102 mots

La grotte de Lascaux a subi depuis sa découverte en 1940 maintes altérations – modification de son volume originel et afflux touristique – qui ont bouleversé son équilibre biologique et précipité sa dégradation. Fermée au public en 1963, elle semblait définitivement préservée. Or, depuis deux ans, des champignons et des bactéries particulièrement résistants ont fait leur apparition sur le sol ainsi que sur la voûte de la salle des Taureaux, sans toutefois toucher les peintures. Cette contamination, aujourd’hui enrayée mais non définitivement neutralisée, pose la question de la sauvegarde de Lascaux et, au-delà, de celle de l’ensemble des grottes ornées. Pour tenter de trouver des solutions à long terme à ces problèmes, le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon a nommé en août 2002 un comité scientifique présidé par Marc Gauthier. Inspecteur général de l’archéologie honoraire, ce dernier répond à nos questions.

Qui compose le nouveau comité scientifique de la grotte de Lascaux et quelle est sa mission ?
Le comité comprend une vingtaine de membres parmi lesquels figurent non seulement des archéologues préhistoriens mais aussi des biologistes, géochimistes, spécialistes de l’environnement, architectes experts en conservation, ingénieurs... On y trouve également le directeur régional des Affaires culturelles de l’Aquitaine, des membres du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), le conservateur de la grotte d’Altamira ou encore le directeur du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Pour reprendre les termes employés par le ministère de la Culture et de la Communication, ce comité est “chargé d’examiner l’état sanitaire de la grotte de Lascaux, de proposer les solutions de nature à apporter tous remèdes appropriés aux anomalies qui pourraient se révéler, et à veiller au maintien d’un état sanitaire satisfaisant de la cavité et des œuvres qu’elle contient”.

Quelles sont selon vous les causes de l’invasion de champignons et de bactéries survenue en 2001 ?
Au départ, on aurait pu penser que seuls les travaux entrepris en 2000-2001 pour rénover les installations de régulation climatique dans la grotte étaient responsables de cette rupture d’équilibre biologique. Puis, nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait plutôt d’un facteur parmi d’autres, sans exclure la simple coïncidence. Pour comprendre ce qui s’est passé à Lascaux il y a deux ans, il faut remonter à l’histoire même de sa découverte en 1940. Jusqu’à cette date, l’équilibre de la grotte était resté inchangé. Puis, des travaux importants, réalisés sous l’égide de l’abbé Breuil, commencèrent à modifier le volume et la physionomie de la cavité – dont l’accès fut élargi, le sol creusé... À la fin des années 1940, l’exploitation publique de la grotte entraîna d’autres modifications de l’aspect de Lascaux. Enfin, la foule de visiteurs qui s’y succédèrent jusqu’en 1963 – jusqu’à un millier par jour – bouleversa l’équilibre déjà menacé du milieu ambiant et déclencha des perturbations. On vit ainsi se développer sur les parois la “maladie verte” (des micro-organismes végétaux) et la “maladie blanche” (des modifications d’ordre géologique et chimique provoquant une calcification des parois). Un premier comité scientifique fut alors créé, qui conseilla la fermeture de la grotte au public. Les maladies furent éradiquées et la cavité placée sous surveillance constante. Des traitements de rééquilibrage (antibiotiques, fongicides) furent régulièrement effectués, et une infrastructure destinée à assurer l’équilibre de la température, de l’hygrométrie et du gaz carbonique fut mise en place en 1966. C’est au moment du remplacement de ces installations, devenues obsolètes à la fin des années 1990, que des bactéries et des champignons se sont développés dans la grotte, sans qu’un lien de cause à effet puisse être établi.

Comment ont-ils pu pénétrer dans la cavité ?
Lascaux n’est pas un milieu clos. Même si l’on a tout fait pour l’isoler – construction de deux sas d’entrée, portes étanches... –, elle se trouve dans un massif rocheux où l’eau et l’air circulent. Elle peut donc être soumise à des influences extérieures. Or, entre les années 1940 et aujourd’hui, cet environnement extérieur a beaucoup changé. En particulier, l’agriculture s’est modifiée suite à l’emploi systématique de pesticides et de fongicides, entraînant la création de souches résistantes comme le fusarium, champignon que l’on a trouvé à l’intérieur de Lascaux. Un même phénomène s’est produit dans la grotte qui, à force d’être traitée, a généré des souches résistantes : des champignons et des bactéries. Lascaux souffre en quelque sorte d’une maladie nosocomiale…

Que feront les restaurateurs lorsque le fusarium aura développé des résistances au traitement (fongicide associé à un antibiotique) qu’ils utilisent actuellement ?
Lorsque la contamination a été découverte, les services du ministère (en particulier le LRMH) ont mis en place un traitement d’urgence destiné à arrêter la propagation. Nous cherchons désormais à réduire et à espacer ces traitements. Notre objectif est de parvenir à recréer des conditions de température, d’humidité et de présence de gaz carbonique défavorables à la croissance de ces champignons et bactéries. Nous voulons agir non pas en employant toujours plus de médicaments mais en rétablissant un environnement stabilisé.

Comment envisagez-vous l’avenir des grottes ornées en général ?
Les erreurs faites à Lascaux nous ont appris ce qu’il ne fallait pas faire ; ainsi, ni Chauvet ni Cosquer n’ont été ouvertes au public, et la grotte d’Altamira en Espagne a, elle aussi, été fermée en 1979 (lire l’encadré). Si l’on souhaite léguer ces trésors aux générations futures, il faut les préserver complètement et accepter l’idée que des fac-similés tels que Lascaux 2 soient construits. Il s’agit actuellement du seul moyen en notre possession pour livrer au public le volume et le décor des cavités tout en préservant les grottes originales.

Les principales grottes ornées d’Europe

- Lascaux. Mise au jour en 1940, en Dordogne, cette grotte est, malgré sa petite taille, l’un des ensembles d’art préhistorique les plus riches d’Europe. Ses peintures ont été réalisées voilà 15 000 ans. - Altamira. Découverte en 1879, la grotte d’Altamira, en Espagne, a révélé la première le talent des artistes de la préhistoire. Son décor pariétal est contemporain de celui de Lascaux. - Cosquer. Située dans les Calanques, près de Marseille, cette grotte sous-marine unique au monde a été mise au jour en 1991. Elle abrite plusieurs dizaines d’œuvres peintes et gravées il y a environ 27 000 ans. - Chauvet. Au flanc d’une falaise des gorges de l’Ardèche, Chauvet, découverte en 1994, est la plus ancienne grotte préhistorique ornée connue à ce jour. Peint il y a 30 000 ans, son bestiaire est deux fois plus ancien que celui de Lascaux. - Niaux. Située dans l’Ariège, cette grotte est, contrairement à toutes celles citées plus haut, encore ouverte à la visite. Elle recèle des dessins d’animaux au trait noir datant du Magdalénien.

Pour en savoir plus :

La Recherche a publié dans son numéro d’avril 2003 une remarquable enquête sur Lascaux ; “L’art avant l’histoire. La conservation de l’art préhistorique�?, Xe journées d’études de la Section française de l’Institut international de conservation (SFIIC) ; Jean Clottes, Passion préhistoire, La Maison des roches, 2003 ; Brigitte Delluc, Gilles Delluc et Ray Delvert, Connaître Lascaux, éd. Sud-Ouest, 1994.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°169 du 18 avril 2003, avec le titre suivant : Marc Gauthier : Champignons et bactéries menacent Lascaux

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