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EXPORTATION

Les collections françaises ont la bougeotte

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 7 février 2018 - 1254 mots

Les musées français organisent de plus en plus d’expositions itinérantes à l’étranger. Ce sont des recettes nouvelles, mais aussi un levier de développement de leur image.

Vue de l'exposition « L'Invention du Louvre » présentée à l'Heritage Museum de Hongkong du 26 avril au 24 juillet 2017
Vue de l'exposition « L'Invention du Louvre » présentée à l'Heritage Museum de Hongkong du 26 avril au 24 juillet 2017
© Musée du Louvre

Qu’on les appelle « clefs en mains », ou pudiquement « internationales », les expositions itinérantes ont assurément le vent en poupe. Ces manifestations qui peuvent être monographiques, thématiques ou un simple florilège, ont comme point commun d’être réalisées exclusivement à partir des collections d’un établissement en vue de leur export.

Si cette pratique était il y a peu surtout l’apanage des musées étrangers, elle concerne aujourd’hui de nombreux musées français. Les années 2000 ont en effet été le théâtre d’une brusque accélération pour les établissements de l’Hexagone, en raison de la combinaison de plusieurs facteurs tels que l’ouverture de nombreuses institutions étrangères désireuses d’accueillir d’éminentes collections extérieures, la recherche accrue de notoriété et la baisse des subventions publiques. L’essor de l’internationalisation a d’ailleurs maille à partir avec la récente floraison d’établissements publics, car ce statut implique la nécessité de générer des ressources propres.

Enfin, cette concentration de projets s’explique aussi par la simultanéité des chantiers de rénovation de musées au cours de la dernière décennie. Afin de financer leurs travaux, le Musée d’Orsay et le Musée Picasso ont par exemple monétisé leurs collections en organisant des expositions à l’étranger. « L’opinion publique a justement accepté cette pratique, car elle participait au financement de travaux. Ça a permis de faire un peu évoluer les mentalités sur ce sujet, même s’il y a encore des réticences, notamment chez les conservateurs », avance Rebecca Amsellem, docteur en économie, qui a soutenu en 2016 sa thèse sur « Les stratégies d’internationalisation des musées et les nouveaux modèles d’affaires » à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
 

Des locations qui ne disent pas leur nom

Ayant bien compris les bénéfices qu’ils peuvent en tirer, certains musées n’ont ainsi pas cessé cette politique malgré la fin des chantiers, comme Orsay qui a présenté pas moins de cinq expositions en 2017. Il n’est évidemment pas le seul à exploiter ce filon. En 2017, le Musée du Louvre a comptabilisé un million de visiteurs dans ses expositions hors-les-murs, notamment au Japon et en Chine. Tandis qu’en 2016, les cinq expositions internationales du Centre Pompidou ont attiré 700 000 personnes. La tendance est donc à la hausse, mais aussi à la multiplication des acteurs. « On observe également une certaine institutionnalisation, précise Rebecca Amsellem, progressivement les musées se dotent d’équipes consacrées à l’international, ce qui montre leur volonté de pérenniser cette pratique. » L’exemple de Paris Musées est à ce titre révélateur. L’établissement public à caractère administratif développe en effet, depuis sa fondation en 2013, une politique d’itinérance comprenant des expositions présentées dans les musées parisiens et adaptées dans un format plus léger, mais aussi de pures créations pour l’export. L’année dernière, elles ont accueilli 320 000 visiteurs, soit 10 % de la fréquentation de l’établissement à Paris. « Récemment nous nous sommes professionnalisés et structurés en mettant en place une équipe consacrée aux itinérances », confirme sa directrice, Delphine Lévy. « L’international représente une de nos priorités stratégiques. Cette dimension a d’ailleurs été renforcée dans notre nouveau contrat d’objectifs (2016-2020). Cette politique répond à plusieurs enjeux : contribuer au rayonnement international de Paris, celui de nos artistes, de nos musées, mais aussi développer les échanges scientifiques entre institutions et nos ressources propres », poursuit la directrice. Contrairement aux expositions « classiques » reposant sur des prêts gratuits, ces projets donnent en effet lieu à des compensations. « Il s’agit purement et simplement de location d’exposition, or officiellement, les musées français ne pratiquent pas de location. Donc pour des raisons déontologiques, nos responsables préfèrent parler de contrepartie financière rétribuant le travail scientifique et l’ingénierie », s’agace un conservateur d’un musée national coutumier de ce type d’événements. « Alors que ces manifestations ne nous coûtent pratiquement rien à produire, notamment sur le plan scientifique, car il s’agit souvent de florilège et donc d’œuvres déjà documentées. » Le montant de ces contreparties est un secret bien gardé. Même dans les rapports d’activité, les chiffres sont souvent mêlés à d’autres ressources, comme la valorisation du domaine ou des redevances en tous genres. Le montant varie en fonction du musée et de sa renommée, mais également de la nature du contrat. Si certains sont forfaitaires, d’autres comprennent aussi un partage des recettes de billetterie et des ventes de produits dérivés. « Cela dépend des expositions, mais ça peut aller jusqu’à un million d’euros ,» confie Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou.

En termes de rentabilité, toutes les destinations ne se valent pas. L’un des pays plébiscités par les musées hexagonaux est le Japon. Non seulement parce que le public y est féru de culture française et friand d’expositions, mais aussi parce que ces événements y sont organisés par de grands médias. Ils bénéficient donc d’une forte médiatisation, de plus une fois qu’ils sont terminés, les promoteurs exploitent les sujets dans des documentaires sur le musée invité et ses artistes, ce qui prolonge l’impact de l’exposition. « Selon le pays, cela ne rapporte pas forcément beaucoup d’argent », estime Olivier Simmat, conseiller auprès du président du Musée d’Orsay en charge des relations internationales. « Dans certains pays ce n’est pas l’aspect financier que nous privilégions, il s’agit davantage d’opérations d’image. C’est par exemple le cas à Singapour où nous collaborons avec un jeune musée qui va certainement devenir un acteur important et rayonner sur toute la région. »
 

Une notoriété dopée

La finalité de ses projets n’est en effet pas uniquement pécuniaire. Une poignée d’établissements en programme d’ailleurs sans demander de contrepartie financière ; à l’instar du Musée des beaux-arts de Lyon qui développe une active politique internationale avec des manifestations qualitatives. « Il est très important pour nous en termes d’image de ne pas être un musée qui loue ses collections, mais qui propose de vrais projets scientifique, car c’est notre vitrine à l’étranger », explique sa directrice, Sylvie Ramond. « L’enjeu de ces partenariats est de tisser un réseau et de faire connaître nos collections. Cette démarche intéresse d’ailleurs beaucoup notre tutelle politique et nos mécènes. » Cette recherche de notoriété motive également des établissements de plus petit gabarit à s’exporter, comme le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, qui achève actuellement sa première tournée en Chine. « Nous avons effectivement la volonté de faire connaître notre collection à l’étranger et nous profitons de l’apparition de musées en Chine et de l’engouement des visiteurs locaux. Il faut savoir qu’à Chengdu l’exposition a attiré 260 000 personnes en un mois, ce qui est énorme », résume sa directrice, Aurélie Voltz. À titre d’exemple l’établissement a accueilli moins de 60 000 visiteurs à Saint-Étienne en 2016 ! « Cette tournée a un effet boule de neige, car depuis qu’elle a commencé, nous sommes sollicités par d’autres lieux, avec qui nous allons certainement poursuivre cette stratégie. »

D’autres établissements à la fréquentation déjà conséquente misent sur l’effet boomerang de ces manifestations. Le château de Versailles a ainsi récemment organisé sa première exposition sur Marie-Antoinette au Japon. Cette ambassadrice de charme avait notamment pour mission de faire revenir au château les touristes nippons qui boudaient massivement les établissements franciliens après les attentats de 2015. Ces opérations séductions ont aussi pour vocation de caler un positionnement au musée alors que l’offre est de plus en plus pléthorique à Paris, et que les séjours se raccourcissent. Cet effet retour existe, mais il est difficile à quantifier. « Cette dimension est importante même si nous avons du mal à mesurer l’impact de ces expositions », avance Olivier Simmat. « Nous avons tout de même observé une hausse sensible des visiteurs brésiliens depuis que nous avons commencé à organiser des expositions au Brésil. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Les collections francaises ont la bougeotte

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