IMPRESSIONNISME

Orsay fait escale en Asie

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2017 - 794 mots

Un accrochage clair et un parcours intelligent mettent en valeur les collections impressionnistes du musée parisien.

Singapour. Il est peu probable qu’un Français ressente le besoin d’aller à Singapour pour voir une exposition sur l’impressionnisme, réalisée à partir d’œuvres du Musée d’Orsay. Pourtant, l’exposition vaut le détour, car elle offre une présentation intelligente et même originale de ce mouvement. Rien, toutefois, de révolutionnaire : la manifestation est censée familiariser un public local à un art qu’il n’a pas l’occasion de voir.

L’événement a lieu dans la Galerie nationale de Singapour - ouverte depuis 2015 - qui présente les œuvres des artistes asiatiques des XIXe et XXe siècles, dans un style plutôt académique. Certes, le titre, « Les Couleurs de l’impressionnisme, chefs-d’œuvre du Musée d’Orsay », relève de tautologie. Certes encore, il ne s’agit pas que de chefs-d’œuvre.

Cependant, les commissaires, Marine Kisiel, Paul Perrin, servis par des toiles de très bonne qualité, mettent en scène, avec une clarté remarquable, une évolution chromatique débutant dès la moitié du XIXe siècle. Le parcours s’ouvre, d’une manière paradoxale, avec la couleur noire, célébrée par Baudelaire : « L’habit noir et la redingote ont non seulement leur beauté politique, qui est l’expression de l’égalité universelle, mais encore leur beauté poétique » (salon de 1846). Et, Renoir de surenchérir : « Il m’a fallu quarante ans pour découvrir que la reine de toutes les couleurs est le noir ». Ainsi, dans la première salle on trouve effectivement Madame Darras (1868), un portrait réalisé par Renoir d’une dame tout en noir vêtue, mais surtout Clair de lune sur le port de Boulogne (1869), un beau paysage nocturne, étonnamment sombre, de Manet.

Puis, c’est la lumière qui arrive ou, plus précisément, la luminosité. Dans une grande salle, un peu comme dans le musée parisien, avec moins d’éclat quand même, défilent les paysages. Pour les impressionnistes, ce thème devient un genre majeur, le « point chaud de la peinture ». Ce sont surtout les paysages aquatiques - marines, rivières, bassins d’eau - où, la lumière se reflétant sur la surface de l’eau, les formes s’estompent et fusionnent. La division des couleurs, activée par celle de la touche, permet à Sisley (La Barque pendant l’inondation, Port-Marly, 1876) ou à Pissarro de s’affranchir de la couleur locale et d’exalter les rapports entre couleurs pures. Dans leur effort pour éclaircir la palette, c’est la nature recouverte de neige qui attire les artistes. L’ensemble réuni est sans doute le point fort de l’exposition. On constate que cette matière éphémère, en apparence d’un blanc uniforme, est en fait composée d’une quantité de tonalités nuancées, de reflets qui vont du bleu au rose. La Pie de Monet (1868-1869), un des tableaux phares exposés, en est un très bel exemple. En contrepoint, un intérieur idyllique, peint en blanc par Berthe Morisot, une des rares femmes au sein de ce milieu masculin, Le Berceau (1872).

Mais ce sont le bleu et le vert qui dominent la palette chromatique impressionniste. Leur division et leur vibration remettent en cause les f­ondements de l’art figuratif. Dans le Pont du chemin de fer à Chatou de Renoir (1881), les formes, même floues, restent encore reconnaissables ; avec Le Bassin aux nymphéas, harmonie rose de Monet (1900) apparaît sur la toile une touche qui, en soi, ne représente rien, et dont il serait impossible de désigner ou de nommer ce qu’elle figure dans la réalité. On regrette l’absence de plusieurs « nymphéas » qui auraient pu illustrer l’importance de la série pour l’esthétique du ­mouvement.
 

Passage par Seurat et le néo-impressionnisme

Après un détour rapide par Cézanne - Le Golfe de Marseille vu de L’Estaque (1878-1879), le parcours se poursuit par ce que l’on peut considérer comme l’aboutissement « logique » de l’impressionnisme : le néo-impressionnisme ou le divisionnisme. Si l’importance théorique, voire scientifique, passe par le livre de Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme (1899), alors toute la poésie trouve son expression avec les quelques magnifiques « tableautins » de Seurat, des esquisses préparatoires pour les toiles à venir.

Cette rapide histoire de l’impressionnisme s’achève sur deux « options » bien différentes. D’une part, Vétheuil, soleil couchant de Monet (1900) : sur une berge, enveloppée dans le brouillard, une cité flotte comme un souvenir qui s’évanouit. Ce n’est pas encore un rêve, mais ce n’est plus le réel. D’autre part, Gabrielle à la rose de Renoir (1911). Ce peintre parfois merveilleux, avec ses scènes animées, tantôt au moulin de la Galette, tantôt au bord de la Seine, n’est pas à son avantage avec cette femme mièvre et stéréotypée, dotée d’une beauté fade et idéalisée. à chacun de faire son choix entre l’imagination prodigieuse de Monet et le retour à l’ordre de Renoir, devenu un portraitiste mondain et bankable de la bourgeoisie parisienne.

 

 

Les Couleurs de l’impressionnisme, chefs-d’œuvre du Musée d’Orsay,
jusqu’au 11 mars 2018, National Gallery, 1, St Andrew’s Rd, Singapour.

 

Légende photo

Claude Monet, La Pie, 1868-1869, huile sur toile, 89 x 130 cm, Musée d'Orsay, Paris © Photo : RMN (Musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°491 du 15 décembre 2017, avec le titre suivant : Orsay fait escale en Asie

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque