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La Smithsonian Institution, 19 musées publics au pays des musées privés

WASHINGTON / ÉTATS-UNIS

Avec 22 millions de visiteurs accueillis en 2019 et un budget total avoisinant le milliard de dollars, dont plus des deux tiers sont financés directement par des fonds publics, la prestigieuse organisation domine la scène muséale américaine.

Le « Château », bâtiment originel de la Smithsonian Institution, est aujourd'hui son centre administratif. © Dane A. Penland / Smithsonian
Le « Château », bâtiment originel de la Smithsonian Institution, est aujourd'hui son centre administratif.
© Dane A. Penland / Smithsonian

Washington, D. C. (États-Unis). C’est une organisation à nulle autre pareille. La Smithsonian Institution, qui a fêté l’an passé son 175e anniversaire, se définit elle-même comme « le plus grand complexe muséal, éducatif et scientifique au monde » : avec ses dix-neuf musées historiques, artistiques et scientifiques, ses vingt et une bibliothèques, ses neuf centres de recherche, son parc zoologique national et ses jardins botaniques, rares sont les domaines de la connaissance qui paraissent en effet lui échapper. Aux États-Unis, elle est, au même titre que la bannière étoilée, la statue de la Liberté ou le pygargue à tête blanche, rien de moins qu’un symbole national.

Fondée à Washington par le gouvernement fédéral américain en 1846, elle se distingue surtout comme l’une des très rares institutions culturelles et scientifiques publiques du pays gérées et financées directement par l’administration centrale des États-Unis. Dans un paysage académique et artistique où dominent de colossales structures privées, parmi lesquelles le Metropolitan Museum of Art et l’American Museum of Natural History de New York, l’Art Institute de Chicago ou les grandes universités de la Côte est (Harvard, Yale, Princeton, Columbia), elle fait même figure d’exception.

« Une institution pour l’accroissement et la diffusion du savoir »

C’est au scientifique britannique James Smithson (v. 1765-1829) que la Smithsonian Institution doit son nom. En 1826, celui-ci décide de léguer l’ensemble de sa fortune, près de 500 000 dollars de l’époque (l’équivalent de 15 millions de dollars d’aujourd’hui, ou 13,5 millions d’euros), « aux États-Unis d’Amérique pour fonder, à Washington, sous le nom de The Smithsonian Institution, une institution pour l’accroissement et la diffusion du savoir pour tous les hommes », ainsi que l’expose son testament. Les raisons de cette exceptionnelle donation restent un mystère : Smithson n’a jamais mis les pieds aux États-Unis, n’a pas non plus entretenu de correspondance avec ses confrères d’outre-Atlantique, mais semble avoir nourri toute sa vie une certaine fascination pour la jeune démocratie américaine.

Il est souvent répété qu’enthousiasmé par la création, au moment de la Révolution française, du Musée du Louvre et du Muséum national d’histoire naturelle de Paris – ville où il est né –, ce chimiste imprégné des idéaux des Lumières aurait souhaité favoriser la création d’institutions similaires en Amérique, qui en était alors dépourvue. Plusieurs années de litiges avec les héritiers de Smithson et d’atermoiements politiques ont retardé le projet original. Il aura fallu attendre 1855 pour que la Smithsonian Institution prenne finalement ses quartiers dans un bâtiment approprié, construit par l’architecte James Renwick Jr sur le « National Mall », l’immense artère de verdure qui traverse la capitale américaine.

Le « Château » [voir ill.], surnom affectueux donné à cet édifice empruntant aux styles néo-roman et néo-gothique, est aujourd’hui le centre administratif de l’institution, il en est surtout l’emblème. Sur le Mall, il a été, au fil des ans, rejoint par dix autres bâtiments, qui abritent quelques-uns des différents musées de la Smithsonian : le Muséum national d’histoire naturelle (1858), le Bâtiment des arts et des industries (1881), la Galerie d’art asiatique Freer (1923), le Musée national de l’air et de l’espace (1946), le Musée national d’art africain (1964), le Musée national de l’histoire américaine (1964), le Musée et jardin de sculptures Hirshhorn (1974), la Galerie d’art asiatique Sackler (1987), le Musée national des Indiens d’Amérique (2004) et, plus récemment, le Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines, inauguré en grande pompe par le président Barack Obama en 2016.

Des collections immenses

En 1842, l’officier de marine Charles Wilkes revient aux États-Unis après plusieurs années passées à explorer les mers du Sud pour le compte du Congrès. La Smithsonian acquiert rapidement l’ensemble des spécimens et des échantillons récoltés en Océanie et en Amérique du Sud par les membres de son expédition, qu’elle présente au public dès son ouverture : ils forment le premier noyau de ses collections, qui comptent aujourd’hui près de 156 millions d’objets en tous genres, de l’enseigne du premier McDonald’s implanté au Japon au monoplan « Spirit of Saint Louis » de Charles Lindbergh en passant par le plus gros éléphant empaillé du monde.

156 millions, c’est bien davantage que n’importe quelle autre institution américaine. 146 d’entre eux sont des spécimens et des artefacts conservés au Muséum national d’histoire naturelle. À titre de comparaison, les collections de l’American Museum of Natural History de New York n’en comptent « que » 33 millions. Les 10 millions d’objets restants sont répartis entre les divers musées de l’institution : les neuf autres qui bordent le Mall, mais aussi les cinq qui se situent ailleurs dans la capitale (consacrés aux services postaux, à l’artisanat américain ou encore à l’histoire de l’esclavage), une annexe du Musée de l’air et de l’espace en Virginie, ainsi que le Musée Cooper-Hewitt, consacré au design, et le Centre George-Gustav-Heye, branche du Musée des Indiens d’Amérique, tous deux situés à New York.

Depuis le début des années 2000, les politiques d’acquisition et d’exposition de la Smithsonian, sous l’influence directe des présidents américains, ont pris le parti de donner une forme de reconnaissance institutionnelle à certaines communautés. C’est le cas des près de 900 000 objets, poteries, vanneries, tissages et tenues traditionnelles conservés au Musée national des Indiens d’Amérique, inauguré en 2004 dans un bâtiment ocre et incurvé de Douglas Cardinal, censé évoquer les canyons du Sud-Ouest américain. C’est aussi le cas des 36 000 documents, artefacts et œuvres d’art réunis en quelques mois au sein du Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines créé en 2016 : des chaînes d’esclaves, des panneaux de l’ère de la ségrégation ou des images du mouvement des droits civiques y racontent « un voyage vers la liberté », selon le souhait de Barack Obama.

Surnommé le « grenier de la nation », le Musée national d’histoire américaine est sans doute, des dix-neuf musées que compte l’institution, celui qui conserve l’ensemble d’objets le plus hétéroclite : sur trois niveaux, le visiteur y découvre, entre autres, l’uniforme de George Washington, le chapeau haut-de-forme d’Abraham Lincoln, la première ampoule de Thomas Edison, un gilet de sauvetage du Titanic, une Harley Davidson de 1942, la guitare jaune de Prince ou encore les gants de boxe de Mohamed Ali. Salle après salle, l’histoire des États-Unis s’y raconte à travers les reliques de ses mythes et de ses héros.

Le musée se donne aujourd’hui pour mission « d’aider le peuple à créer un futur plus juste et bienveillant en explorant, préservant et partageant la complexité de son passé ». Pour ce faire, il continue d’acquérir des documents qui racontent « l’expérience américaine » : dernier exemple en date, des masques chirurgicaux, des kits de test et des panneaux incitant à la « distanciation sociale » et à la vaccination qui « reflètent la manière dont le Covid-19 a changé la vie des Américains ».

La Smithsonian restitue ses bronzes du Bénin  

Restitution. Il y a cinq mois, Ngaire Blankenberg, nouvelle directrice du Musée national d’art africain, décidait de retirer de ses salles tous les objets en bronze [voir ill.]provenant de l’ancien royaume du Bénin – aujourd’hui une partie du Nigéria –, la plupart ayant été pillés lors d’une expédition punitive menée par les Britanniques en 1897 : « J’ai une réaction viscérale quand je vois des choses exposées qui ne devraient pas l’être », expliquait-elle alors. Début mars, la Smithsonian franchissait une nouvelle étape en annonçant vouloir conclure un accord avec la Commission nationale des musées et monuments du Nigéria pour le retour définitif de la plupart de ces œuvres (39 au total). La décision répond à la mise en place d’une nouvelle politique interne d’examen des collections dans la perspective de futures restitutions : « Nous voulons nous assurer que les objets restitués sont conservés dans le lieu le plus approprié et non nécessairement dans un lieu qui nous appartient », justifie Lonnie G. Bunch III, secrétaire de la Smithsonian Institution. Les œuvres béninoises restituées devraient être exposées au Musée national du Bénin de Benin City, mais certaines pourraient rester à Washington dans le cadre de prêts permanents.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : La Smithsonian Institution 19 musées publics au pays des musées privés

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