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Jean-Luc Martinez : « Il est trop tôt pour faire le compte de l’impact de la crise sur le Louvre »

Par Fabien Simode · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2020 - 1146 mots

PARIS

Pour le président-directeur du Musée du Louvre, exceptionnelle, la situation n’est pour autant pas inédite.

Jean-Luc Martinez. © Musée du Louvre/Florence Brochoire
Jean-Luc Martinez
© Musée du Louvre / Florence Brochoire

Tandis que les « petits musées », ceux « n'entraînant pas d’importants déplacements », rouvrent leurs portes progressivement partout en France depuis le 11 mai, les musées nationaux, dont le Louvre, attendent toujours les consignes du gouvernement. Dans son adresse aux Français le 13 avril, le président Emmanuel Macron avait d'abord indiqué que les musées ne pourraient pas accueillir de public avant la mi-juillet « au moins ». Depuis, le Premier ministre Édouard Philippe et le ministre de la Culture Franck Riester ont annoncé que le gouvernement ferait un point fin mai sur la situation sanitaire afin d'envisager une éventuelle réouverture des « grands musées » à partir du 2 juin 2020. Dans l’attente d’une date de réouverture du Louvre au public qu’il espère prochaine, le président-directeur du musée, Jean-Luc Martinez, a répondu à nos questions sur le Louvre en temps de confinement.

Avez-vous été surpris par le confinement ?
Le Musée du Louvre, le Musée national Eugène-Delacroix et le jardin des Tuileries ont fermé le vendredi 13 mars 2020. On parle de situation inédite mais ce n’est pas la première fois que le musée doit fermer : ce fut le cas à la suite des attentats et lors des deux épisodes de crue. Ce fut aussi le cas lors des deux guerres mondiales. Néanmoins, il faut à chaque fois inventer le dispositif de fermeture, la durée et les circonstances étant très différentes. Le confinement était prévisible car les autorités sanitaires avaient demandé aux lieux recevant du public d’adapter leur accueil. Le plus surprenant fut la rapidité avec laquelle le confinement est arrivé. Il y eut d’abord une directive impliquant de ne pas recevoir plus de 5 000 personnes de façon simultanée et dans un même espace clôt. Puis la jauge maximum s’est réduite à 1 000 personnes. 

Comment le Louvre est-il parvenu à gérer le flux des visiteurs avant le 13 mars ?
Le Louvre avait expérimenté plusieurs formules de réservation obligatoire d’un créneau horaire, pour les nocturnes gratuites du samedi et tout au long des quatre mois de l’exposition Léonard de Vinci. Ce service proposé au public afin de lui éviter de faire la queue et de lui promettre d’entrer au Louvre en moins de 30 min s’est révélé l’outil idéal quand il s’est agi de réduire fortement notre jauge. Aussi, il a été immédiatement possible de mettre en place l’injonction de l’État, sans devoir repenser le parcours, ni mobiliser plus de personnels. Il faut dire que le tourisme international subissait déjà depuis plusieurs semaines une altération progressive qui rendait la réduction de la jauge plus facile à appliquer que lorsque la demande est très forte.

Pourquoi ne pas avoir communiqué sur le report ou l’annulation des expositions du printemps ?
Concernant les expositions, celle consacrée à Léonard de Vinci venait de se terminer et plusieurs mois étaient nécessaires pour préparer les suivantes, l’une sur le maître germanique de la Renaissance Albrecht Altdorfer, dont le travail est méconnu du grand public, et l’autre consacrée à la sculpture italienne, organisée avec le musée du Castello Sforzesco de Milan et intitulée « Corps et âmes. De Donatello à Michel-Ange », qui devait ouvrir début mai. Nous avions donc du temps avant de décider d’aménager, de reporter ou d’annuler les événements prévus. Mais cette décision s’est avérée difficile à prendre alors que la date de réouverture du musée n’est pas connue. D’autant plus que les situations évoluent différemment d’un pays à l’autre, or tous les musées travaillent en interdépendance pour les prêts de sorte qu’il est difficile d’imaginer si l’Autriche ou l’Italie pourront acheminer les œuvres que nous leur empruntons dans le temps imparti. Ces incertitudes rendent les échéances floues mais l’ancrage du Louvre dans le temps long – huit siècles d’histoire – et la force du service public assurent que le musée pourra rouvrir et poursuivre ses missions. C’est déjà beaucoup.

Comment le Louvre a-t-il fonctionné durant le confinement ?
En conséquence du confinement, toutes les activités se sont soudainement interrompues et les personnels ont dû rester chez eux. Seul un petit groupe de personnes a assuré la sécurité du domaine et des collections en faisant des rondes régulières dans et autour du palais. Certaines fonctions qui ne nécessitent pas de venir au Louvre ont aussi été identifiées comme essentielles et nous avons organisé le travail à distance. À titre d’exemple, environ 800 œuvres du Louvre étaient prêtés en France et à l’étranger dans des expositions en cours, ce dont il a fallu se préoccuper. D’autres équipes ont remboursé les billets achetés qui n’avaient pu être utilisés pour cause de fermeture. Mi-mai, le musée en avait déjà remboursé 90 %, soit 70 000 billets aux visiteurs individuels et plus de 34 000 aux agences touristiques. Le travail se poursuit pour les 10 % restants qui concernent des transactions nécessitant un traitement au cas par cas du fait d’un problème technique ou d'informations manquantes. Le chômage partiel n’existe pas dans la fonction publique, tous les personnels sont assurés de recevoir leur salaire normalement, une grande chance si l’on compare à d’autres situations. Cependant, durant cette période une grande partie de nos ressources propres, billetterie ou location, sont taries ce qui va fortement impacter l’établissement. Il est trop tôt pour en faire le compte.

Quel rôle le musée peut-il jouer dans l’après-crise ?
Comme tous, la rapidité, la durée et l’ampleur de cette crise nous ont surpris. C’est dans la crise que l’agilité des équipes du Louvre se révèle. J’en suis admiratif, même si ce n’est pas la première fois que j’aie à en faire le constat. Ainsi, en un temps record, le musée, lieu de vie, s’est transformé en forteresse désertée. La rencontre entre les œuvres et le public est la raison d’être des musées et l’idée audacieuse des inventeurs du musée selon laquelle l’être humain s’élève, s’apaise et devient meilleur par la contemplation du Beau, ne peut s’accomplir actuellement. Le public ne s’y trompe pas, qui vient chercher sur les réseaux sociaux ou sur le site Internet du Louvre de la profondeur et de l’émerveillement en écoutant ou regardant les conférences filmées, les dessins animés, les vidéos des Youtubers et les podcasts que le musée a pu produire. La vraie rencontre, la confrontation avec l’œuvre d’art viendra plus tard, mais c’est aussi le rôle du musée de préparer chacun à revenir dès que possible goûter des moments de contemplation. Nous sommes tous pris par les interrogations, voire même par la sidération, face à la situation présente. Mais les musées s’inscrivent dans une temporalité si grande qu’ils ont une mission à jouer face à la crise actuelle, ils peuvent réconforter et donner du sens. Ils sont la preuve vivante que nos sociétés ont su se relever d’autres difficultés. Ils donnent à nourrir ces temps de confinement où chacun est porté à l’introspection. Même fermés, leur rôle est essentiel.
 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°546 du 22 mai 2020, avec le titre suivant : Jean-Luc Martinez : « Le confinement était prévisible »

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