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ENTRETIEN

Jean-Luc Martinez : « C’est sain qu’il y ait une durée limitée des mandats »

Président-directeur du Musée du Louvre

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2021 - 1525 mots

PARIS

Candidat à un troisième mandat à la présidence et direction du Musée du Louvre, le conservateur défend son bilan et fait des annonces inédites alors qu’il fait face en ce moment à des attaques dans certains médias sur divers points de son action.

Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre. © Florence Brochoire / Musée du Louvre
Jean-Luc Martinez.
Photo Florence Brochoire
© Musée du Louvre

Agrégé d’histoire, entré au Louvre en 1997, directeur du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines en 2007, Jean-Luc Martinez (58 ans) est président-directeur de l’établissement public du Musée du Louvre depuis 2013.

Êtes-vous candidat à un troisième mandat et quel est votre état d’esprit ?

Oui, je suis candidat et, comme en 2018, j’ai rédigé et adressé à toutes les autorités compétentes mon projet. Quant à mon état d’esprit, il est serein et rivé vers l’horizon de la réouverture du musée. C’est sain qu’il y ait une durée limitée des mandats et que, lors du renouvellement, on rende des comptes. La tentation est toujours grande de se croire propriétaire des lieux. Toutefois, j’ai toujours dit que je préférais un mandat de cinq ans renouvelable une fois plutôt que de cinq ans et deux fois trois ans, pour mener à bien des projets sur le long terme. Cette temporalité permettrait notamment de mieux préparer un vivier de remplaçants possibles. Les conservateurs d’ailleurs ne devraient pas rester plus de dix ans au même poste dans un établissement afin de mieux faire circuler les savoirs et d’acquérir des compétences managériales. Une telle gestion des carrières serait plus bénéfique pour tous, conservateurs et musées.

Quelles sont les perspectives actuelles d’évolution des conservateurs d’État dans les grands musées ?

C’est bien le problème, il y en a peu, c’est pour cela que certains directeurs de département au Louvre sont très réticents à embaucher de jeunes conservateurs, qui risquent de rester au même poste pendant quarante-deux ans. Les conservateurs du Louvre y gagnent dans leur travail scientifique, mais ils ont plus de difficultés pour développer leurs capacités de management, ce qui ne facilite pas leur promotion vers des postes – plus généralistes – dans les musées en régions comme cela se faisait avant. Il y a certes des évolutions à l’extérieur du Louvre, surtout pour les modernistes, mais cela reste limité.

C’est pour cela que j’ai souhaité systématiser la création de postes d’adjoint au directeur de département pour ouvrir des opportunités ; j’ai aussi mis en place une formation au management avec l’Institut national du patrimonial dont une vingtaine de conservateurs du Louvre (sur 70) ont déjà bénéficié.

Jusqu’à quel point les directeurs d’opérateurs culturels de l’État sont-ils autonomes ?

Leur action est heureusement fortement encadrée, il n’y a pas d’électron libre. On « rend compte » très fréquemment : à son ministre, aux commissions du Parlement, à la Cour des comptes… En septembre dernier, j’ai eu une réunion de travail avec la ministre de la Culture où j’ai présenté mon bilan, justifié mes choix, et où nous avons parlé d’avenir. Je rappelle par ailleurs que les recrutements sont très encadrés et que l’agent comptable dépend de Bercy.

Cette autonomie est-elle également limitée à l’intérieur de l’établissement ?

Oui, la toute-puissance dans le musée, c’est un fantasme. Beaucoup de décisions sont prises collectivement et, dans le cas des grands travaux, elles remontent bien souvent à vos prédécesseurs. Le président-directeur sert à hiérarchiser, à impulser les choses. Par exemple, quand je suis arrivé, j’ai suspendu le projet de rénovation des salles étrusques et romaines, lancé par mon prédécesseur, car le projet Pyramide me semblait prioritaire. J’ai hiérarchisé en mettant le visiteur au centre de nos priorités car, à ce moment-là, les structures d’accueil du musée craquaient littéralement. La liberté réside surtout dans la programmation culturelle et le choix des partenaires, mais cela ne représente que 5 % de notre activité.

Que répondez-vous à la Fondation Cy Twombly qui vous assigne en justice au motif que vous n’avez pas respecté le plafond peint par l’artiste dans la salle des Étrusques ?

Je m’interroge sur la méthode. Jugez plutôt : je reçois un mail le 1er février de la Fondation qui me demande de remettre la salle en état avec réponse d’ici le 3 février. Et dix jours plus tard, c’est dans la presse. Sur le fond, cela pose la question de l’œuvre : est-elle constituée de la peinture seule de Twombly ou de la peinture dans son environnement ? La réponse est claire, c’est uniquement la peinture du plafond. Son atelier a eu le droit de peindre dans un monument historique à la condition expresse, comme pour toute œuvre d’art contemporain, que l’œuvre soit amovible. Nous ne l’avons pas démontée, et nous ne l’avons pas touchée.

Je rappelle que l’ancien président du Louvre savait parfaitement, lorsqu’il a commandé cette œuvre à Twombly, que ces salles allaient être restaurées. Et bien entendu la restauration dans « l’état 1860 », avec peinture terracotta, plancher et boiseries noires, a été validée par toutes les autorités concernées.

Vous évoquez votre prédécesseur. Quelles inflexions avez-vous apportées à la politique d’acquisition ?

1 108 nouvelles œuvres sont entrées dans les collections du Louvre depuis 2013, pour une valeur totale de 223 millions d’euros. J’ai voulu mieux objectiver les procédures d’acquisition. J’ai ainsi demandé à tous les directeurs de département de définir une stratégie d’acquisition (lancée par mon prédécesseur) et je porte une attention extrême à la provenance des œuvres. Une des conséquences d’ailleurs de cette vigilance est la baisse des achats d’œuvres antiques. Tous les ans, je rassemble les demandes des directeurs et nous formalisons en janvier nos intentions avant de les transmettre aux Amis du Louvre, ce qui, soit dit en passant, a contribué à renforcer nos relations avec les Amis.

Je veille par ailleurs à ce que l’on classe une œuvre « trésor national » uniquement si on a des chances sérieuses de pouvoir l’acquérir. Une œuvre classée et non acquise perd de la valeur sur le marché.

Est-il vrai que vous ayez acquis un plafond de Tiepolo contre l’avis du directeur des Peintures ?

C’est complètement faux et ce qui est sorti dans la presse à cet égard me choque au plus haut point. Cette acquisition correspond justement à la politique collégiale dont je viens de parler. Tiepolo est un géant de la peinture italienne du XVIIIe siècle et un grand décorateur ; de lui, nous ne possédions que des petits tableaux. Cette acquisition visait à combler ce manque. Elle a été validée par toutes les commissions ad hoc. Le directeur du département des Peintures a signé la proposition d’acquisition que son adjoint avait rédigée, procédure préalable à tout passage dans les commissions, lesquelles ont ensuite validé cet achat. Pourquoi voudriez-vous que le Louvre dépense plusieurs millions d’euros pour une œuvre d’un artiste majeur dont le département ne voudrait pas ?

Assumez-vous toujours le déménagement des réserves à Liévin (Pas-de-Calais) ?

Plus que jamais. C’est une fierté et un soulagement de savoir à l’abri du risque d’une crue de la Seine les œuvres dont le Louvre a la charge. Cette tâche nous incombait depuis 2003. Elle est désormais accomplie. On m’a fait le reproche de mettre la « cuisine à 200 km du restaurant ». Mais savez-vous, pour continuer à filer la métaphore, qu’il existe 64 cuisines pour le restaurant ? Je veux dire qu’il y avait au Louvre 64 réserves, dont certaines absolument pas aux normes. Nous allons réutiliser ces salles pour améliorer la circulation du public, mieux exposer les œuvres, et surtout offrir, à nos dizaines de sous-traitants assurant la maintenance, des bases vie dignes de ce nom et des locaux techniques répartis sur tout le musée. J’ai cependant accepté de garder une dizaine de réserves de proximité pour les départements, dont une réserve mutualisée pour faciliter les opérations de transport.

Il faut considérer ce projet dans sa globalité. Avant d’envoyer les œuvres à Liévin, il faut les récoler, les nettoyer, les photographier, décrire leur état, bref un véritable chantier des collections qui n’avait jamais réellement été fait au Louvre. Le « livrable », c’est, dans quelques semaines, les collections du Louvre entièrement en ligne. Avant, le public et les chercheurs ne connaissaient que les 35 000 œuvres qui sont exposées, bientôt il pourra toutes les connaître. C’est une véritable révolution.

Que font les 1 300 agents de surveillance depuis quatre-cinq mois ?

C’est l’une de mes grandes préoccupations du moment, cette inactivité forcée peut avoir de graves conséquences psychologiques. Une centaine d’agents sont totalement dispensés de venir au musée car ils sont considérés comme des personnes à risque par la médecine du travail, tandis que les autres viennent, trois jours par mois, faire de la surveillance et des formations. Nous avons accéléré le programme de mise à disposition d’un smartphone pour chaque agent afin de réduire la fracture numérique réelle au sein de cette catégorie. Cela me permet de leur envoyer régulièrement des messages électroniques.

Où en êtes-vous de l’élargissement tant attendu des horaires d’ouverture ?

Eh bien je vous livre un scoop ! Nous sommes en train d’instruire, avec les équipes du musée, les représentants du personnel et le ministère, la question d’un élargissement des horaires pour s’adapter aux habitudes et pratiques des visiteurs, notamment de proximité. Cela suppose de recruter des agents de surveillance de manière conséquente. Le dossier serait allé plus vite s’il n’y avait pas eu le Covid. Nous travaillons à une mise en place en 2022.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°563 du 19 mars 2021, avec le titre suivant : Jean-Luc Martinez : « C’est sain qu’il y ait une durée limitée des mandats » :

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