Spécial Covid-19

SITES PRIVÉS

Comment les opérateurs culturels privés affrontent le reconfinement

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2020 - 1157 mots

FRANCE

Trois lieux patrimoniaux parmi les plus importants, le château de Vaux-le-Vicomte, la Grotte Chauvet 2 et Culturespaces, tentent d’absorber les conséquences économiques de la crise sanitaire.

Château de Vaux-le-Vicomte. © Lourdel Chicurel
Château de Vaux-le-Vicomte.
© Lourdel Chicurel

France. Les lieux patrimoniaux privés sont plus affectés d’un point de vue économique que leurs homologues publics, lesquels bénéficient d’une relative sécurité grâce aux subventions octroyées par leurs tutelles. Pourtant, ils subissent comme eux les confinements à répétition et l’absence de touristes étrangers. « À la fin septembre, nous avons subi une baisse de fréquentation de l’ordre de 60 % », estime Alexandre de Vogüé, qui, avec ses deux frères, dirige le château de Vaux-le-Vicomte situé à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Paris. Une chute qui aurait pu être pire si les Français (75 % de ses visiteurs) n’avaient pas décidé de profiter de leurs vacances estivales pour partir à la découverte de la France et de ses musées et châteaux. Ce que confirme Alban de Goulaine, arrivé à la direction de la Grotte Chauvet 2, à Vallon-Pont-d’Arc en Ardèche, il y a un peu plus d’un an. « Nous avons eu autant de visiteurs cet été que l’an dernier », relève-t-il. Même constat pour Culturespaces qui gère trois musées, quatre monuments historiques et autant de « centres d’arts numériques ». « La fréquentation estivale a été bonne, constate Bruno Monnier, son président, sauf pour des sites très sensibles au tourisme étranger comme la villa Ephrussi de Rothschild, à côté de Nice ».

Un reconfinement prolongé ?

Le reconfinement, surtout s’il se prolonge pendant les fêtes de Noël, aggraverait plus encore les comptes de 2020. C’est particulièrement vrai à Vaux-le-Vicomte qui accueille près de 100 000 visiteurs – soit un tiers de la fréquentation annuelle – en fin d’année, ayant réussi à fidéliser un public grâce à ses nombreuses animations : illumination de la façade, balade en calèche… Or, tous les achats de matériels ont été réalisés, explique Alexandre de Vogüé, pointant un effet de ciseau dramatique s’il devait fermer pour les fêtes : pas de recettes et des dépenses engagées. La réplique de la Grotte Chauvet a aussi son public d’hiver, environ 20 000 personnes sur les 350 000 visiteurs accueillis en 2019. Les chiffres sont encore plus élevés pour Culturespaces dont les « expositions immersives » rencontrent un énorme succès depuis la reprise des Carrières de Lumières (Baux-de-Provence). L’Atelier des Lumières à Paris a accueilli 1,4 million de visiteurs tandis que les Bassins de Lumière, ouverts en juin à Bordeaux, étaient sur un rythme de 100 000 personnes par mois.

Chiffres d’affaires en berne

La baisse du nombre de visiteurs a nécessairement un impact sur les comptes des entreprises qui gèrent ces lieux. Chez Culturespaces, on anticipe une baisse du chiffre d’affaires (CA) de l’ordre de 40 à 50 %, qui passerait ainsi de 69 millions d’euros en 2019 à environ 40 millions d’euros en 2020. L’impact est un peu moindre – 32 % – pour la société qui gère la Grotte Chauvet 2 ; Alban de Goulaine estime que son CA va passer de 5,3 à 3,6 millions d’euros. Selon Alexandre de Vogüé, qui n’a pas encore fait ses comptes, ses recettes commerciales – autour de 7 M€ – devraient plonger. Les recettes de billetterie ne sont pas les seules concernées, la restauration et la boutique constituent d’importantes sources de revenus : environ 2,4 millions d’euros à Vaux-le-Vicomte et à peu près autant à Vallon-Pont-d’Arc où le restaurant accueille 80 000 personnes chaque année. Chez Culturespaces et à Vaux-le-Vicomte, les privatisations et locations d’espaces, qui représentent plus que des recettes d’appoint, sont également en berne (entre 600 000 € et 1 M€ en année normale pour le château de Fouquet).

Des trésoreries tendues mais qui tiennent

Dans la période que nous connaissons, une seule certitude : les comptes vont plonger dans le rouge, affichant des déficits plus ou moins importants en fonction de la réouverture ou non des lieux pour les fêtes de fin d’année. Des comptes qui auraient été plus mauvais encore si ces trois grands opérateurs privés n’avaient pas massivement eu recours au chômage partiel. Car, si la nature même de leur activité d’accueil d’un public rend une grande partie des 400 salariés de Culturespaces et des 70 salariés (en moyenne) de Vaux-le-Vicomte et de la Grotte Chauvet 2 (aux effectifs identiques) éligibles à l’activité partielle, ils ne bénéficient pas des mesures sectorielles, compte tenu de leur taille. Tous admettent que ce dispositif a été d’un grand secours.

Mais pas suffisant pour équilibrer la trésorerie, de sorte que chacun doit trouver des solutions pour équilibrer ses flux. À la Grotte Chauvet, on a fait appel à la trésorerie du groupe Kléber Rossillon qui possède l’entreprise et dispose d’un contrat de délégation avec la société d’économie mixte propriétaire du site. Mais si la réplique de la grotte doit rester fermée au-delà du 1er décembre, Alban de Goulaine envisage de négocier une aide ou une diminution de la redevance versée à la société d’économie mixte. À Vaux-le-Vicomte, afin d’entretenir le parc, on a sollicité la Société des amis pour tondre les pelouses. Alexandre de Vogüé n’exclut pas de monter lui-même sur le tracteur. « Pour l’instant cela tient », dit-il. Et si le reconfinement se prolonge ? « On puisera dans les prêts garantis par l’État. »

Le modèle vertueux de Culturespaces

Toutes proportions gardées, la situation est plus confortable chez Culturespaces, qui dispose d’une trésorerie abondante (au moins 10 M€) grâce aux formidables bénéfices dégagés par ses « centres d’arts numériques ». Cette nouvelle activité, au modèle économiquement vertueux, a doublé la taille de l’entreprise en quelques années. Les frais fixes pour l’adaptation des lieux (Paris, Bordeaux), telle la production de la scénographie, sont certes importants, mais une fois ceux-ci amortis, chaque billet supplémentaire est très rentable. Et Bruno Monnier compte bien pousser les feux et distancer ses dix-huit concurrents qui veulent entrer sur ce nouveau marché des expositions immersives. Pour cela, il continue à investir dans l’expérience du visiteur tout en multipliant les projets de centres à l’étranger, soit en direct (Amsterdam, Bruxelles), soit en franchise (Dubaï, Corée), soit en joint-venture (New York, en partenariat avec le géant américain IMG, ouverture prévue en février 2021 dans une ancienne banque à Tribeca). Et si la trésorerie n’est pas suffisante, Culturespaces pourra toujours solliciter un prêt ou se tourner vers son actionnaire Engie.

La crise crée cependant quelques opportunités. Ainsi la Grotte Chauvet 2, qui avait expérimenté les visites individuelles pendant l’été avec une application sur smartphone, envisage de pérenniser la formule, en fin de journée après les visites en groupe. Selon Alban de Goulaine, un public apprécie de faire la visite de la réplique à son rythme. À Vaux-le-Vicomte, le projet d’hôtel (« notre serpent de mer », sourit Alexandre de Vogüé) ressort des cartons, « car notre activité de séminaires est handicapée par la faiblesse de la structure hôtelière dans la région ». Il va également pousser le schéma directeur des travaux (un processus qui prend deux à trois ans) afin de disposer d’un état des lieux précis des travaux à mener et faciliter les demandes de financement.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°555 du 13 novembre 2020, avec le titre suivant : Comment les opérateurs culturels privés affrontent le reconfinement

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