Espagne - Musée

Comment le musée d’Eduardo Chillida s’est réinventé

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 23 février 2024 - 815 mots

HERNANI / ESPAGNE

Un modèle singulier de gestion partagée entre la fondation Chillida et la galerie Hauser & Wirth a permis au musée Chillida-Leku de renaître de ses cendres au Pays basque.

Extérieur du musée Chillida-Leku. © Mikel Chillida
Extérieur du musée Chillida-Leku.
© Mikel Chillida

Hernani (Espagne). Imaginé comme une œuvre d’art à part entière, Chillida-Leku (« le lieu de Chillida » en basque), musée créé en 2000 par le sculpteur Eduardo Chillida (1924-2002) au Pays basque, est resté une affaire familiale jusqu’à récemment. Il a dû fermer ses portes en 2010, après des recherches qui se sont révélées vaines pour trouver un partenaire pouvant contribuer à sa gestion. À la suite d’un accord avorté avec l’administration basque, un partenariat s’est noué avec la galerie internationale Hauser & Wirth et le musée a pu rouvrir en 2019. Cinq ans plus tard, quel est le bilan de cette cogestion ?

Un accord de représentation exclusive

Durant ses dix premières années, Chillida-Leku était un lieu d’initiés, aux horaires de visite restreints et aux expositions axées sur l’œuvre de Chillida. « J’aimais beaucoup le contact direct que nous avions avec les visiteurs, mais c’était devenu difficile pour la famille de gérer seule le site, il nous fallait trouver des partenaires », raconte Luis Chillida, l’un des fils de l’artiste et président de la fondation Chillida. Le musée a donc fermé ses portes durant plusieurs années, jusqu’à ce que soit conclu un accord de représentation exclusive de l’artiste avec la galerie Hauser & Wirth en 2017. Ces dernières années, les représentations d’estates d’artistes par des galeries commerciales ont explosé, la méga-galerie ayant elle-même à son actif pas moins d’une trentaine d’estates. Rien de surprenant donc ici, excepté le fait que l’accord comprend la gestion d’un musée d’artiste.

Pas de quoi effrayer la galerie qui a déjà créé plusieurs centres d’art à succès, éloignés du concept traditionnel de galerie commerciale, à Somerset (Royaume-Uni), Minorque (Espagne) et Los Angeles (Californie). Mais à Chillida-Leku, fait singulier, la gestion concerne un site préexistant, qui doit respecter l’héritage d’Eduardo Chillida. D’après le professeur Kosme de Barañano, spécialiste de l’œuvre de Chillida ayant organisé plus de vingt expositions en collaboration directe avec l’artiste, la participation d’Hauser & Wirth est constructive et rassurante. « Si la cote de l’œuvre d’Eduardo est acquise sur le marché de l’art, une diffusion de son travail auprès du public est à faire et l’expertise d’une des plus importantes galeries internationales est la bienvenue », explique-t-il. Après des travaux de rénovation menés par l’architecte Luis Laplace et le paysagiste Piet Oudolf, collaborateurs réguliers de la galerie, « le site reste très fidèle au projet initial de l’artiste », précise le professeur.

Intérieur du musée Chillida-Leku. © Mikel Chillida
Intérieur du musée Chillida-Leku.
© Mikel Chillida


Depuis la réouverture, la programmation du musée replace Chillida dans un contexte esthétique, grâce à des collaborations avec les fondations barcelonaises Antoni-Tàpies et Joan-Miró, et cette année la Fondation Maeght (Saint-Paul-de-vence), qui a prêté des œuvres majeures de Calder, Arp et Braque pour célébrer le centenaire de la naissance de Chillida. En 2023, l’artiste britannique Phyllida Barlow, représentée par Hauser & Wirth, a aussi bénéficié d’une exposition en ce lieu – en 2011 elle a écrit un texte sur Chillida pour la Tate Modern (Londres). « C’est un lien intéressant pour évoquer l’admiration d’un artiste contemporain pour le sculpteur. Le fait que l’œuvre de Phyllida soit représentée par Hauser & Wirth facilite effectivement les procédures et c’est une bonne chose, car le musée a besoin de s’entourer de collaborateurs permettant de réaliser des projets qui ont du sens », explique Mireia Massagué, directrice de Chillida-Leku.

Des ressources financières multiples et variées

À la nouvelle programmation d’expositions s’ajoutent des cours de yoga, des concerts et des dîners organisés l’été, pensés pour élargir le public, tandis qu’est proposé un passe annuel. « Chillida-Leku brise l’image d’un musée parfois considéré comme ennuyeux, le dialogue est direct entre les visiteurs et les grandes sculptures du parc », estime la directrice. Si le nombre de visiteurs a augmenté par rapport à 2010, en particulier l’année de la réouverture, en 2019, avec 70 000 visiteurs enregistrés d’avril à décembre, la fréquentation était de 57 000 personnes en 2023. Néanmoins, le musée s’est ancré localement. Il a été récompensé d’un prix d’implication dans la communauté en 2023 et vient de recevoir la médaille d’or du mérite des beaux-arts remise par le ministère de la Culture espagnol. Les enfants de Chillida sont, de leur côté, plus que satisfaits du rayonnement naissant de Chillida-Leku, qui est résolument « devenu un musée du XXIe siècle », estime Luis Chillida.

Le musée est aussi très soutenu localement. Aux recettes engendrées par les entrées, la boutique, le restaurant et la location de salles, s’ajoutent un réseau solide de mécènes privés et des subventions de la municipalité d’Hernani et du gouvernement basque qui renforcent l’apport financier de la fondation Chillida et de Hauser & Wirth. Les relations avec les institutions locales se sont aussi intensifiées, un accord de tarif réduit sur les billets d’entrée ayant été passé avec le Centre Botín (Santander), le Musée des beaux-arts de Bilbao et le Musée de Navarre.

Chillida-Leku,
Jauregi Bailara, 66, Hernani, Guipuzkoa, Espagne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Comment le musée d’Eduardo Chillida s’est réinventé

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