La fermeture de galeries et les doutes des collectionneurs révèlent une fragilité du marché de l’art contemporain plus criante que jamais.

Mais où sont passés les collectionneurs ? Avant la trêve estivale, les nuages noirs s’accumulaient au-dessus des galeries, asphyxiées par une activité en berne. L’été n’a pas dissipé les inquiétudes : certaines annonces de fermeture ont même produit l’effet de douches glacées. Il en va ainsi de celle de la galerie Clearing, fondée à New York par l’artiste Olivier Babin, spécialisée dans l’émergence (de créateurs devenus internationaux, comme Jean-Marie Appriou ou Huma Bhabha). Après quatorze années de success story, la structure disposait d’un fort capital de sympathie chez les institutionnels comme auprès des amateurs ; pour de nombreux observateurs tel Andrew Russeth, éditeur d’Artnet News Pro, elle était juste « so special » ! L’annonce de sa fermeture a généré sur Instagram 629 messages de condoléances emplis de cœurs endeuillés, l’écrasante majorité saluant une aventure « fantastique », « éternelle », « extraordinaire »… De quoi s’interroger : si les meilleures galeries ferment ou sont menacées, que font les meilleurs collectionneurs ?
Les soubresauts actuels du marché leur ont peut-être (enfin) donné l’occasion d’arrêter. Ils se sont peut-être sevrés, ou sauvés. Le collectionnisme, en effet, serait une maladie comme une autre ; sans même aller jusqu’à la syllogomanie (accumulation compulsive), tout collectionneur serait en proie à un « besoin pathologique » (Larousse). Pourtant, si l’on estime que 75 % des Français ont déjà collectionné, environ 40 % affirment s’y livrer actuellement, qu’il s’agisse de jouets, d’autocollants, de pièces de monnaie ou de cartes postales. Mais, souvent onéreuse et encombrante, la collection d’art – et plus spécialement d’art contemporain – est sans doute l’une des plus dévastatrices.
C’est ce qui ressort de la lecture des longs entretiens accordés en 2012 à l’historienne (et collectionneuse !) Anne Martin-Fugier pour son ouvrage de référence (Collectionneurs, paru initialement chez Actes Sud en 2012). De manière frappante, tous les interviewés y insistent sur les désagréments voire les dangers de cette pratique : ostracisation sociale et/ou amicale (également décortiquée dans la célèbre pièce Art [1994, Actes Sud] de Yasmina Reza, de nouveau à l’affiche à Paris) ; syndrome de l’imposteur (« j’avais conscience d’être un pigeon parfait pour certains galeristes », avoue Anne-Marie Charbonneaux), jusqu’aux risques de mise en danger financier, évoqués sur un mode humoristique par Didier Sicard : « nos trois filles qui avaient entre six et dix ans défilaient le long du Luxembourg avec des pancartes sur lesquelles elles avaient tracé un slogan : “Plus de peinture ! De la nourriture !”…
La plupart des collectionneurs pourraient se lamenter, ainsi Anne-Marie Charbonneaux, encore : « Je ressentais ma compulsion d’achat comme une addiction » ; « Chaque fois que j’achète, désormais, j’éprouve un embarras, une souffrance. Après, je me demande : “Comment ai-je pu replonger ?” » Ces tourments ont fini par atteindre le plus convaincu d’entre eux. Antoine de Galbert est en effet un indéfectible ami et soutien des arts, à travers la fondation qui porte son nom et l’étourdissante collection qu’il a réunie en cinq décennies. Entre 2004 et 2018, sa Maison rouge à Paris n’a même jamais cessé de vanter les mérites des collectionneurs, régulièrement mis à l’honneur dans ses expositions comme des passeurs passionnés et irremplaçables.
Pour Antoine de Galbert, « collectionner est une passionnante et douce thérapie », a-t-il toujours revendiqué. S’il a offert certains ensembles à des institutions de sa région d’origine (ses coiffes ethniques au Musée des Confluences de Lyon ou ses photographies à celui de Grenoble), il s’enorgueillissait jusque-là de n’avoir jamais revendu une seule œuvre. Pourquoi, alors qu’il reconnaît n’avoir besoin ni de place ni d’argent, a-t-il alors décidé de se séparer, radicalement et de manière retentissante, du noyau de sa collection, confiant à Piasa la vente publique, le 24 septembre, de près de 200 chefs-d’œuvre d’art brut , patiemment réunis au fil des ans ? « J’ai réussi à arrêter de fumer. Je veux voir si je peux arrêter de collectionner », rétorque-t-il. S’il y parvient, ce sera très mauvais signe pour tout l’écosystème de l’art, particulièrement vulnérable à cet instant. Si les collectionneurs désertaient en effet, ne resteraient alors que les spéculateurs : un cauchemar !
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Je suis collectionneur mais je me soigne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Je suis collectionneur mais je me soigne







