Collectionneurs

Je suis collectionneur mais je me soigne

Par Stéphane Corréard · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2025 - 678 mots

La fermeture de galeries et les doutes des collectionneurs révèlent une fragilité du marché de l’art contemporain plus criante que jamais.

Art de Yasmina Reza, mise en scène de François Morel, Théâtre Montparnasse, 31, rue de la Gaîté, Paris-14e, jusqu’au 20 décembre. © Manuelle Toussaint
Art de Yasmina Reza, mise en scène de François Morel, Théâtre Montparnasse, 31, rue de la Gaîté, Paris-14e, jusqu’au 20 décembre 2025.
© Manuelle Toussaint

Mais où sont passés les collectionneurs ? Avant la trêve estivale, les nuages noirs s’accumulaient au-dessus des galeries, asphyxiées par une activité en berne. L’été n’a pas dissipé les inquiétudes : certaines annonces de fermeture ont même produit l’effet de douches glacées. Il en va ainsi de celle de la galerie Clearing, fondée à New York par l’artiste Olivier Babin, spécialisée dans l’émergence (de créateurs devenus internationaux, comme Jean-Marie Appriou ou Huma Bhabha). Après quatorze années de success story, la structure disposait d’un fort capital de sympathie chez les institutionnels comme auprès des amateurs ; pour de nombreux observateurs tel Andrew Russeth, éditeur d’Artnet News Pro, elle était juste « so special » ! L’annonce de sa fermeture a généré sur Instagram 629 messages de condoléances emplis de cœurs endeuillés, l’écrasante majorité saluant une aventure « fantastique », « éternelle », « extraordinaire »… De quoi s’interroger : si les meilleures galeries ferment ou sont menacées, que font les meilleurs collectionneurs ?

Les soubresauts actuels du marché leur ont peut-être (enfin) donné l’occasion d’arrêter. Ils se sont peut-être sevrés, ou sauvés. Le collectionnisme, en effet, serait une maladie comme une autre ; sans même aller jusqu’à la syllogomanie (accumulation compulsive), tout collectionneur serait en proie à un « besoin pathologique » (Larousse). Pourtant, si l’on estime que 75 % des Français ont déjà collectionné, environ 40 % affirment s’y livrer actuellement, qu’il s’agisse de jouets, d’autocollants, de pièces de monnaie ou de cartes postales. Mais, souvent onéreuse et encombrante, la collection d’art – et plus spécialement d’art contemporain – est sans doute l’une des plus dévastatrices.

C’est ce qui ressort de la lecture des longs entretiens accordés en 2012 à l’historienne (et collectionneuse !) Anne Martin-Fugier pour son ouvrage de référence (Collectionneurs, paru initialement chez Actes Sud en 2012). De manière frappante, tous les interviewés y insistent sur les désagréments voire les dangers de cette pratique : ostracisation sociale et/ou amicale (également décortiquée dans la célèbre pièce Art [1994, Actes Sud] de Yasmina Reza, de nouveau à l’affiche à Paris) ; syndrome de l’imposteur (« j’avais conscience d’être un pigeon parfait pour certains galeristes », avoue Anne-Marie Charbonneaux), jusqu’aux risques de mise en danger financier, évoqués sur un mode humoristique par Didier Sicard : « nos trois filles qui avaient entre six et dix ans défilaient le long du Luxembourg avec des pancartes sur lesquelles elles avaient tracé un slogan : “Plus de peinture ! De la nourriture !”

La plupart des collectionneurs pourraient se lamenter, ainsi Anne-Marie Charbonneaux, encore : « Je ressentais ma compulsion d’achat comme une addiction » ; « Chaque fois que j’achète, désormais, j’éprouve un embarras, une souffrance. Après, je me demande : “Comment ai-je pu replonger ?” » Ces tourments ont fini par atteindre le plus convaincu d’entre eux. Antoine de Galbert est en effet un indéfectible ami et soutien des arts, à travers la fondation qui porte son nom et l’étourdissante collection qu’il a réunie en cinq décennies. Entre 2004 et 2018, sa Maison rouge à Paris n’a même jamais cessé de vanter les mérites des collectionneurs, régulièrement mis à l’honneur dans ses expositions comme des passeurs passionnés et irremplaçables.

Pour Antoine de Galbert, « collectionner est une passionnante et douce thérapie », a-t-il toujours revendiqué. S’il a offert certains ensembles à des institutions de sa région d’origine (ses coiffes ethniques au Musée des Confluences de Lyon ou ses photographies à celui de Grenoble), il s’enorgueillissait jusque-là de n’avoir jamais revendu une seule œuvre. Pourquoi, alors qu’il reconnaît n’avoir besoin ni de place ni d’argent, a-t-il alors décidé de se séparer, radicalement et de manière retentissante, du noyau de sa collection, confiant à Piasa la vente publique, le 24 septembre, de près de 200 chefs-d’œuvre d’art brut , patiemment réunis au fil des ans ? « J’ai réussi à arrêter de fumer. Je veux voir si je peux arrêter de collectionner », rétorque-t-il. S’il y parvient, ce sera très mauvais signe pour tout l’écosystème de l’art, particulièrement vulnérable à cet instant. Si les collectionneurs désertaient en effet, ne resteraient alors que les spéculateurs : un cauchemar !

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Je suis collectionneur mais je me soigne

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque