Livre

Impressionnisme

Une affaire de femmes

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2017 - 692 mots

Laurent Manœuvre raconte les destins des femmes impressionnistes et postimpressionnistes, notamment en France, à travers leurs combats pour pouvoir exister en tant que peintre.

Les Pionnières de Laurent Manœuvre établit un état des lieux des femmes impressionnistes et postimpressionnistes. À la fin du livre, les biographies sommaires de quatre-vingts artistes racontent ce que furent les années impressionnistes et postimpressionnistes pour les femmes peintres.
Les Françaises ne sont que dix dans cette liste. On ne peut pas réellement qualifier Victoria Dubourg (1840-1926) d’impressionniste ; il reste Jeanne Baudot (1877-1957), Marie Bracquemond (1840-1916), Lucie Cousturier (1876-1925), Eva Gonzalès (1849-1883) et sa sœur Jeanne (1856-1924), Blanche Hoschedé-Monet (1865-1947), Berthe Morisot (1841-1895) et Marie Sergeant-Duhem (1877-1957). Beaucoup moins, donc, que d’Anglo-Saxonnes ou de Nordiques, ce qui constitue une bonne indication de l’attitude de la société française à cette époque. On peut leur ajouter des Françaises de cœur, immigrées bienvenues pour gonfler les troupes : Marie Bashkirtseff (1858-1884), Mary Cassatt (1844-1926) ou Elizabeth Nourse (1859-1938). En 1895, Nourse fut la première femme élue associée à la Société nationale des Beaux-Arts, tandis qu’en 1893 Bashkirtseff avait fait partie de la délégation des French Women Painters à la Chicago World’s Fair and Exposition.

Désavouées et révolutionnaires
Les Américains n’étaient pas forcément favorables à ce que leurs filles deviennent peintres, même en France où elles rêvaient toutes d’exercer. Ainsi, raconte Laurent Manœuvre, Mary Cassatt exposa au Salon de 1868 sous le nom de sa grand-mère, Stevenson, par égard pour son père qui lui avait dit : « J’aimerais presque mieux te voir morte ». Mais l’auteur précise que les impressionnistes, subissaient une double peine : elles étaient femmes et révolutionnaires. Être impressionniste pour la génération de Morisot, de Marie Bracquemond ou des sœurs Gonzalès, était un véritable combat. Quant aux femmes, on sait que la société du XIXe siècle n’était pas tendre avec elles. Pour leur apprentissage, elles n’étaient pas acceptées dans tous les ateliers, ni aux Beaux-Arts. On s’offusquait de les voir peindre les modèles masculins nus et même le nu féminin semblait indécent pour elles. L’idée était répandue qu’elles avaient naturellement moins de talent que les hommes et le meilleur compliment qu’on pouvait leur faire était de leur reconnaître une manière de peindre masculine. Le collectionneur Ernest Hoschedé professait que l’art n’était pas le domaine des femmes et le marchand Paul Durand-Ruel, qui vendait Morisot, lui donnait la dernière place dans sa galerie.

Laurent Manœuvre remarque aussi que la société cantonnait les femmes à certains sujets : les enfants, les fleurs, les natures mortes, les portraits – le plus souvent de modèles féminins. Les autres thèmes chers aux impressionnistes, liés à la vie sociale à l’extérieur de la maison, étaient réservés aux hommes. Réduites aux sujets les moins bien payés, ces peintres professionnelles avaient souvent une activité annexe d’artisans d’art. En France, c’était rédhibitoire : elles n’avaient alors plus aucune chance d’être considérées comme de vraies artistes.

Construit par petits chapitres classés en plusieurs sections, le livre aborde tous ces points et montre également le déficit de reconnaissance dont souffrent ces femmes peintres aujourd’hui encore. Il est vrai que l’on n’achète pas leurs œuvres pour les collections publiques et, sans les dons et legs les concernant, leurs tableaux seraient absents des musées (ils le sont de fait, puisqu’ils sont souvent conservés en réserve…).

Cependant, plusieurs chapitres exposent des faits généraux de l’histoire de l’art ou de la civilisation du XIXe siècle en adaptant simplement le propos aux femmes artistes. La section intitulée « Paris et les femmes » est confuse, survolant la vie parisienne, la pauvreté et l’extrême richesse qui s’y côtoyaient. La partie « Héritages et ruptures » passe rapidement en revue les différents genres en peinture et la manière dont les femmes ont pu se les approprier.

D’autres sujets auraient pu être creusés avec plus de profit, par exemple le marché de l’art qu’ont connu ces peintres, en France et à l’exportation. Car une chose est sûre : les collections conservant des œuvres de femmes impressionnistes se trouvent pour la plupart en Grande-Bretagne et aux États-Unis, terre d’élection de ce mouvement grâce à des marchands comme Durand-Ruel qui en ont fait la spécificité française de l’époque.

Laurent Manœuvre, Les pionnières femmes et impressionnistes

Editions des Falaises, 208 p, 30 €.

Légende Photo :
Couverture de l'ouvrage de Laurent Manoeuvre, Les Pionnières femmes et Impressionnistes, éditions des Falaises

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : Une affaire de femmes

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