Histoire de l'art - Livre

L’internationalisation de l’art scandinave à l’époque moderne

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 27 novembre 2025 - 764 mots

À partir des années 1870, les artistes nord-européens ont multiplié les échanges entre eux et avec la France. Dans un ouvrage érudit et accessible, Serge Fauchereau retrace leurs parcours, succès et échecs.

Après L’Art des pays baltes en 2021, Serge Fauchereau publie une somme sur le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède, réunis par commodité sous le nom de pays scandinaves : ces contrées possèdent des langues et des cultures différentes, même si les artistes voyagent de l’une à l’autre. L’auteur aborde les pays successivement, dans l’ordre alphabétique, et suit la chronologie des années 1870 à 1950. Dans son introduction, il précise que, dans ce Nord pourtant relié à la France (où la plupart des artistes scandinaves sont passés ou ont vécu), le confort de lecture apporté aux historiens de l’art par les mouvements en « -isme » est loin d’être atteint. Là-bas, ils les « accommodent chacun pour soi. Attendons-nous à des surprises car, selon sa culture locale, chaque pays a sa chronologie particulière et ce qui est emprunté ici sera modifié là. […] Des célébrités internationales (Picasso, Mondrian, Malevitch, etc.) nous ont habitués à de soudains changements de style ; chez les Scandinaves cela se traduit surtout par des glissements ou des allers-retours […]. »

Des itinéraires artistiques variés

Quasiment aucun peintre n’est impressionniste : seuls le sont, parmi les artistes mentionnés dans le livre, Camille Pissarro, né aux Antilles danoises, et un autre Danois, Theodor Philipsen. Nombreux, en revanche, sont ceux qui peuvent être classés comme tenants d’un réalisme pleinairiste influencé par Jules Bastien-Lepage : au Danemark, Peder Severin Krøyer et Anna Ancher ; Frits Thaulow, Harriet Backer et Christian Krohg en Norvège ; Albert Edelfelt et Pekka Halonen en Finlande, Anders Zorn et Bruno Liljefors en Suède. Le livre fourmille de noms d’artistes moins connus chez nous qui ont adopté, au moins un temps, cette esthétique. Parfois, les peintres sont à la frontière du réalisme et du symbolisme : ainsi de la Norvégienne Kitty Kielland, du Finlandais Akseli Gallen-Kallela et de ses compatriotes Fanny Churberg et Helene Schjerfbeck. Mais, l’auteur nous a mis en garde : rien n’est figé. Ainsi, Schjerfbeck évolue à la fin de sa vie vers un expressionnisme dont témoigne Autoportrait à la tache rouge (1944). L’Islande est un cas particulier : sa période moderne ne débute qu’en 1900, avec le symbolisme du sculpteur Einar Jónsson et du peintre Thorarinn B. Thorlaksson. Quant à Jóhannes S. Kjarval, il passe simultanément par le symbolisme, le réalisme, le surréalisme ou encore l’expressionnisme. Avec un autre Islandais, Finnur Jónsson, et un Danois de la même génération, Richard Mortensen, il est un parfait exemple des « glissements » qu’évoque Serge Fauchereau.

Si le cubisme existe en Norvège avec Thorvald Hellesen et Charlotte Wankel, en Finlande grâce à Edwin Lydén ou Birger Carlstedt et au Danemark avec Olaf Rude, son accueil reste confidentiel. Dans les années 1920 et 1930, la Suède voit apparaître des « naïvistes », Hilding Linnqvist, Bror Hjorth et Eric Hallström. Au Danemark, après la Seconde Guerre mondiale s’affirme le mouvement CoBrA avec Asger Jorn. Il compte aussi des femmes comme « Else Alfelt [qui] est l’autre grande dame de CoBrA. Comme pour Sonja Ferlov, on a mis longtemps à le reconnaître. » L’art concret (abstraction géométrique) s’expose au Danemark tandis que « les Norvégiennes de l’abstraction […] ne sont pas comprises par leurs contemporains et seront longtemps négligées par la postérité ». En Islande, ce courant est représenté par Karl Kvaran ou Nina Tryggvadóttir et, en Suède, par Olle Bærtling qui part pour Paris où il rencontre la galeriste Denise René. Il exposera avec Auguste Herbin à Stockholm puis fera la conquête du reste de l’Europe et des États-Unis.

Loin d’être une compilation de mouvements artistiques, ce livre raconte des histoires d’hommes et de femmes. Étonnantes parfois, comme la double vie de la Suédoise Hilma af Klint ou le jeu de cache-cache d’un couple de Finlandais, les Sipilä. Serge Fauchereau relate qu’il a admiré, à l’exposition « Modernisme scandinave » (1989-1990), le tableau Église de Saint-Jean (vers 1918) de Sulho Sipilä. « Or voici qu’en 2005 on a découvert que c’était l’œuvre de son épouse. Du même coup, on a rendu publique toute une œuvre plastique négligée de Greta Hällfors-Sipilä (1899-1974). Lui a exposé et laissé une œuvre peu abondante, mais elle n’a jamais exposé et son œuvre copieuse était quasiment oubliée. » D’autres récits sont tragiques à l’image du destin des Suédois Carl Fredrik Hill et Ernst Josephson qui ont tous deux déclaré une schizophrénie dans les années 1870-1880. Elle libéra leur créativité et leur travail fut salué plus tard par Curzio Malaparte, Tristan Tzara et Georg Baselitz.

L’Art moderne des pays scandinaves, Serge Fauchereau,
Éditions, Flammarion, 464 p., 769 ill., 60 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : L’internationalisation de l’art scandinave à l’époque moderne

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