Livre

MONOGRAPHIE

Camille Claudel loin des clichés

Par Isabelle Manca-Kunert · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2025 - 512 mots

Les éditions Hazan publient une monographie de référence sur la sculptrice, qui tient autant du beau livre que de l’ouvrage scientifique.

Qui a dit que passion et amitié ne faisaient pas bon ménage ? Certainement pas Anne Rivière et Bruno Gaudichon. Depuis plus de quarante ans, ces derniers vouent en effet une passion commune à Camille Claudel (1864-1943). Les deux amis ont été parmi les principaux artisans de la résurrection de cette artiste à travers leurs expositions et leurs publications. L’historienne a, entre autres, signé en 1983 la première biographie de l’artiste (éd. Tierce). Tandis que, jeune conservateur en poste au Musée Sainte-Croix, à Poitiers, son acolyte avait orchestré en 1984 la première exposition Claudel, en exhumant des pièces oubliées dans les réserves de l’institution. Il était donc évident qu’ils leur incombaient la responsabilité, et le privilège, de rédiger sa toute première monographie. Car, aussi étrange que cela puisse paraître, eu égard à l’immense notoriété de cette sculptrice si bankable, il n’existait aucune monographie de référence sur elle. La commande des éditions Hazan est donc venue remplir une vraie lacune.

Pour ce coup éditorial, la maison spécialisée dans les livres d’art n’a pas fait les choses à moitié. L’ouvrage tant attendu est de fait luxueux. D’un grand format, sous coffret, il a clairement été calibré comme un bel objet à glisser sous le sapin. Abondamment illustré, comme il se doit pour un livre de ce standing, il offre de superbes visuels en pleine page. Les chefs-d’œuvre, à l’exemple de L’Âge mûr, bénéficient même de somptueuses doubles pages qui offrent de saisissants tête-à-tête avec ce peuple de pierre et de métal. L’un des atouts du livre est indéniablement la richesse, la variété et la beauté de ses reproductions. Une qualité qui explique le prix élevé de l’ouvrage, mais qui permet une formidable plongée dans la matière. En dépit de ce faste, il ne s’agit pas simplement d’un beau livre d’images à poser ostensiblement sur sa table basse. Ambitieuse, la monographie contient à la fois un catalogue précis de l’œuvre de Camille Claudel, des textes biographiques éclairants et des essais qui font le point sur près d’un demi-siècle d’études.

Au-delà de la simple synthèse, le livre avance en outre des hypothèses inédites et vivifiantes. Il propose, par exemple, d’aborder la production de la sculptrice à travers le prisme de sa dimension littéraire et d’envisager son œuvre telle une autofiction. Les auteurs appellent également à reconsidérer certaines facettes de son travail, comme la question de la réutilisation des formes. Ils présentent cette démarche non pas comme un essoufflement de sa créativité, mais, au contraire, comme un laboratoire des formes hautement autoréférentiel.

L’autre vertu de l’ouvrage est son positionnement scientifique et dépassionné. On sait gré en effet aux auteurs de sortir enfin cette grande artiste de l’ornière de la lecture anachronique et victimaire dont elle est hélas affublée depuis sa redécouverte. Limpide et accessible mais enlevé, ce texte à quatre mains, chose rare dans le milieu de la recherche où la chasse gardée est davantage de mise que le processus collaboratif, fait déjà figure de classique.

Camille Claudel. L’expression farouche de l’intime, Anne Rivière et Bruno Gaudichon,
éd. Hazan, « Essais », sous coffret, 280 p., 110 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : Camille Claudel loin des clichés

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