Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne fait des restitutions et du prêt d’œuvres aux pays africains spoliés la condition d’une réelle universalité des musées.
Philosophe, professeur émérite à l’université Columbia à New York, le Sénégalais Souleymane Bachir Diagne vit entre les cultures sénégalaise, française et états-unienne. En 2024, il a été l’invité de la « Chaire du Louvre » et y a donné un cycle de cinq conférences sur le thème « Louvre : quels universels ? » dont il a tiré un livre. Il mène une réflexion sur les restitutions et préside, depuis sa création en 2024, le conseil scientifique du Fonds franco-allemand de recherche de provenance des objets culturels originaires des pays d’Afrique subsaharienne, chargé d’examiner les projets de recherche sur les collections africaines des musées allemands et français.
À l’occasion de sa Chaire du Louvre, Souleymane Bachir Diagne a proposé d’accompagner la métamorphose du pavillon des Sessions en « galerie des Cinq Continents » en s’exprimant sur la « vocation universelle » du Musée du Louvre. Il a pris appui sur le sous-titre « Vers une nouvelle éthique relationnelle » du « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain » de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, remis en 2018 au président de la République : « Je considère qu’une telle expression signifie que les objets concernés par les recherches de provenance – lesquelles doivent être menées – seront reconnus dans leurs métamorphoses, leur devenir-rhizomes, leur polysémie, et qu’ils seront en conséquence reconnus dans le rôle de médiateurs, d’intercesseurs, qui doit être le leur dans un dialogue à établir entre les œuvres, entre les cultures qu’elles représentent, entre les musées, au Nord comme au Sud, entre les humains enfin. »
Le « devenir-rhizome » et la « polysémie » sont illustrés tout au long de l’ouvrage qui cite à plusieurs reprises Amadou Mahtar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco, décédé peut de temps avant le début de la Chaire du Louvre 2024 : « Certaines œuvres partagent depuis trop longtemps et trop intimement l’histoire de leur terre d’emprunt pour qu’on puisse nier les symboles qui les y attachent et couper toutes les racines qu’elles y ont prises », déclarait celui-ci dans un discours de 1978. Ainsi, selon Souleymane Bachir Diagne, se dessine « une autre manière de “prendre le tournant post-colonial” sur la question de la restitution ». Un exemple est la Statue dédiée au dieu Gou (1850-1860), attribuée à Ekplékendo Akati, provenant d’Abomey ou Ouidah (Bénin). Cette sculpture appartenant au Musée du quai Branly est passée du pavillon des Sessions à la galerie des Cinq Continents. Apollinaire la citait comme « l’objet d’art le plus imprévu et un des plus gracieux qu’il y ait à Paris » et la fascination qu’elle exerçait sur Picasso se retrouve dans La Femme au jardin (1929-1930) conçue pour le monument à Apollinaire. Réclamée par le Bénin, elle est restée en France, contrairement au trésor d’Abomey. L’auteur lui imagine un avenir : « Sans doute est-elle de celles que l’on peut voir se partager entre son pays natal et la “terre d’emprunt” où elle a fait pousser des racines. » Car « la place des œuvres à restituer est à penser et à construire » et l’objectif doit être de « restituer pour partager ». L’Übersee Museum de Brême (Allemagne) a transféré la propriété de 18 de ses objets au Nigeria, qui décidera lesquels retourneront à leur pays d’origine et lesquels continueront à être prêtés au musée. « Les œuvres qui se partageront ainsi […] témoigneront de la violence coloniale qui les a menées là, en même temps qu’elles manifesteront la force créatrice qui a présidé à leur naissance et profondément influencé notre modernité artistique. Elles ne seront pas reçues dans l’universel : elles contribueront à le forger. »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°667 du 12 décembre 2025, avec le titre suivant : « Restituer pour partager »





