Radio & télévision

Les Journées du Patrimoine

« Chefs-d’œuvre en péril », la télé au secours du patrimoine

Par Sarah Belmont · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 752 mots

Victor Hugo, Eugène Viollet-le-Duc, Prosper Mérimée… L’intérêt des Français pour leur patrimoine n’est pas nouveau. Depuis 1984, il se cristallise autour des Journées nationales du patrimoine.

Fixé au troisième week-end du mois de septembre, cet événement permet au public de visiter la majorité des monuments historiques de France gratuitement. Une cinquantaine d’années plus tôt, le journaliste Pierre de Lagarde cherchait déjà à transmettre son amour des pierres à travers une série d’émissions intitulée Chefs-d’œuvre en péril, qui eurent à l’époque un immense retentissement, au point que l’expression est passée dans le langage courant. On doit au journaliste d’avoir participé au sauvetage de nombreux sites menacés.

Tout commence par une enquête télévisée sur la disparition d’une église normande en mars 1962. Fort du succès de l’émission, Pierre de Lagarde décida de produire une série de reportages encourageant la sauvegarde d’édifices en voie de disparition. Ainsi est né le programme Chefs-d’œuvre en péril. L’émission va durer jusqu’en 1992, une longévité exceptionnelle malgré une interruption de deux ans entre 1974 et 1976. Elle réunissait encore près de 1,2 million de téléspectateurs vers la fin de sa vie, mais il est vrai qu’à l’époque il y avait encore très peu de chaînes. Très vite, l’objet de ces documentaires piqua la curiosité d’autres pays. Une fois relayé sur les ondes de l’ex-ORTF, le projet de démolition de la maison de Marcel Proust, par exemple, déclencha un tollé aux États-Unis et au Japon.

Une émission polémique
À l’inverse, Chefs-d’œuvre en péril ne faisait pas l’unanimité au sein du Gouvernement. Soutenue par le ministère de la Culture, du temps où André Malraux (1964-69), puis Edmond Michelet (1969-70) l’incarnait, l’émission déplaisait aux « bulldozers » de gauche, tel le maire d’Avignon, désireux de moderniser le vieux centre-ville. Les responsables de l’Inventaire officiel des monuments historiques, voyaient eux d’un très mauvais œil le fonds photographique que constituait Pierre de Lagarde à travers ses reportages. Il aura fallu que le journaliste, a priori intouchable, dénonce explicitement leurs pratiques pour qu’il soit licencié de la télévision. Son dossier, paru dans le quatrième numéro de la revue Chefs-d’œuvre en péril, donna pourtant lieu à une enquête et des réformes au sein du Gouvernement. Si bien qu’après deux ans d’interruption, l’émission fut ressuscitée, jusqu’en 1992, sur Antenne 2.

Les maisons rurales du Limousin, les églises toulousaines, la basilique de Vézelay, en Bourgogne, le musée de Charroux et de son canton en Auvergne, la forteresse de Guis (que le service des Ponts-et-Chaussées entendait raser), l’abbaye de Clermont, le château du Goutelas, dans la Loire… comptent parmi les monuments phare de l’émission, laquelle ne se bornait pas aux églises et aux châteaux. Le reportage consacré à la démolition du vieux Metz, en 1964, verse volontairement dans le pathos. Une voix off lit un extrait de La Guerre aux démolisseurs de Victor Hugo, tandis que défilent des clichés de ruines en noir et blanc.

Un concours pour aider les bénévoles
Pierre de Lagarde déclina le concept dans différents formats. Une revue que l’on vient d’évoquer et en 1964 un concours « Chefs-d’œuvre en péril », qui récompensait les sauveteurs les plus méritants. Parmi les lauréats, Gérard Verdeau consacrait son maigre pécule à l’entretien de chapelles bretonnes. Quant au Club du Vieux Manoir, on lui doit la restauration d’une partie du château d’Argy (1963). Les prix étaient remis par André Malraux et Valéry Giscard d’Estaing au Palais de l’Élysée. Ces prix ne se limitaient pas à des trophées, car l’amour des pierres a un coût. Plus qu’un soutien moral, le concours « Chefs-d’œuvre en péril » devait apporter une aide financière aux sauveteurs. Le directeur général de l’ORTF était chargé d’écrire aux préfets de département, qui demandaient à leur tour au conseil général de voter une subvention de 50 000 à 100 000 nouveaux francs. En échange, la chaîne consacrait une émission à la circonscription choisie. Plus de soixante-dix reportages ont été tournés dans ce contexte, les bénévoles filmés bénéficiant également des dons des téléspectateurs. « Nous sommes, en ce sens, les ancêtres du Téléthon », explique aujourd’hui Pierre de Lagarde qui voit dans Des Racines et des ailes l’héritière directe, quoique plus fortunée, de son émission. « Moi aussi j’aurais bien voulu survoler la France en hélicoptère ». L’intérêt des Français pour leur patrimoine ne cesse de progresser incitant les chaînes de télévision à multiplier les émissions qui lui sont consacrées. Dernière en date, Sauvons nos trésors, que va présenter Stéphane Bern en septembre sur France 2 et qui s’inscrit directement dans le sillage de Chefs-d’œuvre en péril.

Légende photo

Extrait du générique de l'émission « Chefs-d'oeuvre en péril », qui était diffusée de 1962 à 1970 sur l'ORTF. © Ina.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : « Chefs-d’œuvre en péril », la télé au secours du patrimoine

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque