Mode - Ventes aux enchères

Le dressing des stars électrise les acheteurs

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2021 - 1093 mots

MONDE

Le marché des vêtements griffés d’un grand couturier et portés par des célébrités est en pleine croissance.

Manteau Schiaparelli soir ayant appartenu à la comédienne Renée Saint-Cyr, Collection Haute-Couture 1938-1939, vendu 540 000 euros par Cornette de Saint Cyr. © Cornette de Saint Cyr Robe portée par Marilyn Monroe lors de son interprétation de Happy Birthday, Mr. President en 1962 et vendue pour 4,3 M€ en 2016. © Julien's Auctions
Manteau Schiaparelli ayant appartenu à la comédienne Renée Saint-Cyr, collection Haute-Couture 1938-1939. Robe portée par Marilyn Monroe lors de son interprétation de « Happy Birthday, Mr. President » en 1962.
© Cornette de Saint Cyr © Julien's Auctions

L’année dernière, plusieurs vacations ont dévoilé les garde-robes de célébrités, de Jeanne Moreau à Christophe, en passant par Joséphine Baker. 2021 n’est pas en reste : il y a déjà eu le dressing de Zizi Jeanmaire chez Christie’s le 26 janvier (161 000 €), il y aura celui de Chantal Thomass le 6 mai chez Millon, quand celui de Juliette Gréco sera à saisir cet automne chez Crait & Müller à Paris. Outre-Atlantique, ce sont les effets de la chanteuse Amy Winehouse qui seront dispersés par Julien’s Auctions (Beverly Hills), leader dans ce domaine des ventes aux enchères. En janvier 2019, la garde-robe de Catherine Deneuve signée Yves Saint-Laurent, conservée dans sa maison en Normandie, avait fait exploser les compteurs chez Christie’s, quadruplant son estimation initiale pour atteindre 900 625 euros.

Ce marché n’est pas nouveau. Sotheby’s et Christie’s ont orchestré des ventes Textile & Fashion à Londres pendant plusieurs décennies, puis les ont arrêtées il y a une douzaine d’années, continuant à en organiser de manière occasionnelle – à l’instar des ventes Elizabeth Taylor (2011) ou Audrey Hepburn (2017). Cependant, les dynamiques ont changé récemment : « Ce marché si particulier de vêtements ayant appartenu à une célébrité s’est vraiment développé il y a une dizaine d’années », rapporte Didier Ludot – célèbre « antiquaire de mode » qui a lui-même vendu une partie de sa collection haute couture chez Sotheby’s en 2015 et 2017 (1,6 M€) –, expert de la prochaine vente Chantal Thomass. « Le grand virage intellectuel et culturel a eu lieu lorsque les musées se sont mis à s’intéresser à la haute couture en tant qu’expression artistique à part entière en organisant des expositions. Leur intérêt et la volonté des marques de valoriser leur patrimoine ont fait que les maisons de ventes se sont réveillées et que les vendeuses stars – ou pas stars – ont commencé à regarder leurs garde-robes avec des yeux nouveaux. Tout cela a fait que le marché a explosé », analyse Camille de Foresta, commissaire-priseuse chez Christie’s. Des expositions comme celle de Christian Dior au Musée des arts déco (2017), de Gabrielle Chanel cette année (contrariée par la pandémie), Dries Van Noten ou encore Alexander McQueen au Victoria and Albert Museum en sont des témoignages. En vogue depuis longtemps aux États-Unis, ce marché est désormais international. « Même si les Américains sont de gros acheteurs – ce culte voué aux célébrités a été alimenté par la machine hollywoodienne –, nous avons des clients dans le monde entier », assure Jennifer Anne Lorenzi, spécialiste Mode chez Julien’s Auctions.

Motivations des vendeurs

Que ce soit pour faire de la place, pour une question d’argent, pour affiner sa collection ou passer le flambeau à une nouvelle génération de collectionneurs, ces ventes interviennent majoritairement à l’occasion d’une succession. « Les vêtements ou costumes de scène de chanteurs ou de célébrités sont rarement vendus par la star elle-même, mais par ses ayants droit ou d’anciens proches collaborateurs – secrétaires, attachées de presse, habilleuses, managers – et même, dans la plupart des cas, ce sont les enfants de ces proches collaborateurs, qui eux, n’ont pas le même attachement », analyse l’expert Fabien Lecœuvre, lui-même collectionneur – il possède 85 costumes de scène qu’il prête pour des expositions.

Les acheteurs, eux, se classent en quatre catégories. Les musées d’abord, comme celui du château des Milandes (Dordogne), la propriété de Joséphine Baker qui avait racheté son fameux slip bananes. Les maisons de haute couture figurent aussi sur les rangs : la maison Yves Saint-Laurent a acquis en 2018 la veste brodée d’un soleil dans le dos, portée par Johnny Hallyday au Palais des sports en 1971 (25 520 €). Il y a également les collectionneurs privés de haute couture – comme Azzédine Alaïa qui a collectionné toute sa vie –, mais aussi les fashionistas et les fans. Dans ce cas, « ils achètent un morceau de leur enfance ou adolescence, un bout d’histoire qui a enchanté leur jeunesse. Surtout, il faut qu’il y ait une part d’ADN : leur idole a porté le vêtement et y a laissé des traces », souligne Fabien Lecœuvre. Enfin, les designers à venir ou déjà en place utilisent toutes ces archives comme une réserve d’inspiration. « Prendre part à ces ventes, c’est aussi le moyen d’accéder à un savoir-faire français de très haut niveau qui aujourd’hui est naufragé », observe Camille de Foresta.

« Les prix ne sont jamais irrationnels »

Des prix records ont ainsi été enregistrés : la robe que Marilyn Monroe portait lors de son interprétation de « Happy Birthday, Mr. President » [voir ill.], en 1962 figure à la première place (4,3 M€, en 2016), suivie de la fameuse robe noire griffée Givenchy portée par Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s (608 000 €, en 2006) et d’un manteau du soir signé Elsa Schiaparelli [voir ill.], provenant de la garde-robe de l’actrice Renée Saint-Cyr, adjugé 542 200 euros chez Cornette de Saint-Cyr, le 12 février. « D’une manière générale, quand il y a un nom célèbre, les prix augmentent de 30 % », précise Didier Ludot. « Ce sont des pièces uniques avec une histoire intéressante que l’on ne peut pas simplement acheter dans un magasin, alors les enchérisseurs sont prêts à dépenser de grosses sommes d’argent. Ils ne veulent pas rater ces opportunités », analyse Jennifer Anne Lorenzi. Pour autant, même si les estimations sont souvent dépassées, ce n’est pas un marché spéculatif et les prix ne sont jamais irrationnels. « Pour Johnny Halliday, les prix oscillent entre 7 000 et 20 000 euros. Au-delà, il n’y a plus d’acquéreurs », note Fabien Lecœuvre.

Pour que les enchères s’enflamment, en plus de la provenance, de la rareté et du très bon état de conservation, les vêtements doivent présenter un intérêt. « Ils doivent avoir une identité, représenter le style du créateur et l’époque à laquelle ils ont été créés. On ne vend pas aux enchères un petit pull noir parce qu’il a été porté par Catherine Deneuve », précise Didier Ludot.

Outre de bons résultats obtenus aux enchères, ce marché permet aux maisons de ventes d’attirer de nouveaux enchérisseurs. « Dans les ventes Catherine Deneuve et Zizi Jeanmaire, 60 % des acheteurs étaient nouveaux chez Christie’s. Ils sont d’ailleurs revenus d’une vente à l’autre et, entre temps, ils ont acheté des bijoux, des sacs à main… », se réjouit Camille de Foresta. Un bon filon donc, mais Didier Ludot se désole : « Je regrette que les célébrités françaises ne s’habillent plus. La France a perdu sa réputation d’élégance et de raffinement. Le marché risque de se déplacer sur les stars étrangères, notamment américaines… »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°562 du 5 mars 2021, avec le titre suivant : Le Dressing des stars électrise les acheteurs

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