Un entretien avec Germano Celant, conservateur au Guggenheim Museum de New York

Le Journal des Arts

Le 13 juin 1997 - 1356 mots

Germano Celant a été nommé directeur pour les Arts visuels de la Biennale de Venise il y a seulement six mois. Il explique notamment dans quelles conditions il a pu monter cette 47e édition et les raisons qui l’ont poussé à choisir le thème \"Futur, Présent, Passé\" pour l’exposition internationale.

Les dernières éditions de la Biennale de Venise ont été caractérisées par un éclatement en plusieurs lieux à travers la ville. Pour quelles raisons avez-vous choisi de recentrer le plus possible "votre" biennale en la présentant sur deux sites seulement ?
Germano Celant : Les raisons de ce regroupement sont multiples. L’impact de l’exposition s’en trouve renforcé, et l’on évite ainsi de disperser l’attention du visiteur. Elle donne en outre une vision unitaire de l’exposition internationale qui sera présentée au Pavillon de l’Italie, dans les Giardini di Castello, et aux Corderies de l’Arsenal. Ces deux sites ont en commun l’élégance et la compacité des espaces qui favorisent la lisibilité. Ayant conçu cette biennale comme un panorama d’étoiles, de novae et de supernovae, j’ai voulu constituer une surface homogène où les astres représentant le passé, le présent et l’avenir pourraient briller et s’éclairer mutuellement. Enfin, je crois que la biennale doit affirmer cette homogénéité dans le quartier du Castello, et qu’il convient de limiter les manifestations secondaires sous "patronage", qui tendent à troubler la proposition critique de la manifestation.

L’idée d’une plus grande concentration – d’une synthèse – est également appliquée à la section italienne de l’exposition : la limitation à trois artistes représente sans doute un record. Pourquoi avoir misé sur Spalletti, Cucchi, et surtout un jeune comme Cattelan ?
Une fois précisés une méthode de simplification et le désir d’aller à l’essentiel, la limitation de la participation à trois artistes s’est inscrite dans le prolongement de la démarche internationale. Les pays étrangers sélectionnent entre un et trois artistes et leur offrent la possibilité de bien s’exprimer en leur consacrant tout un pavillon. Comme je voulais inscrire l’art italien dans le contexte mondial, j’ai pensé qu’il convenait de réduire le nombre de ceux qui s’en réclament. J’ai ainsi évité l’entassement, qui a toujours pénalisé l’art italien, et j’ai sélectionné trois artistes de générations différentes qui présentent des visions contrastées. On retrouve là l’idée des "Futur, Présent, Passé" de l’Italie. Le choix est tombé sur Cattelan, Cucchi et Spaletti pour trois raisons essentielles. La première tient à l’obligation d’identifier les divers courants contemporains dans ce pays ; la seconde, à l’audace qu’il y a à les rapprocher et à les faire cohabiter pour la défense d’un même langage ; la troisième, enfin, au besoin urgent que nous ressentons tous de mettre en valeur des recherches, sans souci d’appartenance à un groupe, à une tendance, et même sans tenir compte de la compétition individuelle. Cattelan, Cucchi et Spalletti vont être ainsi les porte-parole de la section Italie et établir entre eux des échanges virtuels et formels.

Les artistes de l’exposition internationale vont-ils présenter des œuvres "historiques" pour illustrer la période examinée ?
L’histoire repose sur la contemporanéité des travaux exécutés spécifiquement pour la Biennale de Venise ou en prise directe avec elle : il ne s’agit donc pas de partir d’une œuvre historique pour écrire une histoire de la contemporanéité. Si l’on voulait avoir recours à une autre métaphore, je dirais que je me suis placé devant un écran électronique qui rassemble toutes les données possibles sur les artistes et leurs appartenances. J’ai alors entrepris mon voyage initiatique en me fondant sur les attirances et les connaissances, les souvenirs et l’expérience, la curiosité et la séduction, les pays et les cultures. J’ai emprunté plusieurs voies qui m’offraient toujours un indice ou un centre d’intérêt. Il m’est arrivé de faire halte et de me pencher sur le passé, et à d’autres moments, j’ai fait un écart et poursuivi ma route, selon ma logique personnelle de "navigateur". De telles analogies s’accordent pleinement avec la rapidité d’un voyage qu’il m’a fallu entreprendre au début de janvier et achever maintenant, afin de mettre sur orbite la 47e Biennale de Venise.

Quel est le parcours proposé aux Corderies ?
La mise en scène et l’orchestration d’une exposition dépendent des acteurs ou des musiciens, ainsi que des instruments mis à leur disposition. Il faut connaître à fond les intervenants et le matériel pour réussir l’exécution. Sur ce point, j’ai recueilli auprès des artistes toutes les informations possibles sur leur projet et leurs exigences. Grâce aux architectes Gae Aulenti et Daniela Ferreti, je me suis également accoutumé à la diversité architectonique des lieux. J’ai alors entrepris une orchestration qui n’est pas encore définitive. Nous n’en sommes qu’aux répétitions. On s’efforce de respecter le plus possible les individualités en recourant à toutes sortes de présentations. Dans le Pavillon de l’Italie, chaque artiste dispose d’un espace clos, autonome. Aux Corderies, par contre, les "nefs" de ces extraordinaires bâtiments du XVIe siècle resteront cette fois ouvertes, sans aucune subdivision. On accueille là les nomades de l’art et leurs œuvres sans leur imposer de frontières, sans les parquer, comme s’ils étaient livrés aux quatre vents.

Comment avez-vous choisi l’équipe des commissaires, qui comprend aussi bien des directeurs de musées qu’une artiste comme Carla Accardi ?
J’ai d’abord visé l’efficacité et la continuité dans les préparatifs d’une manifestation qu’il fallait monter en moins de trois mois. J’ai fait appel à un ensemble de spécialistes qui se trouvent confrontés quotidiennement aux problèmes concrets posés par les expositions. La décision de demander à des directeurs de musées de siéger à ce comité et l’invitation faite à une artiste de les y rejoindre répondaient aussi au besoin de pouvoir compter sur des personnes qui sont en contact permanent avec l’art ou le créent. Leur contribution a été déterminante pour l’aménagement des espaces d’exposition, comme pour trancher ou pour nous éclairer sur les générations déjà reconnues. Pour le choix des représentants de l’avenir, j’ai consulté trois jeunes conservateurs – Nancy Spector, Vicente Todoli et Giorgio Verzotti – sensibles aux mutations en cours. Ils se sont montrés très responsables et m’ont fourni des informations ponctuelles sur les artistes que l’on pouvait présenter pour la première fois.

Comment la Biennale de Venise va-t-elle se situer par rapport à celle du Whitney et à la Documenta, et quelles alternatives va-t-elle proposer ?
Les grandes expositions se caractérisent par leur présentation et par la sélection des artistes invités, outre le contexte culturel et historique dans lequel elles se déroulent. Il faudra d’ailleurs écrire un jour l’histoire de ces grandes manifestations pour évaluer quel a été leur apport en matière d’exposition, et non les juger sur l’énumération fastidieuse de ceux qui y ont participé. Ceci mis à part, la méthode que l’on applique à la Biennale du Whitney et à la Documenta diffère radicalement de celle dont on use à Venise. Chez nous, l’analyse prend en compte divers niveaux d’interprétation : le lieu, l’intention, le nom, le contexte, les conservateurs, le caractère international, la nouveauté, les participations nationales. En 1997, la Biennale de Venise n’a qu’un seul artiste en commun avec Documenta – Gerhard Richter –, ce qui me paraît une différenciation suffisante entre nous. Quant à la Biennale du Whitney, on assure qu’elle ne s’intéresse qu’à l’art américain, alors que Venise est multiculturelle et internationale.

On sait que votre prédécesseur, Jean Clair, a entretenu des rapports difficiles avec le Comité directeur de la biennale, et même avec la municipalité. Quelle a été votre expérience
dans ce domaine ?
Pour ma part, je dois dire que durant cette brève période, j’ai travaillé dans de bonnes conditions, aussi bien avec l’ancien Comité directeur qu’avec le nouveau, de même qu’avec le personnel permanent de la Biennale. Je crois que la rapidité, l’urgence même avec laquelle il convenait d’agir ne nous ont pas permis de perdre inutilement du temps et de l’énergie. Nous nous sommes efforcés de coordonner tous les efforts pour parvenir à un résultat positif. Je dois également admettre qu’à côté de mes responsabilités de conservateur, je me préoccupe toujours de la gestion. Or, après une vérification rapide, je suis en mesure d’affirmer que le fonctionnement de la biennale sera excellent, une fois qu’elle aura été simplifiée et que quelques  changements auront été mis en œuvre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : Un entretien avec Germano Celant, conservateur au Guggenheim Museum de New York

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