Biennale de Venise, Documenta, Münster

Une trilogie exceptionnelle de l’art contemporain

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 13 juin 1997 - 674 mots

Les hasards du calendrier provoquent cet été une concentration d’événements exceptionnelle. La Documenta de Cassel et la Biennale de Venise coïncident pour la première fois, et à ces deux manifestations majeures, il faut encore ajouter le Skulptur Projekte de Münster, la Biennale du Whitney, la Biennale de Lyon et la Foire de Bâle.

À considérer le seul calendrier des expositions de l’été, on pourrait penser que l’art d’aujourd’hui occupe décidément une place aussi privilégiée qu’incontestée dans la société contemporaine. Éclairé par un fort soleil de midi, l’art, semblerait-il, n’est affecté par aucune ombre. Du nord au sud de l’Europe se préparent simultanément des manifestations prestigieuses qui risquent de provoquer quelques embouteillages dans les revues spécialisées et de faire perdre la tête à un public qui n’en demandait peut-être pas tant. Foin des débats sur la crise des valeurs esthétiques ou du marché, débats sans cesse différés, dissous dans l’enthousiasme ou dans la nécessité, et qui ne sauraient en tout cas résister à une telle série de démonstrations culturelles. Pourtant, si le rôle de ces expositions n’est évidemment pas de poser des questions de principe, on perçoit tout de même une certaine inquiétude que trahit le souci rétrospectif qui se fait jour à Cassel et à Venise. Avant la fin du siècle, la volonté d’esquisser un bilan ou une relecture se fait jour chez la plupart des commissaires. Ces derniers temps, à Venise il y a deux ans, et au Centre Pompidou avec "Made in France", les vastes rétrospectives étaient proposés à la faveur d’anniversaires institutionnels. Pour la 47ème Biennale de Venise, Germano Celant déploie son savoir-faire à l’enseigne de "Futur-Présent-Passé", traduction politique et optimiste du sentiment d’être parvenu à un moment charnière, plus largement dominé par les incertitudes que par les convictions. En cette fin de ce siècle, tout se passe comme s’il s’agissait de se libérer du passé récent et d’apurer les comptes avant inventaire : le néologisme incantatoire de Catherine David, "rétro-perspective", va dans le même sens. S’y mélangent une vision culturelle stratégique, des présupposés volontaristes et parfois (faussement) naïfs, la crainte de commettre des erreurs de jugement et la volonté de raisonner le futur. La dimension critique de l’art est appuyée, les intellectuels sont associés de près par une série ininterrompue de conférences, les nouvelles technologies et l’art du tiers-monde y sont traités sur un même pied.

Münster : l’art au cœur de la cité
Rien de tel à Münster et à Lyon, où le poids de l’institution est sans doute moins lourd à porter, et où l’on emprunte des voies qui sont d’ailleurs antithétiques. Klauss Bussmann et Kasper König ont une volonté pédagogique clairement affichée, qui tient à ses origines et se manifeste aussi dans la périodicité de la manifestation, dont ce sera la troisième édition depuis 1977. Loin des grandes synthèses et des visions panoramiques, l’accent est mis sur la dimension concrète de l’art et sur les conditions de son inscription au cœur de la cité. Les conditions mêmes dans lesquelles ce projet peut se réaliser écartent tout aussi bien le danger du spectaculaire qu’au contraire, Harald Szeemann affronte à Lyon avec une gourmandise non dissimulée. Ici sera mise en valeur la nature éminemment contradictoire de l’art contemporain, qui ne saurait ni soutenir ni être soutenu par un discours idéologique autoritairement exprimé. Il est évidemment impossible de préjuger de l’intérêt de ces différentes expositions, dont certaines sont préparées de longue main, et d’autres presque totalement improvisées. Mais cette saison offrira la possibilité unique d’observer l’émergence de nouvelles lignes de force ou de rupture dans les rapports des artistes eux-mêmes à l’institution et à ceux qui l’incarnent. Rapports souvent plus stratégiques qu’artistiques, plus politiques qu’intuitifs. Ces rituels spectaculaires, dont on prédit régulièrement l’essoufflement, ont dans les années soixante-dix exercé une influence cruciale sur les générations successives. Paradoxalement, la précautionneuse mise en perspective culturelle et politique dont ils font aujourd’hui l’objet pourrait les asseoir durablement dans leur fonction spectaculaire en les privant dans le même temps de ce rôle de laboratoire qui faisait il y a quelques années encore tout leur prix.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : Biennale de Venise, Documenta, Münster

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