L’ACTUALITÉ VUE PAR

Bernard Latarjet, directeur général de Marseille-Provence 2013

« Marseille en avait plus besoin que les autres villes »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2008 - 1354 mots

Ingénieur général du génie rural, des eaux et des forêts de formation, Bernard Latarjet a travaillé à la Datar avant de s’orienter vers les institutions culturelles. De 1991 à 1992, il a été conseiller spécial de Jack Lang au ministère de la Culture et de la Communication avant de rejoindre l’Élysée en qualité de conseiller technique sur les affaires culturelles et les grands travaux (1992-1995). De 1996 à 2006, il assume la présidence de l’Établissement public du parc et de la grande halle de la Villette. Fin 2006, il est appelé par Jean-Claude Gaudin pour piloter la candidature de Marseille au titre de capitale européenne de la culture 2013. Bernard Latarjet commente l’actualité.

Selon vous, pour quelles raisons Marseille a-t-elle été choisie à l’unanimité par le jury pour être l’une des deux capitales européennes de la culture en 2013 ?
C’est une question qu’il vaudrait mieux poser aux membres du jury, d’autant plus que je ne connais pas le détail des projets des autres villes. Néanmoins, je pense que Marseille disposait de quatre atouts. Le premier est sa position géopolitique à la frontière de l’Europe et de la Méditerranée, dans un contexte où les enjeux culturels de la construction européenne portent de plus en plus sur des thèmes méditerranéens, tels que l’immigration, les rapports entre les cultures ou les religions, autant de questions qui se posent avec davantage d’acuité à Marseille. Le second atout est que Marseille en avait plus besoin que les autres villes candidates et l’Europe ne peut pas être indifférente au bonus qu’apporte son label à une ville qui ne dispose pas déjà de tous les moyens d’une attractivité culturelle européenne. Notre troisième atout était la réalité de notre mobilisation et de notre travail collectif. Lors de nos auditions, le jury s’est rendu compte que les acteurs marseillais étaient les auteurs de ce projet. Enfin, le dernier atout de Marseille et de son territoire relève de son extraordinaire richesse, à la fois géographique et historique.

Malgré cela, ne pensez-vous pas que certaines considérations politiques ont pu peser sur ce choix ?
Les jurés ont déjà répondu à cette question. Très sincèrement, je pense que les sept jurés européens ont été totalement indifférents aux questions de politique française ; en ce qui concerne les Français, j’ai de très bonnes raisons de penser qu’ils n’ont pas été sensibles aux éventuelles pressions. De plus, vous savez bien que l’initiative du président de la République a plutôt embarrassé certains membres de l’Union européenne (UE). La Méditerranée n’a pas que des partisans au sein de l’UE, plusieurs Européens étant plus attirés par un rapprochement vers les pays de l’Est.

Pourtant, l’annonce très attendue du financement du Mucem est intervenue juste avant la désignation de Marseille…
Ce n’est pas exact. Cette confirmation a fait l’objet d’une lettre lors de la campagne présidentielle, c’était un engagement écrit du candidat Nicolas Sarkozy. Le dégel des crédits a ensuite eu lieu conformément à un calendrier précis. Or, il se trouve que l’arbitrage a été rendu à Matignon à la fin de l’été, donc peu de temps avant l’annonce de la désignation de Marseille. Pour ma part, je n’ai jamais été inquiet au sujet du Mucem. La mission de Stéphane Martin [président du Musée du quai Branly] était claire : il s’agissait de préciser certains points du projet relatifs à sa faisabilité avant de lancer la mise en œuvre du musée.

Le projet du Mucem a-t-il été un élément déterminant pour le jury ?
Oui, car il s’agit du premier musée international consacré aux civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Il a donc été déterminant pour la candidature, comme il l’est pour l’Europe et pour Marseille, en étant le premier grand établissement culturel national à y être décentralisé.

Comment expliquez-vous que Marseille ait un tel déficit en termes d’équipements culturels ?
Le bilan de Marseille n’est pas honteux par rapport aux autres métropoles françaises. D’ailleurs, j’attends la comparaison avec les autres villes ! Il est vrai que nous n’avons pas de musée des beaux-arts équivalent à celui de Lille ou de Lyon. Mais l’avenir culturel des grandes métropoles est-il dans la reconstitution de musées de beaux-arts sur le modèle du XIXe siècle, dans les villes où ils n’existent pas ? Je ne suis pas sûr que ces modèles institutionnels du XIXe siècle restent la référence pour les politiques culturelles des grandes métropoles européennes et internationales. C’est une question qu’il faudrait se poser. De la même manière, je ne suis pas certain que la multiplication des « Guggenheim Bilbao » soit un modèle d’avenir culturel. Pour différentes raisons, à la fois économiques et financières, mais aussi pour des raisons culturelles liées à la diversification de la création des œuvres et à l’évolution des pratiques.

Mais, dans ce contexte, la création du Mucem est-elle opportune ?
La mission de Stéphane Martin avait justement pour objet de revoir certaines conditions de programmation artistique et culturelle du Mucem. Le Musée du quai Branly est un très bon exemple : s’il n’était pas un centre culturel polyvalent et populaire, il ne tiendrait pas avec ses seules collections permanentes. C’est la question qu’il faut se poser pour le Mucem. Comment en faire un lieu de présentation des collections, mais aussi un véritable centre culturel pluridisciplinaire vivant, ouvert le soir, accessible à différentes catégories de public, plutôt qu’un simple conservatoire ?

Dans le cadre de Marseille-Provence 2013, quelle articulation allez-vous établir avec les manifestations culturelles déjà existantes dans la Région ?
Le territoire de la candidature, c’est le département des Bouches-du-Rhône et l’agglomération de Toulon, soit 2,2 millions d’habitants. Les grands festivals d’Arles, Aix-en-Provence, ou La Roque d’Anthéron, par exemple, sont donc bien évidemment des acteurs majeurs du projet.

Envisagez-vous une extension sur le pourtour méditerranéen ?
Bien sûr, nous avons déjà des projets engagés en Italie, Grèce, Turquie, Liban, Israël, Palestine, Espagne, Tunisie…, et bientôt en Algérie.

Quelles retombées attendez-vous de ce titre ?
Cela dépend des critères retenus. À Lille, d’après les chefs d’entreprise, la ville a gagné dix années en termes de notoriété. Les retombées financières peuvent aussi être significatives. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la compétition est devenue si difficile. À titre d’exemple, et d’après une étude de la Chambre de commerce et d’industrie, l’exposition « Cézanne » à Aix-en-Provence, en 2006, a généré 6 euros de retombées pour un euro investi.

Politiquement, n’est-ce pas l’occasion de prouver qu’une grande ville gouvernée à droite peut aussi jouir d’une image culturelle forte ?
La ville est à droite, mais le territoire est à gauche. Dans notre budget spécifique, la Ville de Marseille ne compte d’ailleurs que pour 15 %, les autres collectivités territoriales contribuent à hauteur de 55 %. C’est donc la candidature d’un territoire politiquement très varié, mais dont les acteurs savent se rassembler sur les projets importants.

Quel sera le montant de l’aide financière de l’État ?
Je ne compte pas sur une contribution importante de l’État car je connais très bien les tensions budgétaires actuelles. Pas davantage sur celle de l’UE, qui s’inscrira dans le cadre des programmes européens existants.

Quel est le budget global prévisionnel ?
Le budget de fonctionnement s’élève à 100 millions d’euros, ce qui correspond à l’actualisation des 72 millions de Lille 2004. Sachant que 350 millions d’euros sont dépensés tous les ans pour la culture sur le territoire, cela représentera pour les collectivités, sur les quatre ans de préparation, une augmentation de moins de 10 %. Les investissements sont par ailleurs chiffrés à 500 millions d’euros ; mais il s’agit d’opérations immobilières de nature et de financements très divers, y compris privés.

Serez-vous prêts en 2013 ?
Je ne vous promets rien. Mais par rapport à toutes les capitales passées, nous sommes bien avancés sur le plan des projets. Nous avons aujourd’hui soixante-quatorze programmes calés et prêts à démarrer en termes de production.

Enfin, quelles expositions vous ont marqué récemment ?
J’ai beaucoup apprécié « Traces du sacré » au Centre Pompidou [à Paris], car c’est une exposition magnifique et que les expositions thématiques tiennent une place importante dans notre projet, mais aussi la rétrospective « Lovis Corinth » au Musée d’Orsay [à Paris]. Cela a été pour moi une grande découverte, ce qui est toujours très stimulant.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Bernard Latarjet, directeur général de Marseille-Provence 2013

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