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RENCONTRE

Jean-François Chougnet, un président de musée très engagé

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 27 février 2018 - 1308 mots

PARIS

De la révolution des Œillets à la présidence du MuCEM, l’historien énarque est un homme engagé, qui a œuvré dans les hautes sphères du ministère de la Culture avant de s’impliquer plus directement sur le terrain.

Jean-François Chougnet
Jean-François Chougnet
Photo Agnes Mellon
Courtesy MUCEM

La question est posée. Pourquoi Jean-François Chougnet a-t-il choisi de quitter en 2011 Lisbonne à laquelle il voue un fort attachement pour une ville inconnue et surtout pour une tâche compliquée et ingrate ? Il le reconnaît lui-même : avant de prendre la direction de Marseille-Provence 2013 (MP2013), il ne connaissait pas la cité phocéenne. Il aurait pu immédiatement décliner la proposition de Bernard Latarjet faite par téléphone de reprendre les rênes de l’association chargée de la programmation de la « Capitale européenne de la culture ». On était à deux ans à peine de son ouverture. Il n’en avait porté ni la candidature ni le programme. Il avait seulement connaissance des difficultés du dossier. Certes Bernard Latarjet et lui avaient travaillé ensemble quelques années auparavant à la Villette, le premier en tant que président, lui comme directeur général.

Jean-François Chougnet dirigeait alors depuis six ans le Musée d’art moderne et contemporain Berardo dont il avait contribué à l’ouverture, et n’avait nullement manifesté son désir de démissionner de son poste, « un des plus beaux jobs de [s]a vie », précise-t-il de cette voix tranquille qui le caractérise. Il n’avait pas davantage envisagé de quitter Lisbonne, la ville dont il parle la langue et qu’il aimait bien avant d’y emménager. Pourquoi avoir donc choisi de partir pour Marseille ? Par besoin quasi instinctif de trouver des solutions à des situations complexes comme ses proches, ou ceux qui ont travaillé ou travaillent avec lui, relèvent systématiquement ? « Certainement », reconnaît Jean-François Chougnet, « mais tout le monde aime ça », ajoute-t-il. Pas sûr…

Un « hypercurieux de toutes les scènes culturelles »
Pascal Neveux, directeur du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Provence-Alpes-Côte d’Azur à Marseille, se souvient de leur première rencontre et de ses impressions d’alors, le décrivant comme « quelqu’un de pragmatique, de franc, de discret cherchant à trouver des solutions pour relancer MP2013 et à recréer un climat de confiance avec l’ensemble des collectivités ». On connaît la suite : le succès de la manifestation, l’impact sur la ville, la nomination de Jean-François Chougnet à la présidence du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MucCEM) et son implication aujourd’hui dans la programmation de MP2018 (Marseille-Provence 2018), manifestation pluridisciplinaire qui irrigue le département des Bouches-du-Rhône, depuis le 14 février. Il est l’un des quinze membres du comité d’orientation artistique chargé de la programmation de l’événement construit dans le sillage de MP2013. « C’est vraiment un directeur de musée atypique, poursuit Pascal Neveux. Car il est à la fois un fin connaisseur des arcanes des collectivités publiques, de la politique et en même temps hypercurieux de toutes les scènes culturelles quelles que soient les disciplines. » Et Macha Makeïeff, directrice de La Criée, Théâtre national de Marseille, autre membre du comité d’orientation artistique de MP2018, d’ajouter son « grand sens de la chose publique, cette pointe d’humour et d’anticonformisme qu‘il faut pour que le débat ne se fige pas ».

« Sans rien en lui qui pèse ou qui pose », comme aime à le définir Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne en citant un vers de l’« Art poétique » de Verlaine. Les deux hommes se sont rencontrés au Centre Pompidou, au Mnam (Musée national d’art moderne) où Bernard Blistène était alors un jeune conservateur et Jean-François Chougnet un non moins jeune administrateur de musée. Il avait 28 ans. Il ne portait déjà pas sa fonction sur lui. Pas plus qu’il ne portait de costume. « Je n’en ai jamais eu », dit-il. Il n’a pas non plus disposé dans sa carrière de voiture de fonction et de chauffeur. Il se déplace toujours sur deux roues. Le scooter a simplement remplacé le Solex avec lequel il circulait quand il était conseiller budgétaire au cabinet de Jack Lang, en 1981 ; il travaillait alors en lien étroit avec Jacques Sallois, directeur de cabinet, et Claude Mollard, chargé de mission. L’ancien ministère de la Culture se demande d’ailleurs toujours comment Jean-François Chougnet a réussi à rentrer dans la cour de l’Élysée avec son Solex pour remettre à Jack Lang l’argumentaire qu’il avait concocté avec Claude Mollard afin de contrecarrer Laurent Fabius, ministre du Budget, dans ses velléités d’amputer le budget de la Culture. Ce conseil des ministres de juillet 1981 est passé à la postérité. Pour la première fois de son histoire, le budget de la Culture était porté à 0,75 % du budget de l’État.

Conseiller budgétaire de Jack Lang
Par deux fois Jean-François Chougnet a participé au cabinet du ministre, en 1981-1983 puis en 1988-1990, en tant que conseiller budgétaire. Jack Lang se souvient « de sa finesse d’analyse, de sa connaissance érudite du système budgétaire, administratif et de grande modestie, retenue. Il était un collaborateur extrêmement agile, vif, pleinement engagé, partageant avec ferveur nos convictions ». « Des années d’effervescence que je n’ai jamais retrouvées à ce niveau d’incandescence », confie quant à cette époque Jean-François Chougnet, arrivé en 1981 Rue de Valois par le jeu des affectations à la sortie de l’ENA. Là encore rien ne fut prémédité, pas plus que le cursus Sciences Po Paris-ENA intégré sur les conseils d’un professeur d’histoire au lycée puis de Gérard Vincent. Cette grande figure de la rue Saint-Guillaume l’encouragea à passer le concours de l’ENA avec ces mots : « Si on critique l’institution, mieux vaut être légitime. Vous êtes un bon élève. Allez-y. » Il y est allé et a été reçu, laissant en plan sa thèse entamée à la Sorbonne sur la politique du Mouvement républicain populaire après la Libération. Il ne s’est pas pour autant désintéressé de l’histoire politique. En novembre 2017 il a assisté à la journée d’étude sur Michel Rocard et les années PSU (Parti socialiste unifié).

Jean-François Chougnet a été un militant très jeune. « Je suis de la génération qui n’a pas connu Mai 68, mais pas suffisamment peu pour ne pas en être très marqué », dit-il pour l’expliquer. D’où la carte prise au PSU dès le lycée, le voyage à Lisbonne en juillet 1974 pour vivre à 17 ans la révolution des Œillets au Portugal. Sa promotion à l’ENA, dénommée « Droits de l’homme », a elle-même été « assez militante, sans aucune star toutefois comme si toutes les stars avaient été épuisées par [la promotion] Voltaire de l’année précédente », souligne-t-il avec malice. « N’oubliez pas la révolution des Œillets, moment important dans son parcours », avait glissé Bernard Blistène. Elle a de fait scellé à vie son lien avec Lisbonne, tandis que ses années au PSU jusqu’à l’autodissolution du parti ont été une période fondamentale. Elles ont forgé l’homme que l’on pouvait retrouver parmi les participants de Nuit debout ou parmi les signataires de « De la nécessité des points rouges », manifeste rédigé après la sortie de Marion Maréchal-Le Pen en septembre 2015, lors de l’université d’été du FN, sur les « dix bobos qui font semblant de s’émerveiller devant deux points rouges sur une toile ». Parmi les autres causes qui mobilisent Jean-François Chougnet figurent aussi son désir de réhabiliter des artistes comme le Marseillais Richard Baquié, celui de mieux faire connaître la scène artistique portugaise en France, en particulier Pedro Cabrita Reis. À sa façon, sans tapage mais assurément.

 

Parcours


1957 Né à Anthony (Hauts-de-Seine)
 

1985-1987 Administrateur du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou
 

1988-1990 Conseiller budgétaire au cabinet de Jack Lang, ministre de la Culture
 

2001-2006 Directeur du parc et de la Grande Halle de la Villette
 

2007-2011 Directeur du Musée Berardo (Lisbonne), qui présente la collection d’art moderne et contemporain d’un mécène portugais
 

2011-2013 Directeur général de l’association Marseille-Provence 2013, l’événement qui fait de Marseille une « Capitale européenne de la   culture »
 

2016-2018 Membre du conseil d’orientation artistique de MP2018

Depuis septembre 2014 Président du MuCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée)

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°495 du 16 février 2018, avec le titre suivant : Jean-François Chougnet un président de musée très engagé

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