Justice

Perquisitions

Affaire Bouvier : une bombe à retardement

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 606 mots

L’arrestation du transitaire et consultant Yves Bouvier déclenche une onde de choc sur le marché de l’art.

MONACO - La nouvelle des perquisitions survenues le 11 mars au port franc et à la galerie Nelombos de Genève a fait frémir nombre d’antiquaires. Révélées par le quotidien suisse Le Temps, elles ont été conduites à la suite de la plainte déposée à Monaco par le milliardaire russe Dmitry Rybolovlev, propriétaire du club de foot de la principauté, à l’encontre d’Yves Bouvier. Mis en examen pour escroqueries et complicité de blanchiment, il a été laissé libre sous caution de 10 millions d’euros.

Ce nom ne dira rien au grand public. Mais les professionnels de l’art connaissent ce transitaire suisse, devenu en vingt ans l’un des consultants les plus influents du marché. Il a monté la Foire internationale des beaux-arts de Moscou, dont l’édition de septembre a été annulée à la dernière minute. Sa compagnie Natural Le Coultre a connu le succès en installant des services dans les ports francs. Actionnaire de celui de Genève, nourrissant des projets à Pékin et Shanghaï, Yves Bouvier a ouvert celui de Singapour, dont il est devenu résident. Rybolovlev a obtenu dans un premier temps un gel de ses avoirs à hauteur d’un demi-milliard de dollars (460 M€), avant que le tribunal de Singapour n’allège l’addition, en l’assortissant d’une caution, d’un montant de 20 millions d’euros, de son adversaire, en garantie des dommages éventuels.

En septembre, Yves Bouvier a inauguré un port franc à Luxembourg avec deux associés français cités par le quotidien luxembourgeois Luxemburger Wort : Olivier Thomas, marchand d’art et spécialiste de l’import-export, et Jean-Marc Peretti. Cet homme d’affaires corse, propriétaire de la galerie perquisitionnée à Genève, a été mis en cause dans les remous d’un cercle de jeux parisien, mais il n’a jamais été condamné. Il a affirmé à la Tribune de Genève « n’être concerné ni de près ni de loin par les relations commerciales » entre Rybolovlev et Bouvier et avoir simplement été rémunéré par ce dernier pour avoir « donné son avis sur photo sur des œuvres ».

Les répercussions de ce feuilleton aux allures de série B peuvent être sismiques pour la place parisienne. C’est déjà une mauvaise nouvelle pour le député maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet, qui soutient depuis des années le projet de Bouvier de transformer l’île Séguin en une « île des arts ». Sur un bout de terre décidément maudit, ce projet méchamment baptisé « R4 » avait un budget au départ estimé à une centaine de millions d’euros.

Des millions qui s’envolent
Bouvier a été attiré par Rybolovlev à Monaco le 26 février. À son arrivée, il s’est fait passer les menottes. Il a reconnu lui avoir vendu en une dizaine d’années une quarantaine de Picasso, Gauguin, Klimt, Toulouse-Lautrec, Magritte ou Degas. Le Russe lui reproche d’avoir facturé 118 millions de dollars un Nu au coussin bleu de Modigliani. Il aurait appris, le soir du réveillon, de la bouche du consultant Sandy Heller, que seulement 93 millions auraient été versés au vendeur, le financier new-yorkais Steve Cohen. De même, le collectionneur affirme avoir payé 125 millions de dollars le Christus als Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, avant d’apprendre que le vendeur « n’aurait touché que 75 à 80 millions ». Bouvier quant à lui conteste avoir agi en « mandataire, rémunéré sur commission », se présentant comme « un marchand, qui réalise des marges bénéficiaires, sans avoir à les détailler ». Il assure que son partenaire s’est retourné contre lui pour éviter d’avoir à payer « des dizaines de millions » sur un tableau de Mark Rothko de 1951.

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Yves Bouvier, marchand d'art et fondateur de la société immobilière SCI R4 © Vanessa Franklin / R4

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Affaire Bouvier : une bombe à retardement

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