10 ans après l’interpellation d’Yves Bouvier, l’avocat Yves-Bernard Debie revient sur une affaire qui a défrayé la chronique.

La parution d’un roman graphique consacré à « la folle histoire du tableau le plus cher du monde », ce Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, nous offre l’occasion de nous repencher sur l’affaire Bouvier / Rybolovlev.
Presque une décennie d’un combat épique, entre tragédie grecque et polar américain, dont la presse et le marché de l’art se sont délectés. Acteurs, scénario, décors, tout était réuni pour un roman à succès : un milliardaire russe, un marchand suisse, Monaco, Genève, New York, l’Asie, des galeries d’art, sans oublier Picasso, Van Gogh ou même Léonard de Vinci.
L’histoire d’une escroquerie à un milliard de francs suisses, dont personne ne doutait, enfin pas au début...
Une escroquerie ? Vraiment ? Mais laquelle au final ? Entre les coups de théâtre et les effets de manches des plaideurs, on n’en oublierait presque le fond du litige.
C’est à Monaco, le 25 février 2015 à 10 h 00 précises, que les enquêteurs de la Principauté procèdent à l’interpellation du célèbre marchand d’art, Yves Bouvier. Placé en garde à vue pour une durée initiale de vingt-quatre heures, il sera finalement privé de liberté jusqu’au 28 février.
Bouvier ne le sait pas encore mais il vient d’être piégé, par son client, l’oligarque russe, Dmitri Rybolovlev, dont l’avocate a minutieusement préparé son arrestation, de connivence avec les enquêteurs, le directeur de la Sûreté Publique, le directeur des services judiciaires et le procureur général qui n’a pas hésité à participer à la rédaction de la plainte pénale.
Si les plus hautes instances judiciaires monégasques ont, depuis, sévèrement condamné ces pratiques, qui sont autant de vices de procédure, en annulant en 2019 et 2020 l’intégralité des actes d’enquête et d’instruction et en prononçant l’abandon de toutes les charges fabriquées sur mesure contre le marchand suisse, il semble bien que l’appareil judiciaire de la Principauté ne pouvait rien refuser en 2015 au patron de l’AS Monaco.
Toutes les procédures, de Genève à Singapour en passant par Hong Kong et New York, se devaient d’emprunter la même logique et de faire les mêmes constats : il n’y a jamais eu en ce dossier d’infractions pénales, pas plus que de dommages civils.
Il avait raison, Yves Bouvier, en septembre 2021 de confier, joyeux, à un quotidien suisse, tenant ses jugements à la main : « je mène 10 à 0, que des victoires, aucune défaite ! », tout en concédant avoir été presque ruiné par la quérulence d’un homme qui s’était manifestement trompé de colère et de combat mais qui avait les moyens de le mener sur trois continents, quitte à perdre, mais tout en s’assurant d’étrangler financièrement et médiatiquement son adversaire.
Vae victis ? Pas vraiment, même si l’ego du milliardaire qui venait du froid a dû en prendre un sérieux coup. C’est par une transaction rendue publique le 7 décembre 2023 que les hostilités ont pris fin dans la confidentialité qui s’attache à ces armistices judiciaires.
Finalement, dans cette affaire si médiatisée où on ne retient que le parfum du scandale, que reprochait Dimitri Rybolovlev à son marchand Yves Bouvier ?
Avant qu’ils ne soient ensevelis sous les strates successives des avalanches de procédures, ses griefs étaient clairement identifiables, compréhensibles et sans aucun doute justifiés, s’ils étaient avérés.
D’une part, Yves Bouvier ne serait intervenu que dans le cadre d’un contrat de courtage limitant sa commission à 2 % et, d’autre part, les prix payés étaient à ce point exorbitants qu’ils auraient été constitutifs d’une véritable escroquerie aux sens commun et pénal du terme.
Le premier reproche allait être écarté sans peine par les avocats de Bouvier puisqu’aucune convention de courtage n’existait entre les parties et que toutes les transactions s’étaient faites sur la base de contrats de vente négociés. C’est bien en qualité de marchand et non de courtier que Bouvier était intervenu, libre d’acheter et de revendre au prix qu’il fixait.
Le second reproche, celui du prix payé, lorsque l’on s’écarte des règles purement civiles, semblait plus difficile à contredire. Ce grand homme d’affaires russe s’était-il fait avoir en payant trop cher des œuvres, certes extrêmement rares, mais dont la valeur sur le marché n’atteindrait jamais les sommets auxquels il les avait achetées ? Un premier élément de réponse s’imposait d’emblée sous la forme d’un questionnement : pourquoi, s’il était convaincu d’avoir été victime d’une escroquerie en surpayant sa collection, avoir refusé l’offre de Bouvier de lui racheter l’intégralité des œuvres litigieuses au prix payé et, enfin, pourquoi n’avoir jamais sollicité devant les tribunaux, la résiliation des contrats de vente ?

En 2017, moins de deux ans après le début de l’affaire Bouvier / Rybolovlev, le dossier allait être de facto vidé de sa substance par le Salvator Mundi de Léonard de Vinci. Le collectionneur, qui se disait lésé et se plaignait d’avoir acquis l’œuvre pour 127 millions de dollars à son marchand qui ne l’avait payé « que » 83 millions, avait cru bon, sans doute pour étayer la thèse d’une escroquerie, de la remettre en vente chez Christie’s à New York.
Lorsque le marteau du commissaire-priseur frappa le pupitre du Rockefeller Center, le 15 novembre 2017, devant une salle archicomble et survoltée, on ne sait si le président de l’AS Monaco frémit d’avoir réalisé la plus importante plus-value de l’histoire du marché de l’art ou s’il comprit qu’il venait de marquer contre son camp et de perdre définitivement son procès. 450 - 127, le calcul de la marge brute est vite fait : 323 millions de dollars de bénéfice !
Ordalie par l’enchère, Yves Bouvier se voyait innocenté avant même la tenue du procès, sous le regard d’un Christ de la Renaissance !
Impossible ensuite, sans faire sourire, de se prétendre la victime d’une escroquerie. D’autant que cette revente lucrative ne fut pas isolée : en 2021, une œuvre de Picasso achetée 12,5 millions de dollars fut revendue plus de 34 millions puis, en 2022, ce fut un paysage de Van Gogh, acheté 18 millions d’euros et revendu presque 52 millions de dollars, chez Christie’s New York toujours.
Des retours sur investissement à faire rêver tout collectionneur d’art et même jusqu’aux traders les plus ambitieux de Wall Street.
N’en déplaise à Monsieur de la Fontaine, ce n’est pas d’une souris que ce dossier devenu montagne venait d’accoucher, mais d’un géant du marché de l’art.
Ce que retiendra l’Histoire, ce sont ces onze années durant lesquels, de 2003 à 2014, Yves Bouvier a minutieusement sélectionné, acheté, documenté, expertisé 37 chefs-d’œuvre de l’art occidental pour les revendre à son client privilégié, Dmitri Rybolovlev, et constituer avec lui l’une des plus importantes collections privées au monde, tant en qualité qu’en valeur.
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Affaire Bouvier / Rybolovlev : deux gagnants
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