L’exposition réunit la moitié de la production connue de l’artiste, en la mettant en regard avec ses copistes et contemporains.

© Nicolas Héron
Paris. Difficile d’imaginer Georges de La Tour (1593-1652) sur le banc des grands oubliés de l’histoire de l’art. Maître de la lumière, virtuose du clair-obscur, l’artiste lorrain a pourtant rencontré un succès aussi éclatant qu’éphémère, qui s’est bien vite estompé après sa mort. Plus de deux siècles d’un oubli complet, suivi d’une retentissante redécouverte au début du XXe siècle, l’exposition de Jacquemart-André prolonge cette mise en lumière alors qu’aucune manifestation d’envergure ne lui avait été dédiée en France depuis près de trente ans. « C’est une exposition moins ample que la grande rétrospective qui lui avait été consacrée au Grand Palais en 1997, qui reprenait pratiquement cinquante ans de recherche sur l’artiste », reconnaît Pierre Curie, conservateur au musée, qui assure le commissariat avec l’historienne de l’art, Gail Feigenbaum, spécialiste de l’œuvre de La Tour. Deux tableaux phares – presque jamais prêtés – manquent notamment à l’appel : La Diseuse de bonne aventure (Metropolitan Museum of Art, New York) et Le Tricheur à l’as de carreau (Louvre), scènes de genre qui font figure à part dans son œuvre. « Ce n’est donc pas une rétrospective, mais bien “un” Georges de la Tour qui est présenté. Celui des effets lumineux, des nuits, des gueux et mendiants… »

© Nicolas Héron
D’emblée, l’entrée donne le ton. L’œil est immédiatement attiré par La Femme à la puce, l’un des tableaux les plus énigmatiques de La Tour, prêté par le Musée lorrain de Nancy. Œuvre profane ou religieuse ? Femme s’arrachant une puce ou servante égrenant un chapelet ? Le sujet interpelle, et le tableau révèle l’importance que revêt la lumière sous le pinceau de l’artiste, qui fait de la lueur d’une chandelle un élément structurant de la composition. Dans un bel écho à ce clair-obscur, les cimaises aux tons noir et or font bien ressortir les peintures. Une scénographie signée Hubert Le Gall, qui conçoit régulièrement celles des expositions de Jacquemart-André.
L’œuvre de La Tour est, à plusieurs reprises, mise en regard avec celle des artistes de son temps : Mathieu Le Nain (1607-1677), Jean Le Clerc (1586-1633), Trophisme Bigot (1579-1650)… « Ce sont des œuvres que Georges de La Tour a pu voir, qui l’ont influencé, ou qui ont du moins un lien avec sa carrière et son œuvre, explique Pierre Curie. Nous avons aussi voulu enrichir l’exposition avec les meilleurs tableaux de son atelier. » Ce choix est pertinent dans le cas de Georges de La Tour, puisque cette confrontation permet une meilleure compréhension de son œuvre.
Il subsiste, encore aujourd’hui, de nombreuses zones d’ombre dans la vie de l’artiste : nul ne sait auprès de qui il s’est formé, à quoi ressemblait la production de ses quinze premières années de carrière, et aucune de ses œuvres ne peut être datée avec certitude avant 1645. Surtout, une grande partie de son œuvre a disparu lors de l’incendie de Lunéville en 1638. Sur les centaines de tableaux qu’il a dû peindre, seule une quarantaine d’œuvres autographes lui sont attribuées et l’exposition rassemble vingt-trois d’entre elles. La présence de copies d’atelier, qui représentent parfois des originaux perdus, se révèle donc d’autant plus bienvenue.

© Nicolas Héron
Comme d’accoutumée, le parcours doit composer avec les espaces étroits du musée, qui nuisent inévitablement au confort de visite. Mais l’exiguïté des salles est contrebalancée dans la mesure du possible : si l’espace restreint gêne la contemplation de quelques grands formats (tout de même peu nombreux), comme les portraits en pied de mendiants aveugles, la répartition des œuvres est bien pensée. Ainsi, dans un long couloir, ce sont plusieurs apostolados de petites dimensions qui sont accrochés. Dans les salles plus spacieuses, le visiteur peut découvrir ou revoir des œuvres emblématiques de Georges de La Tour, à commencer par Le Nouveau-Né du Musée des beaux-arts de Rennes, l’une de ses plus célèbres. La lumière transcende, tout en subtilité, cette scène de maternité : la douce clarté qui baigne le visage du nourrisson invite à une lecture spirituelle, qui se passe de tout attribut religieux. Autre chef-d’œuvre du peintre, l’une de ses versions de La Madeleine pénitente – celle de la National Gallery of Art de Washington – plonge la sainte dans une posture méditative, bien loin de toute théâtralité caravagesque.
Autre point d’intérêt, l’exposition reflète les récentes avancées de la recherche sur l’œuvre de Georges de La Tour. Depuis la rétrospective du Grand Palais, quelques peintures ont été identifiées comme étant de sa main, à l’instar d’un Saint Jacques le Majeur réapparu aux enchères en 2008. D’autres toiles, également présentées, continuent de diviser les spécialistes : le Saint Grégoire du Musée de Lisbonne pourrait-il faire partie du corpus du peintre ? Et le Saint François en extase du Musée de Tessé (Le Mans), d’une grande qualité plastique, est-il vraiment une copie d’atelier ? Sans insister sur ce point, l’exposition soulève l’épineuse mais passionnante question de l’attribution.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : Un Georges de La Tour ramassé à Jacquemart-André





