Art non occidental

ART AFRICAIN

Quai Branly, Top Chef(fe) au Cameroun

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2022 - 792 mots

PARIS

À la découverte des communautés des hauts plateaux du Cameroun, à travers des objets traditionnels divers et très colorés.

Paris. Cela ne trompe pas : même s’il n’y a quasiment plus d’éléphants dans les forêts du Cameroun, l’évocation de l’animal occupe aujourd’hui encore – et depuis des siècles – une place imposante dans l’iconographie des artistes et artisans du pays. Le pachyderme, qui symbolise le pouvoir, la grandeur, la stabilité et la richesse, mais aussi la sagesse, l’humilité et, de façon plus surprenante, la douceur, est en conséquence très présent dans cette exposition intitulée « Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisible » qui – sous le commissariat de Sylvain Djache Nzefa, Cindy Olohou et Rachel Mariembe – propose pour la première fois en France un regard sur différentes communautés des hauts plateaux des Grassfields, situés à l’ouest et au nord-ouest du pays.

L’éléphant, animal totem

Dès l’entrée du parcours, et sans doute pour insister sur le premier aspect du titre – le « visible » –, deux énormes défenses en bois (environ cinq mètres de hauteur) encadrent une grande porte d’entrée avec son toit [voir ill.]. Elle ouvre sur la reconstitution d’une allée avec sa fresque dessinée qui, de part et d’autre, dessert des petites salles consacrées chacune à un thème distinct : ici à la calebasse, là aux différents symboles ornementaux.

On retrouve l’éléphant un peu plus loin, directement évoqué dans les bien nommés « masques-cagoules éléphant » de la chefferie Balatchi qui, réalisés tout en hauteur, en bois, tissus et perles, se définissent par la stylisation d’une grande trompe verticale surmontée par deux oreilles toutes rondes.

L’animal se prête encore à un étonnant objet, le totem éléphant de Bafou, sorti uniquement lors des grandes manifestations traditionnelles et gardé le reste du temps jour et nuit par les notables de la chefferie. L’un d’entre eux a d’ailleurs participé à son installation au musée et rappelle l’importance du totémisme qui est « la croyance en un animal parent considéré comme un ancêtre » et symbole de la relation fusionnelle que l’homme entretient avec l’animal, le minéral et le végétal. Mais il n’y a pas que l’éléphant ; on découvre également des évocations de buffle, panthère, lion, python, lézard ou crocodile.

Pour les visiteurs qui n’auraient pas compris à quel point la nature est essentielle pour la chefferie, un immense papier peint (une quarantaine de mètres), évoquant une jungle, tapisse le mur du fond. L’effet spectaculaire fait plus penser à une scénographie du Musée de l’homme qu’aux expositions de l’ancien Musée Dapper.

Une exposition haute en couleur

Les couleurs – autre dominante du parcours – constituent la colonne vertébrale de l’exposition tant dans la scénographie que dans les objets présentés et les matériaux utilisés. Ainsi, au vert de la jungle succède le bleu des cimaises de la seconde partie de la visite consacrée à « L’art royal, une création au service du pouvoir ». Cette partie réunit, aux côtés de statues, la bagatelle de dix-huit trônes ! Cet objet est réservé au « fo », le chef, un personnage quasi divin, garant des traditions et représentant des ancêtres qui, chez les Bamiléké par exemple, se charge de l’organisation sociale économique et politique du royaume. Le riche chromatisme de ces sièges, lié à l’utilisation de perles, de tissus, de cauris (un petit coquillage) caractérise également, avec la reprise de ces mêmes matériaux, les costumes des femmes, véritables marqueurs d’un statut social. L’exposition révèle d’ailleurs leur place prépondérante qui, en plus de symboliser la fertilité et donc de garantir la lignée, les voit occuper des rôles très importants dans la vie de la chefferie, avec en figure de proue, la « mafo », mère du chef ou parente proche qui occupe de hautes fonctions tant sur le plan social que politique.

C’est enfin sur fonds de murs d’un rouge très voyant que se déploie la troisième et dernière partie consacrée à l’invisible, l’immatériel, l’insaisissable, aux nombreuses sociétés secrètes et à leur art. Elle montre des vidéos de danses et de cérémonies rituelles réservées aux initiés, ainsi que de nombreuses coiffes et d’étonnants masques, très chargés, à l’exemple de celui dit « Tukah », de la chefferie Bamendoun présenté tous les cinq ans lors d’une procession et gardé 24 heures sur 24 par des gardiens. Il est tellement imposant qu’il n’est pas porté par un individu, mais soutenu par des porteurs. Cette partie ponctue et confirme l’impression forgée au fil du parcours, à savoir que si les œuvres et objets réalisés (encore aujourd’hui) par les sculpteurs des chefferies du Cameroun se rapportent à des thèmes que l’on retrouve dans de nombreux pays africains (le culte des ancêtres, le lien entre le monde des morts et celui des vivants, etc.), leur stylistique est particulièrement singulière par la pluralité des formes, des typologies d’objets, des matériaux et des couleurs.

Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisible,
jusqu’au 17 juillet, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37, quai Branly, 75007 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°590 du 27 mai 2022, avec le titre suivant : Quai Branly, Top Chef(fe) au Cameroun

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque