Société

La paix, la guerre et la culture

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 28 mars 2022 - 548 mots

Le 25 février 2022, la présidente de l’Institut français, l’établissement en charge de l’action culturelle extérieure de la France, était au Cameroun quand elle twittait ces mots : « Parce que la culture est vecteur de paix, Douala merci pour votre accueil ! »

En déplacement officiel dans la capitale économique du pays, Eva Nguyen Binh était rattrapée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février. Dans ce contexte, il devenait délicat pour elle de partager avec ses followers les sourires et la formidable énergie des nombreux artistes et acteurs culturels rencontrés à Yaoundé, à Douala, à Bandjoun Station (le centre d’art créé par Barthélémy Toguo), comme dans les chefferies Bapa et Batoufam de l’Ouest du Cameroun. D’où ce tweet bien impuissant face aux chars et aux avions de chasse russes : « Parce que la culture est vecteur de paix… » Car, que peut la culture en réalité ? Peut-elle seulement faire encore entendre sa voix quand celle des armes la recouvre inexorablement, au Mali, au Burkina Faso, en Afghanistan, en Syrie et, maintenant, en Ukraine ? Pour Maréme Malong, consule honoraire du Sénégal à Douala, la réponse ne souffre aucune hésitation : « Aujourd’hui plus que jamais ! » La fondatrice en 1995 de la Galerie MAM, importante galerie d’art contemporain d’Afrique centrale, est même persuadée que « la culture est le seul chemin possible ». Le seul porteur d’espoir, et celui qui mène le plus loin.

Pourtant, la culture n’est peut-être pas totalement étrangère à la décision de Moscou de déclarer la guerre à l’Ukraine. Dans les heures qui suivirent l’agression militaire, la chercheuse en sciences politiques Anna Colin Lebedev publiait cette analyse sur Twitter : « L’aspiration à l’Europe [de l’Ukraine] est en soi un élément important. Nous sommes critiques de notre union, et aujourd’hui critiques d’une absence de puissance militaire européenne, sans avoir conscience de la puissance de notre modèle et du soft power de l’UE. » Et la spécialiste des sociétés post-soviétiques d’ajouter : « Le modèle européen est désirable pour ses voisins : l’Ukraine, mais aussi les populations moldave et biélorusse (comme le montrent les enquêtes d’opinion). Nous savons aujourd’hui que l’attractivité de l’Europe est si dérangeante qu’elle peut provoquer une guerre. » Malheureusement, si elle peut la causer, elle ne peut plus l’arrêter ; tout juste peut-elle contribuer à mettre la pression sur les dirigeants politiques, comme le font depuis le 24 février les artistes du monde entier à travers toutes leurs actions partagées des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux. C’est déjà pas mal. Car la culture suscite l’adhésion, pas la guerre. C’est sa force. Dans sa Feuille de route de l’influence de la diplomatie française publiée en décembre 2021, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ne s’y trompe d’ailleurs pas : « Il ne s’agit plus seulement d’être craint, ni même seulement d’être crédible. Il s’agit aussi d’être aimé et d’attirer à soi. Et ce, quel que soit le chemin pour y parvenir : cinéma, musique, bourses pour les étudiants, prêts aux pays en développement, expertise technique », auxquels nous ajoutons l’art, les artistes et les expositions. C’est tout le paradoxe : la culture peut provoquer la guerre mais elle peut, elle doit aussi contribuer au retour de la paix. La patronne de l’Institut français a bien raison : « Parce que la culture est vecteur de paix… »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : La paix, la guerre et la culture

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