Cameroun

Mouliom Ibrahim

La sculpture, c’est un don que Dieu m’a donné

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 28 mars 2022 - 1053 mots

Chef de l’atelier de sculpture de la chefferie Batoufam, à l’ouest du Cameroun, Mouliom Ibrahim a collaboré à la prochaine exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun », au Quai Branly. Nous l’avons exceptionnellement rencontré dans son atelier.

Comment devient-on chef d’atelier d’une importante chefferie du Cameroun, la chefferie supérieure Batoufam ?

Je suis né dans le village de Foumban [dans la Région de l’Ouest au Cameroun, ndlr], dans une famille d’artisans qui travaillent le bronze, la poterie, la peinture… Un jour, j’ai rêvé que je réalisais une sculpture que les gens admiraient beaucoup. Quand je me suis réveillé, je me suis décidé à devenir sculpteur. Me concernant, je ne suis pas allé à l’école : Dieu m’a donné un don. J’ai d’abord travaillé le bronze et le bois, sans apprendre la technique dans une école d’art. Mais c’est à la chefferie Batoufam que je me suis spécialisé dans le matériau local : le bois. Je suis également Premier ministre de la chefferie, c’est-à-dire que j’assume le fonctionnement du Palais, où je réside.

Pour devenir sculpteur, faut-il être issu d’une famille d’artisans ?

C’est un don que Dieu m’a donné. Certains ont essayé de sculpter comme moi, mais n’ont pas réussi. Pour dire vrai, personne ne peut aujourd’hui me défier dans la région : je suis l’un des premiers sculpteurs de la Région de l’Ouest au Cameroun, qui compte les meilleurs sculpteurs.

Si je n’ai pas été formé dans une école d’art, aujourd’hui, ce sont ces écoles qui m’envoient leurs étudiants afin de les former aux techniques traditionnelles.

Par exemple ?

Dans les écoles d’art, les futurs artistes apprennent la théorie. Moi, je les forme à la pratique. Je leur enseigne, par exemple, les recherches de couleurs que je fais à partir des plantes, de la terre, etc. Le vert, entre autres, je l’obtiens à partir d’un mélange de feuilles de patate douce. En ajoutant d’autres plantes, j’obtiens du bleu. Je fabrique aussi ma propre colle naturelle.

Comment êtes-vous arrivé à Batoufam ?

Le chef Baham a épousé ma petite sœur. Le chef Batoufam [Sa Majesté Nayang Toukam Innocent qui dirige la chefferie Batoufam depuis 1989, ndlr], qui accompagnait régulièrement le chef Baham, a remarqué mon travail. C’est ainsi qu’il m’a demandé de venir à Batoufam. Je suis sculpteur depuis trente et un ans et je travaille pour le chef Batoufam depuis dix-huit ans.

Comment avez-vous été formé ?

Quand je suis arrivé à la chefferie Batoufam en 2004, j’étais jeune. Le chef m’a donc mis à l’épreuve : il m’a demandé de copier une sculpture. Lorsque je l’ai eu terminée, des choses n’allaient pas, mais il m’a donné d’autres pièces à copier qu’il a ensuite appréciées. Il ne m’a pas payé tout de suite, et je n’avais pas les moyens de retourner dans mon village. J’ai compris plus tard que c’était une manière pour le chef de me garder et de me faire progresser. C’était difficile mais j’ai apprécié sa décision, car si le chef m’avait donné davantage d’argent au départ, je l’aurais dépensé inutilement et j’aurais quitté Batoufam sans devenir le sculpteur que je suis devenu. Ensuite, le chef m’a donné un espace, une boutique où j’ai pu exposer mes sculptures et les vendre. C’est comme cela que j’ai eu de plus en plus de clients et de commandes. J’ai embauché un sculpteur, puis plusieurs.

Votre travail consiste-t-il à reproduire des objets (masques, boucliers…) existants ou disposez-vous d’une liberté d’interprétation, de création ?

Je suis spécialisé dans les objets Batoufam et leurs motifs – la tortue, la mygale, la calebasse, le caméléon sont les symboles de la chefferie –, mais j’ai bien sûr la liberté de créer de nouvelles formes, ce que je fais par exemple avec les boucliers.

À quoi et à qui vos sculptures sont-elles destinées ?

Je sculpte pour les cultes traditionnels Bamilékés, mais pas seulement : je travaille aussi pour d’autres cultures, d’autres communautés, par exemple à Yaoundé. Aujourd’hui, je ne travaille plus seulement pour la chefferie Batoufam, mais pour une dizaine de chefferies dans la région, dont la chefferie Bapa qui a ouvert un musée comme la chefferie Batoufam.Je réalise aussi des sculptures personnelles. Elles peuvent m’être inspirées par la forme d’un morceau de bois ou par les contes et les rêves que me rapportent les villageois. Mais tous les sculpteurs ne travaillent pas comme moi, certains ne font que recopier ce qu’ils voient dans les livres. Moi non ; c’est une grâce que j’ai reçue. Ces objets passent ensuite sur le marché, les gens sont fatigués de voir toujours la même chose.

Est-ce vous qui « activez » les sculptures que vous réalisez pour les cultes traditionnels ?

Ce n’est pas moi. Moi, je sculpte les objets et, ensuite, je les donne au chef qui se charge alors de faire certains rites. Si des objets sortent sans l’avis du roi, cela peut créer des désordres, des problèmes. Par exemple, vous vous levez un matin et vous constatez que l’objet a fait certains dégâts dans la maison…

L’atelier de sculpture est-il une source de revenus pour la chefferie ?

Une part de la vente revient à la chefferie, l’autre part au sculpteur.

Vous avez réalisé des œuvres pour l’exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun » au Musée du quai Branly. De quoi s’agit-il ?

J’ai réalisé des défenses, des piliers et des portes sculptées pour la scénographie.

La chefferie Batoufam 

La chefferie est un territoire, une communauté placée sous l’autorité d’un chef supérieur (le roi) assisté de notables réunis en conseil. Elle assure le lien entre le monde des vivants et celui des ancêtres, tout en veillant au respect de la tradition et à l’harmonie de la vie dans la communauté. Les chefferies – il y en a plus de 800 de premier et deuxième degrés) sont reconnues par l’État camerounais, qui leur accorde un statut d’auxiliaire administratif. Située en pays Bamiléké, la chefferie Batoufam réunit une communauté de 12 000 personnes placée sous la direction de Sa Majesté Nayang Toukam Innocent depuis 1989. Importante chefferie de la Région de l’Ouest, Batoufam a engagé depuis le début des années 2000 un développement touristique pour mieux faire connaître et faire perdurer les traditions locales, mais aussi pour participer au développement de la communauté. Elle comprend un musée, des chambres d’hôtes ainsi qu’un atelier de six sculpteurs.

Fabien Simode

« Sur la route des chefferies du Cameroun »,
du 5 avril au 17 juillet 2022. Musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37, quai Branly, Paris-7e. Du mardi au dimanche de 10 h 30 à 19 h, nocturne le jeudi jusqu’à 22 h. Tarifs : 12 et 9 €. Commissaires : Sylvain Djache Nzefa, Cindy Olohou et Dr Rachel Mariembe. www.quaibranly.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : La sculpture, c’est un don que Dieu m’a donné

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