Art moderne

XXE SIÈCLE

Picasso et les artistes arabes, regards croisés

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2022 - 667 mots

TOURCOING

Si le rapprochement entre l’artiste espagnol et les avant-gardes arabes semble hasardeux, l’exposition à l’IMA de Tourcoing parvient à tisser quelques liens.

Tourcoing. Pablo Picasso (1881-1973) est à l’honneur, en ce moment, dans le nord de la France. Après une exposition remarquée au Louvre-Lens, c’est l’Institut du monde arabe (IMA) de Tourcoing qui accueille ses tableaux mis en regard avec ceux des avant-gardes arabes. Le Musée Picasso de Paris a prêté un ensemble important d’œuvres pour permettre un dialogue avec des travaux en provenance d’Algérie, d’Irak, d’Égypte, du Liban, du Maroc, de Palestine, du Soudan, de Syrie et de Tunisie. Ainsi, le grand intérêt de l’exposition est la présence de toiles de créateurs majeurs du monde arabe, rarement visibles en Europe, issues essentiellement de collections privées et de fondations. Cependant, peut-on parler de la peinture arabe, comme c’était le cas dans le passé pour l’art africain, en faisant abstraction du contexte propre à chaque pays représenté ici ? Comment encore justifier le choix de Picasso, qui ne s’est jamais rendu dans le monde arabe et dont l’œuvre, à la différence de celle d’Henri Matisse ou de Paul Klee, laisse peu de place aux motifs décoratifs ?

On peut suivre Kamel Boullata, artiste et théoricien palestinien, lorsqu’il dit que « Picasso a absorbé les meilleures qualités artistiques issues de toutes les civilisations humaines et les a transformées en un langage personnel. C’est pour cela qu’il est l’artiste qui révèle le climat du XXe siècle. » Mais avec le risque que cette « boulimie » de Picasso, associée à son aura – rares sont les créateurs à avoir échappé à son influence – donne lieu à des rapprochements parfois approximatifs, voire « génériques ».

« Guernica », tableau de référence

Dès l’abord, le spectateur est confronté au Portrait de Dora Maar (1937) et au Visage d’homme à la bougie de Samir Rafi (Égypte, 1956), deux toiles traitées en style cubiste. Cette nouvelle manière de représenter la réalité avec géométrie et effets de découpage semble inspirer de nombreux créateurs, même des années plus tard : Mahmoud Hammad, Cain et Abel (Syrie, 1958), Paul Guiragossian, L’Homme Machine II (Liban, 1981).

Cependant, les commissaires – Françoise Cohen, directrice de l’IMA et Mario Choueiry, chargé de mission – affirment que l’attraction présente chez nombre de pères de la modernité arabe envers Picasso passe surtout par « les intérêts communs pour les arts premiers, le pacifisme et l’anticolonialisme ». Selon eux, c’est Guernica (1937), cette représentation iconique des désastres de la guerre, qui a eu un impact essentiel sur les artistes arabes. Dès 1938, Guernica est placé en tête du manifeste du premier groupe surréaliste égyptien, « Art et liberté ». Sous le titre grinçant « Vive l’art dégénéré ! », c’est une réaction étonnante à l’encontre de la tristement célèbre exposition organisée par les nazis à Munich. Ailleurs, le triptyque monumental et spectaculaire d’Alwani Khozaima (Sans titre, Syrie, 1991), qui dénonce les massacres du régime syrien à Hama en 1982, fait appel à certaines figures employées par Picasso (cheval, minotaure). Puis l’exposition rappelle que Picasso a réalisé, en 1961, le portrait de Djamila Boupacha, membre du Front de libération nationale (FLN), qui fut emprisonnée et torturée.

D’autres rencontres d’ordre stylistique sont suggérées. Si l’évocation de l’abstraction, pratiquement absente chez le maître, étonne, celle du primitivisme est plus pertinente. Encore qu’il faille distinguer le primitivisme de Picasso inspiré par les cultures extra-européennes de celui qui trouve ses sources dans les fouilles archéologiques des civilisations de la Mésopotamie – le musée d’art irakien est fondé déjà en 1922 – pour les artistes arabes. Dans cette section, c’est surtout avec le corps féminin – massif et loin de toute idéalisation – que certaines ressemblances peuvent se dégager : Nu couché de Picasso (1908), La Femme au loup de Samir Rafi (Égypte, 1973, voir ill.), The Woman, the Moon and the Branch de Shaker Hassan Al-Said (Irak, 1954). Ici, comme dans l’ensemble du parcours, les œuvres, disposées non pas dans un ordre chronologique, mais par affinités, forment une mosaïque culturelle un peu disparate qui laisse cependant la place à des surprises.

Picasso et les avant-gardes arabes,
jusqu’au 10 juillet, Institut du monde arabe, 9, rue Gabriel-Péri, 59200 Tourcoing.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Picasso et les artistes arabes, regards croisés

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