Art moderne

Tourcoing (59)

Quand Picasso regardait les modernités arabes, et réciproquement

IMA Tourcoing - Jusqu’au 10 juillet 2022

Par Olympe Lemut · L'ŒIL

Le 26 avril 2022 - 462 mots

Coup de cœur - Une exposition très touffue de l’Institut du monde arabe (IMA) à Tourcoing retrace les influences réciproques entre les artistes arabes et Picasso, non sans forcer le trait sur certaines affinités esthétiques.

Dès 1938, les artistes égyptiens du groupe Art et Liberté proclamaient leur adhésion au surréalisme français et leur admiration pour Picasso et Cézanne : les toiles de Inji Efflatoun et Ramsès Younan montrent dès l’entrée de l’exposition comment surréalisme et cubisme se combinent sans s’exclure. Mario Choueiry, co-commissaire de l’exposition, souligne que « pour les mouvements artistiques arabes, la chronologie liée au cubisme est un peu perturbée, car peu se revendiquaient cubistes à l’époque ». Plusieurs en revanche affirmaient la volonté de créer une modernité arabe en réponse aux avant-gardes européennes, à l’instar du Groupe de Bagdad (1951) centré autour de Jawad Selim. Des documents personnels de la famille Selim montrent ainsi que le frère de Jawad, Nazar, avait traduit en arabe la biographie de Picasso par Gertrude Stein dès 1939. Cherchant à se détacher de l’art officiel lié au pouvoir, les artistes arabes s’emparent alors d’un genre occidental, le nu : leurs femmes nues primitives doivent beaucoup aux Baigneuses de Picasso, mais aussi « aux femmes de Matisse », selon Mario Choueiry. Puisant dans les symboles antiques ou islamiques, les peintres d’Égypte et d’Irak opèrent une autre révolution artistique : croissant, taureaux et chevaux apparaissent sur leurs toiles, des symboles que Picasso utilisait déjà quelques années auparavant, inspiré par les cultures méditerranéennes. Mario Choueiry rappelle que l’inspiration islamique et orientale de Picasso avait été « soulignée par Apollinaire dès 1905 », une inspiration décelée également en 1938 par Gertrude Stein. Si Picasso maîtrise parfaitement les arabesques, il n’est pas certain que cela vienne des arts de l’Islam, de l’aveu de Mario Choueiry, de même que l’omniprésence des taureaux dans son œuvre : la corrida ne serait pas étrangère à cette obsession de Picasso. Les rapprochements d’œuvres s’avèrent ici un peu forcés. D’autres points de rencontre entre les modernistes arabes et Picasso émergent dans l’exposition, dont la lutte pour la liberté, puisque le tableau Guernica a inspiré nombre de peintres arabes jusqu’aux années 1980. Le Syrien Alwani Khouzaima peint ainsi un triptyque « rarement exposé », selon Mario Choueiry, une œuvre sombre en écho au massacre des Frères musulmans de Hama (Syrie), en 1982. Et Dia Al-Azzawi (Irak) s’inspire du même tableau pour des sérigraphies qui commémorent les massacres des Palestiniens au Liban (1979 et 1982). Dans les années 1950 et 1960, Picasso prend le parti des indépendantistes algériens, comme l’atteste le portrait de Djamila Boupacha qu’il a peint en 1962 : cette militante algérienne deviendra pour le monde arabe une figure héroïque incontournable. Plus que des influences précises, l’exposition montre finalement la diversité des échanges culturels entre les avant-gardes européennes et les modernités arabes.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : Quand Picasso regardait les modernités arabes, et réciproquement

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