Histoire

Partir à... Philadelphie

L’histoire sans histoire

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 20 mai 2011 - 1597 mots

L’ancienne capitale des États-Unis, qui a cédé son rang politique et culturel à Washington D.C. et New York, entend bien rayonner de nouveau sur le monde. Pour cela, elle sait compter aujourd’hui sur son histoire et sur une forte ambition d’art.

Coincée entre New York au nord et Washington D.C. au sud, Philadelphie en Pennsylvanie peine à se faire connaître sur l’échiquier international des grandes villes américaines.
Pour beaucoup, Philly, comme la surnomment les Américains, se résume au film de Jonathan Demme, Philadelphia, deux fois « oscarisé » en 1994 pour le jeu d’acteur de Tom Hanks et sa B.O. signée Bruce Springsteen (Streets of Philadelphia). Film qui a malheureusement marqué le désintérêt des scénaristes pour la ville, à l’exception notoire de ceux de la série Cold Case, affaires classées. Pas un « expert » de la série T.V. n’y a en effet installé ses enquêtes, préférant à sa petite skyline celle (plus grande) de Manhattan, les casinos (plus clinquants) de Las Vegas et les plages (plus dénudées) de Miami, tous plus exportables. Car Philadelphie, l’une des villes les plus sûres du pays, « souffre » de sa bonne réputation. Difficile donc d’y planter le décor d’une série policière… 

Dans l’ombre de New York
Friends, Sex and the City, Law & Order… Toutes ces grosses machines à succès servant les États-Unis mieux qu’une armada d’offices du tourisme ont donc choisi pour toile de fond New York, la sœur ennemie située à tout juste deux heures de voiture : ses taxis jaunes, son cosmopolitisme, sa folie, ses hot-dogs… Pire ! Certaines productions new-yorkaises n’hésitent pas à déplacer leurs équipes à Philadelphie afin d’y tourner leurs extérieurs, le coût du tournage y étant moins prohibitif pour un cadre pas si différent en définitive…

Résultat, si Philly ne réussit pas à attirer les scénaristes, elle séduit particuliers et sièges sociaux venus s’installer entre le fleuve Delaware et et la rivière Schuylkill, là où les loyers sont encore accessibles en centre-ville et où il fait bon dîner – la gastronomie y est réputée – et dormir sans être réveillé par un flot incessant de sirènes et de hurlements. C’est pourquoi la ville, la sixième des États-Unis et la deuxième de la côte Est, compte plus de 1,5 million d’habitants, loin derrière New York (plus de 8 millions), mais devant Washington D.C. (600 000 environ). Demandez à un taxi pourquoi il n’a pas choisi New York, il vous rétorque : « New York ? It’s so crazy ! » (« C’est trop dingue ! ») Là résident la force et la faiblesse de Philly, dans sa tranquillité, sa qualité de vie et son faible coût qui font d’elle une sympathique ville de province sans histoire. 

Le berceau de la démocratie
Sans histoire ? Pas vraiment puisque Philly possède d’autres atouts comme ses musées [ci-contre] et, justement, son histoire. Pour tout citoyen américain, Philadelphie est le berceau de la nation. Cette terre, synonyme de liberté et d’indépendance, fut donnée par le roi Charles II d’Angleterre à William Penn en 1681 en remboursement de dettes. Penn, qui donna son nom à la Pennsylvanie, y installa une colonie de quakers qui, persécutés en Europe, trouvèrent refuge sur cette terre promise, tolérante et pacifique.
Une fois consommée la rupture des colonies avec l’Angleterre et son commerce surtaxé, c’est donc ici, à Philadelphie, dans l’actuel Old City, Historic District, que furent adoptées le 4 juillet 1776 la Déclaration d’indépendance, rédigée par Thomas Jefferson, puis la Constitution américaine onze ans plus tard. C’est d’ici encore que partit Benjamin Franklin – dont le corps repose à Philadelphie – pour s’en aller négocier l’aide de la France contre la perfide Albion dans la guerre d’indépendance, épisode qui aboutit à la reconnaissance des États-Unis par le traité de Paris en 1783. C’est toujours ici que George Washington fut élu premier président des États-Unis en 1789, faisant ainsi de Philadelphie la capitale du pays jusqu’à la construction de Washington D.C. au début du XIXe. Faut-il préciser combien la ville sait aujourd’hui mettre en valeur, sinon en scène, cette histoire fondatrice, dont le promeneur peut suivre le cours en remontant le fleuve Delaware, où débarquèrent les quakers, jusqu’au Comcast Center, son plus haut gratte-ciel. La balade démarre par Elfreth’s Alley, la plus ancienne rue des États-Unis avec ses maisons en briques du XVIIIe siècle toujours habitées. Elle se poursuit par la visite de la maison de Betsy Ross (1752-1836), cette couturière qui aurait confectionné le premier drapeau américain.

À quelques blocs de là s’étend le Independence National Historical Park où sont jalousement conservées toutes les traces patrimoniales de cette histoire : l’Independence Hall, bâtiment où furent adoptées la Déclaration d’indépendance et la Constitution, le Congress Hall, où se tint le Congrès américain de 1790 à 1800, le Liberty Bell Center et sa cloche fendue qui sonna l’Indépendance et, depuis 2010, les fondations mises au jour de la maison des deux premiers présidents des États-Unis – le deuxième étant John Adams – dont plusieurs vidéos en plein air racontent, en costumes d’époque, le quotidien. Ce quartier historique, appelé à devenir le principal pôle d’attraction touristique de la ville, est en plein rajeunissement, comme en témoigne l’ouverture, en 2010, du Jewish Museum sur l’histoire des immigrants juifs américains.

La revanche par l’architecture
Plus on remonte Market Street en direction du centre de la ville, plus celle-ci s’élève et plus l’on avance dans le temps. Le PSFS Building, construit en 1932 dans le style moderne international pour la banque Philadelphia Savings Fund Society, transformé en 2000 en un luxueux hôtel par le groupe Loews, a longtemps été, avec ses 35 étages, l’un des plus hauts buildings des États-Unis. Une initiative qui ne fut suivie d’aucune autre du genre, une règle tacite voulant qu’on ne construise pas au-delà des 167 m du City Hall, situé à deux pas.  Cet imposant hôtel de ville construit en pierre dans le style Second Empire, aussi décalé dans le paysage que le temple maçonnique voisin de style gothique flamboyant, a donc constitué un frein à l’expansion de Philly. Frein qui ne fut rompu qu’en 1987 avec la construction du One Liberty Place [voir p. 121], cette tour qui devait ouvrir la voie au Comcast Center, gratte-ciel à la silhouette de clé USB de 297 m qui, depuis son inauguration en 2008, symbolise l’ambition de toute une ville tournée vers la reconquête du monde.

Le Philadelphia Museum of Art
Situé en haut de la Benjamin Franklin Parkway, l’avenue des musées dessinée par les Français Jacques Gréber et Paul Philippe Cret en 1917, le Philadelphia Museum of Art est l’un des plus grands musées des États-Unis, le 3e selon les guides touristiques. Il est vrai que ce musée universel possède une collection incroyable, qui va de la reconstitution du portail du XIIe siècle de l’abbaye Saint-Laurent démonté sur les bords de la Loire à Cy Twombly, en passant par une salle pleine de Duchamp, dont son Grand Verre et Étant donné… installation réalisée par l’artiste en ce lieu. Au sortir du musée, il ne faut pas manquer de faire un « crochet » par la statue de Rocky Balboa, « œuvre » offerte par Stallone à l’institution pour rappeler que le héros s’entraîne dans le film sur les marches du musée. Une scène « culte ». www.philamuseum.org

Le Rodin Museum
Eh oui, Philadelphie possède elle aussi son Musée Rodin, avec Paris, Tokyo, Séoul et Bahia (Brésil). Situé sur « l’avenue des arts », à deux pas du Philadelphia Museum of Art et de la future Fondation Barnes, le Rodin Museum fut offert à la ville par le philanthrope Jules E. Mastbaum, peu avant son décès en 1926. Celui-ci constitua sa collection dès 1922 avec l’achat de plâtres et de moulages réalisés du vivant de Rodin (mort en 1917) ou spécialement pour son musée qui ouvrit en 1929. Accueilli par un Penseur et une rare fonte de La Porte de l’enfer, le visiteur peut y voir, loin de Meudon où le maître est enterré, le meilleur de Rodin dans un bâtiment ancien qui devrait être bientôt rénové. www.rodinmuseum.org

La Pennsylvania Academy of the Fine Arts (PAFA)
École des beaux-arts de la ville qui a notamment formé Mary Cassatt et Alexander Milne Calder – le grand-père de Calder –, et qui accueille aujourd’hui près de 300 étudiants, la PAFA est aussi un très beau musée d’art américain ouvert en 1876 où l’on peut voir le George Washington de Stuart ou le William Penn signant un traité avec les Indiens de West. Ce musée, à la scénographie délicieusement colorée, est financé comme nombre d’institutions américaines à 5 % par les autorités locales, fédérales et nationales et à 95 % par les dons du privé. En 2007, il a fait l’acquisition du Portrait du docteur Samuel D. Gross par Thomas Eakins, ancien professeur à la PAFA, pour 68 millions de dollars, grâce à la générosité de 3 400 donateurs. www.pafa.org

La Barnes Foundation
Le 3 juillet 2011, la célèbre fondation créée par le docteur Barnes (1872-1951), un autre collectionneur et philanthrope local, va quitter le quartier résidentiel de Merion où elle était présente depuis 1924 pour venir s’installer dans le centre de Philadelphie, sur l’avenue qui mène au Philadelphia Museum of Art. Une opportunité pour la plus célèbre collection au monde d’art impressionniste (mais pas seulement) d’aller au-devant de ses visiteurs, mais qui n’a toutefois pas manqué de créer la polémique. En cours de déménagement, celle-ci devrait être à nouveau visible en mai 2012 avec l’ouverture de la fondation dans son nouvel écrin conçu par Tod Williams Billie Tsien Architects, qui reproduira fidèlement l’accrochage de Merion. www.barnesfoundation.org

Calder et Philadelphie

Le nom de Calder est étroitement lié à Philadelphie. C’est lui qui réalisa en 1886 la statue de William Penn perchée en haut du beffroi du City Hall, l’hôtel de ville de 167 m qu’aucun autre bâtiment, selon une règle tacite, ne devait dépassait jusqu’à la construction du One Liberty Place en 1987, un gratte-ciel de 269 m dont les formes reprennent celles du Chrysler Building à New York [ci-contre]. Il s’agit bien sûr du sculpteur naturaliste Alexander Milne Calder (1846-1923) qui fut formé à la PAFA de Philadelphie où il ouvrit son atelier. Son colosse en bronze de 27 t, longtemps le plus grand jamais fondu aux États-Unis, s’inscrit dans la commande plus vaste du programme sculpté de l’ensemble du City Hall. Alexander Milne eut un fils lui aussi sculpteur, Alexander Stirling Calder (1870-1945), qui eut à son tour un fils sculpteur qui devait marquer le XXe siècle : Alexandre Calder, né en 1898 à Lawnton, un faubourg aujourd’hui rattaché à Philadelphie.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°636 du 1 juin 2011, avec le titre suivant : Partir à... Philadelphie

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