Art ancien

MOYEN ÂGE / VISITE GUIDÉE

Les « Très Riches Heures » du duc à hauteur d’yeux

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 26 août 2025 - 766 mots

Chantilly offre au visiteur l’occasion unique de pouvoir admirer comme autant de tableaux les pages du célèbre manuscrit enluminé en cours de restauration.

Chantilly (Oise). « La Joconde des manuscrits » selon son surnom quasi-officiel, « un livre qui n’a pas de rival » d’après le duc d’Aumale, et une œuvre inaccessible – « il est plus facile de rencontrer le pape ou le président des États-Unis », estime l’expert des manuscrits Christopher de Hamel. Le teasing, pour cette exposition consacrée par le château de Chantilly aux Très Riches Heures du duc de Berry, est intense : mais la visite du parcours est une épreuve de patience avant de pouvoir rencontrer le « roi des livres d’Heures ». Le petit sanctuaire – comment l’appeler autrement ? – aménagé pour présenter les pages du calendrier du manuscrit enluminé, suspendues dans la pénombre, est situé en effet en toute fin de parcours. Une politesse envers les œuvres présentées en amont, explique Mathieu Deldicque, directeur du Musée Condé au château et commissaire de l’exposition : « Aucun livre n’égale la qualité des Très Riches Heures. » Pas mêmes les cinq autres livres d’Heures commandés par le duc Jean Ier de Berry (1340-1416), réunis ici pour la première fois.

Mais parvenir au saint des saints n’est pas un chemin de croix : après un rapide passage sur la redécouverte de ce livre de prières à l’usage des laïcs par le duc d’Aumale (1822-1897), le parcours évoque le contexte artistique dans lequel éclôt ce chef-d’œuvre, commandé vers 1411 et achevé en 1485. Puis c’est par la sculpture que le visiteur est invité à découvrir cet art du début du XVe siècle, notamment à travers la présence du gisant de marbre du duc de Berry, exceptionnellement sorti de son repos dans la cathédrale de Bourges, et accompagné des sculptures de Jean de Cambrai. Est ainsi brossé le portrait d’un duc fortement investi dans le mécénat artistique, malgré le contexte chaotique de la guerre de Cent Ans.

La présentation du commanditaire est suivie de celle des artistes, car Les Très Riches Heures forment une œuvre complexe, sur laquelle plusieurs mains sont intervenues. Les plus importantes sont celles des frères Paul, Jean et Hermann de Limbourg (vers 1380-1416), déjà présents dans le rôle d’intervenants secondaires pour les Très Belles Heures, venues de la Bibliothèque royale de Belgique, ou les Petites Heures, conservées par la Bibliothèque nationale de France. La première commande entièrement exécutée par les frères, et intitulée Les Belles Heures, est également exceptionnellement présentée, venue du Met Cloisters de New York.

Mise en scène astucieuse

L’agence JAAMS (qui connaît désormais bien les lieux, après les expositions Dürer en 2022 et Ingres en 2023) a trouvé une solution scénographique élégante pour faire dialoguer les Très Riches Heures avec les autres livres d’Heures présentés en amont, tout en entretenant le suspense de la découverte finale : deux demi-cercles de cimaises se frôlent, l’un contenant le dénouement de l’exposition, l’autre sa préfiguration quelques années auparavant. Grâce à un petit jour ménagé dans ces cimaises, le visiteur peut même apercevoir les tant attendus feuillets du calendrier, tout en regardant les Grandes Heures, l’œuvre que Jean de Berry souhaitait surpasser avec la commande des Très Riches Heures.

La section suivante peut apparaître déstabilisante puisqu’elle présente, avant les Très Riches Heures, la fortune et la diffusion de ses images dans les décennies contemporaines à l’achèvement du manuscrit, au cours du XVe siècle, par Barthélemy d’Eyck (1420-1470) puis Jean Colombe (vers 1440-1493 ?), suivant les dessins des frères de Limbourg. Mais les copies, par ailleurs d’excellente facture, laissent rapidement place à l’original. Seul le cahier du calendrier a été dérelié pour permettre de présenter chacun des mois comme un véritable tableau. Alors que le Met a eu un autre parti pris de conservation, en déreliant l’ensemble des Belles Heures, Chantilly fait un choix plus prudent en garantissant l’intégrité de l’objet.

Derrière cette exposition, se trouve un projet de restauration important pour ce manuscrit « un peu trop consulté au XXe siècle, avec des salissures et des craquelures qui pouvaient engendrer de la perte de matière », ainsi que le décrit Mathieu Deldicque. Ce projet, qui nécessite de dérelier les pages du manuscrit, fournit l’occasion unique de pouvoir observer à hauteur d’yeux chaque feuillet, accroché en lévitation dans un caisson qui autorise un regard très rapproché. Car l’exposition n’est qu’un point d’étape du chantier : à son terme, les précieux vélins retrouveront leur reliure. Les ingénieurs du C2RMF (Centre de recherche et de restauration des musées de France) et les restauratrices de l’atelier Coralie Barbe, chargé de la restauration, seront alors les derniers chanceux à pouvoir s’autoriser ce tête-à-tête avec les Très Riches Heures.

Les Très Riches Heures du duc de Berry,
jusqu’au 5 octobre, château de Chantilly, salle du jeu de paume, 60500 Chantilly.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Les « Très Riches Heures » du duc à hauteur d’yeux

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