Art ancien

Janvier, dans le calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 mai 2025 - 1125 mots

C’est le manuscrit médiéval le plus célèbre au monde. À l’occasion d’une importante restauration, les pages de ce mythique calendrier, rarement exposées en raison de la fragilité du livre, sont présentées dans une exposition exceptionnelle au château de Chantilly. Découverte de sa première page, celle du mois de janvier.

« Ce livre tient une grande place dans l’histoire de l’art. J’ose dire qu’il n’a pas de rival », s’émerveille le duc d’Aumale, Henri d’Orléans (1822-1897), au sujet des Très riches heures du duc de Berry. Cet esthète qui a rebâti le grand château de Chantilly, démoli pendant la Révolution française, a acquis et identifié le précieux manuscrit en 1856, à Gênes, lequel devient l’ouvrage le plus représenté au monde.Le voici exposé de façon inédite à Chantilly. Malgré son bon état général, il fallait le restaurer pour assurer sa conservation. « Nous profitons de sa déreliure pour présenter au public les deux premiers cahiers, notamment le calendrier, et partager les découvertes réalisées dans le cadre de cette restauration. En outre, à travers d’exceptionnels prêts nationaux et internationaux, nous resituons cet ouvrage mythique dans le contexte de sa création », explique Mathieu Deldicque, directeur du Musée Condé et du Musée vivant du cheval du château de Chantilly. L’élaboration de ce manuscrit s’est étalée sur plus de soixante-dix ans, à travers trois campagnes principales. Vers 1411, à la fin de sa vie, un des plus grands mécènes et bibliophiles de la fin du Moyen Âge, Jean de Valois, duc de Berry (1340-1416), fils, frère et oncle de rois de France, commande à trois enlumineurs de Nimègue, aux Pays-Bas, les frères Paul, Jean et Herman de Limbourg (vers 1380-1416), le plus beau et le plus fabuleux livre d’heures qui soit. Le duc meurt en 1416, la même année que les frères de Limbourg, sans doute emportés comme lui par la peste. Le manuscrit inachevé est repris et complété trente ans plus tard, en 1446, par un autre enlumineur, Barthélémy d’Eyck (1420-1470), qui œuvre alors pour la famille du roi Charles VI. Cet ambitieux ouvrage n’est cependant achevé qu’en 1485, à la cour du duc de Savoie, qui a hérité du livre. Chaque fois, ce sont les plus grands artistes et miniaturistes de leur temps qui ont participé à son décor. Mythique dès sa création, ce « livre-cathédrale » et « livre-monde », peint en trois quarts de siècle et mêlant les influences italiennes, nordiques ou antiques, façonne aujourd’hui encore dans l’imaginaire collectif une image poétique et idéale du Moyen Âge.

La course du soleil et des astres

De l’or, de l’argent, du lapis-lazuli… La richesse des pigments et des couleurs ayant conservé leur fraîcheur dans ce manuscrit resté fermé témoigne de la magnificence des Très Riches Heures. Dans tout livre d’heures, le calendrier permet au lecteur de repérer la prière correspondant au jour de l’année. Les Très Riches Heures ont la spécificité de consacrer deux pages à chaque mois de l’année : sur celle de droite, est représenté le calendrier proprement dit, sur celle de gauche a été peinte une miniature. Celle-ci illustre le mois de janvier. Elle est surmontée d’une image représentant un char du soleil, écho du cours du temps qui a passé pour le duc de Berry, âgé de 71 ans au moment où les frères de Limbourg commencent à peindre le manuscrit. Ce char est entouré des signes du zodiaque, ici le Verseau et le Capricorne. « Le duc de Berry est un grand amateur d’astrologie, d’astronomie, à une époque où l’on veut recaler les dates liturgiques, en travaillant sur la course du soleil et des astres », précise Mathieu Deldicque.

Les Valois et la guerre de Troie

La riche tapisserie tendue sur les murs pour réchauffer la pièce où se tient le banquet du duc de Berry représente la guerre de Troie. La monarchie française se revendique en effet alors comme descendante des Troyens de l’épopée d’Homère. Or cette représentation d’une guerre où des Grecs affrontent d’autres Grecs fait écho non seulement à la guerre contre les Anglais, mais aussi et surtout aux conflits fratricides entre Armagnacs et Bourguignons, contemporains des Très Riches Heures. À droite, on aperçoit la croix blanche de l’armée royale, qui vient à la rescousse. Jean de Valois, troisième fils du roi Jean II dit Le Bon, duc de Berry, qui à travers la fleur de lys revendique son statut de prince, apparaît ici comme un prince pacificateur, offrant, en ce mois de janvier, un banquet de réconciliation. La présence de cette tenture dans la salle de banquet souligne le désir de paix des convives.

Le duc de Berry, prince généreux et pacificateur

Voici le visage du duc de Berry, peint de profil à la manière des empereurs sur les monnaies romaines, coiffé d’un bonnet de fourrure et revêtu d’une épaisse houppelande bleue. Bien que la tapisserie de l’arrière-plan évoque le contexte guerrier du XVe siècle, il reçoit ses invités, à l’occasion de la nouvelle année, dans une atmosphère de quiétude et de paix. Les scènes du calendrier, reproduites dans le monde entier, véhiculent un Moyen Âge idéalisé. « Approche, approche », lit-on au-dessus de la tête de l’huissier invitant ainsi l’un des invités à s’approcher du duc de Berry. Des écuyers coupent en fines lamelles la viande qui sera consommée avec les doigts, tandis que l’échanson veille sur la boisson pour les convives, parmi lesquels un cardinal et des nobles de sa cour et de sa famille. La grâce et les couleurs chatoyantes du gothique international transparaissent dans les tenues. De nombreuses pièces d’orfèvrerie, telle la nef posée sur la table, témoignent du goût du duc de Berry pour l’apparat, l’or, les pierres précieuses, ainsi que de sa générosité.

Les emblèmes du duc de Berry

Des fleurs de lys, des ours, des cygnes… Les emblèmes du duc de Berry, frère du roi Charles V, sont disséminés au long des pages du manuscrit. Le cygne porte souvent une tache de sang sur la poitrine, souvenir d’une dame dont le duc se serait épris alors qu’il était otage en Angleterre, tandis que l’ours évoque saint Ursin, patron du Berry. C’est par ces emblèmes que le duc d’Aumale, bibliophile érudit qui possède un autre manuscrit du duc de Berry dans sa collection, établit que le mystérieux et sublime ouvrage qu’il acquiert en 1856 à Gênes est un livre d’heures du duc de Berry, dont il reconnaît aussi le portrait figuré dans le calendrier. Deux décennies plus tard, des spécialistes identifient l’ouvrage grâce à l’inventaire des biens laissés par le duc de Berry à sa mort en 1416 : « Item, en une layette [boîte] plusieurs cayers d’unes tres riches Heures que faisoient Pol et ses freres, tres richement historiez et enluminez. » À partir de 1880, l’ouvrage que le duc d’Aumale désignait comme le « wonderful book » est appelé Les Très Riches Heures du duc de Berry.

À voir
« Les Très Riches Heures du duc de Berry »,
Château de Chantilly, salle du Jeu de paume, Chantilly (60), jusqu’au 5 octobre, www.chateaudechantilly.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°786 du 1 juin 2025, avec le titre suivant : Janvier, dans le calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry

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