La galerie les Enluminures, qui vient de s’installer dans un nouvel espace, est un acteur de poids dans ce secteur confidentiel.

Paris. Quand certaines galeries décident de s’installer « en chambre », Les Enluminures font le choix inverse. Fondée en 1991 à Chicago par l’historienne de l’art Sandra Hindman, la galerie, spécialisée notamment dans les manuscrits médiévaux, a installé depuis mai dernier son siège parisien aux numéros 21 et 22 de la galerie de Montpensier, dans le jardin du Palais-Royal, après avoir occupé le Louvre des Antiquaires, puis la rue Marengo et la rue Jean-Jacques-Rousseau, déjà dans le 1er arrondissement. Sandra Hindman avoue avoir réalisé son rêve : « J’ai toujours voulu être au Palais-Royal. Mais les galeries étaient généralement très petites. Ici nous avons pu avoir trois niveaux, de larges bureaux et un double espace sur le jardin. » L’un sert de vitrine permanente aux spécialités (manuscrits enluminés, miniatures, bijoux historiques) et aux nouvelles acquisitions ; l’autre, plus vaste, accueillera des expositions temporaires tous les deux à trois mois environ.« Nous avons déjà notre programme pour 2025-2026, et nous préparons celui de 2026-2027. » Le choix du Palais-Royal, qui concentre plusieurs antiquaires et galeries spécialisées, s’inscrit dans une volonté de renforcer la visibilité parisienne du marchand en organisant des expositions – ce qui n’était pas concevable dans l’espace occupé rue Jean-Jacques-Rousseau, en appartement.

L’inauguration a donné le ton avec « Le Jardin magique : à la recherche de la Rose », autour d’un exemplaire du Roman de la Rose datant du XIVe siècle, présenté dans une scénographie végétale signée Marianne Guedin [voir ill.]. « C’est un manuscrit très spécial, peint par un couple d’artistes parisiens en 1350, Richard et Jeanne de Montbaston. Ils ont réalisé 19 exemplaires de ce texte, mais celui-ci est le seul qui restait en mains privées et pour lequel la femme a peint presque toutes les enluminures », souligne Sandra Hindman. L’exposition a attiré de nombreux visiteurs et le manuscrit, proposé à 550 000 euros, est actuellement au centre de négociations.
Jusqu’au 31 octobre, la galerie présente « Jewels on Paper : Secrets of Creation », une collection de dessins de bijoux réunie sur dix ans. Riche de noms prestigieux comme de maisons disparues, l’ensemble est proposé à 115 000 euros. La galerie va également collaborer avec des artistes contemporains « qui ont plus ou moins un lien avec le Moyen Âge ». En janvier 2026 est programmé un dialogue avec le Belge Peter Jennes, dont la peinture et la sculpture revisitent l’imaginaire médiéval, tandis qu’en mars ce sera la première exposition française du joaillier américain William Harper. « Ses œuvres sont dans tous les grands musées. Sa technique de l’émail est incroyable, avec des références constantes au Moyen Âge », indique la galeriste. D’autres projets associeront des artistes contemporains coréens, rencontrés sur la foire Frieze Masters de Séoul.
À côté de son activité de galerie, Les Enluminures ont développé une structure de conseil. « J’ai créé aux États-Unis une société d’art advisory (Sandra Hindman Art Advisory LLC) pour accompagner les successions. Nous avons récemment placé un manuscrit à la Bibliothèque nationale du Luxembourg pour 4,5 millions d’euros et une importante collection de miniatures italiennes au Getty Museum, en juin dernier », détaille la fondatrice.
Le marché, qu’elle qualifie de « minuscule »– trois marchands internationaux spécialisés, dont deux en Suisse – demeure solide. « L’art médiéval est très stable. Les prix n’ont pas baissé car il n’y a pas assez d’œuvres sur le marché. » Les échelles de valeur varient selon les quatre spécialités de la galerie : un manuscrit enluminé, par exemple un livre d’Heures complet d’un bon artiste, commence à 70 000-85 000 euros et peut culminer à 10 millions d’euros (le record est détenu par le Livre de prières Rothschild, vendu à un collectionneur australien à ce prix-là en 2014, chez Christie’s New York) ; les miniatures isolées s’achètent à partir de 12 000-20 000 euros pour un artiste quelconque et montent à plus de un million pour les maîtres comme Fra Angelico, Lorenzo Monaco, Jean Bourdichon… Les manuscrits de textes font quant à eux l’objet d’un site spécialisé (textmanuscripts.com) ; leurs prix démarrent à 4 000 euros et tournent autour de 42 000 euros en moyenne. 95 % des pièces qui figurent sur ce site sont achetées par des bibliothèques universitaires. Enfin, dernière spécialité, les bijoux historiques, dont la plupart des collectionneurs sont des particuliers. Leurs prix vont de 3 500 à 8 500 euros pour des « Posy rings » anglaises de l’époque de Shakespeare, tandis qu’un rare collier Renaissance en émail représentant un satyre est actuellement proposé à 235 000 euros.
La clientèle évolue. « Les collectionneurs des années 1980, lorsque j’ai commencé, ont aujourd’hui 90 ans. Mais nous voyons arriver des passionnés âgé de 25 ou 30 ans, qui n’ont pas les mêmes moyens mais veulent commencer. Ils collectionnent de manière plus large, à la fois de l’antique et du contemporain, souvent via des art advisors », observe Sandra Hindman. Le numérique joue un rôle-clé, avec deux sites actifs et un compte Instagram très suivi. « Nous ne sous-traitons pas. Une personne s’en occupe en permanence en interne. Nos voyages, nos expositions, tout est relayé. Les réseaux amènent désormais de vrais clients. »
Au Palais-Royal, Les Enluminures combinent ainsi érudition et stratégie de marché, dans un secteur confidentiel mais très dynamique. « Nous sommes une petite équipe de douze personnes seulement, mais avec l’ambition de travailler comme une grande institution », conclut la galeriste.
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Manuscrits médiévaux, un marché de niche
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Manuscrits médiévaux, un marché de niche





