L’exposition « Lumières du Nord », en Suisse, axée sur les artistes du Groupe des Sept Canadiens et la forêt boréale, se limite à des tableaux instagrammables sans approfondir le sujet.

Riehen/Bâle (Suisse). La Fumée du train (1900) d’Edvard Munch orne l’affiche et le catalogue, et la couverture du livret d’aide à la visite montre un détail de Lever de soleil (1907) d’Hilma af Klint. Aucune aurore boréale, donc, ce que pourtant signifient « Nordlichter » et « Northern Lights », les titres originaux en allemand et en anglais de l’exposition. Dans le parcours, il y en aura tout de même deux (très semblables) de la Suédoise Anna Boberg et une du Canadien Tom Thomson. Car le Canada a été invité, à Bâle, auprès des pays du Nord de l’Europe, et la manifestation, initiée par la Fondation Beyeler, est coorganisée par un musée états-unien proche de la frontière canadienne, le Buffalo AKG Art Museum qui la présentera à partir du mois d’août.
La préface du catalogue, signée par les directeurs des deux institutions, précise que le parcours réunit des paysages modernes du Nord, peints entre 1880 et 1930. Ce Nord se situe au-dessus du 60e parallèle dans « une écozone à la fois menaçante et séduisante ». La suite est lyrique : « Les régions de l’extrême nord de la Terre captivent les sens et foisonnent de sites fascinants : les forêts et les calmes lacs du nord d’Helsinki, la ville lumineuse de Stockholm en hiver, l’éclat d’un jour d’été sur les montagnes bordant un fjord de Norvège, les grands espaces de forêt boréale et de toundra qui couvrent le territoire canadien. » L’introduction du livret d’accompagnement à la visite précise que le thème central de l’exposition est « La forêt de conifères boréale (“du Nord”), également nommée taïga, […] la plus grande forêt primaire de la planète [qui] joue un rôle majeur pour son équilibre écologique. »
Ce document fournit aussi l’explication de la présence de Canadiens dans le corpus et de la coorganisation par le Buffalo AKG Art Museum : « Ce lien remonte à l’exposition itinérante d’art scandinave montrée entre autres à Buffalo (États-Unis) en 1913, qui s’avéra déterminante pour le groupe de peintres réunis autour de Lawren S. Harris et J. E. H. MacDonald à Toronto. La peinture de paysage de leur “Groupe des Sept” a marqué l’identité culturelle du Canada pour de nombreuses décennies. La Fondation Beyeler présente également dans cette exposition des œuvres de la peintre Emily Carr, originaire de Colombie britannique, qui a mis en images la forêt boréale de l’extrême Ouest canadien – une découverte passionnante pour le public européen. » Si l’on ajoute à cela : « Nous avons à cœur de remettre en lumière des positions artistiques tombées dans l’oubli comme celles de la Suédoise Anna Boberg et de la Finlandaise Helmi Biese », on comprend que la mission est de cocher les cases désormais incontournables du féminisme et de l’écologie, d’autant plus que, dans le jardin, l’installation Boreal Dreams (2024-2025) de Jakob Kudsk Steensen permet d’expérimenter « un univers simulé qui représente la forêt boréale dans des conditions climatiques toujours plus chaudes. »

Les commissaires, Ulf Küster et Helga Christoffersen – mais c’est le directeur du musée de Buffalo, Janne Siren, petit-fils du célèbre peintre finlandais Akseli Gallen-Kallela, qui a rencontré la presse –, n’ont malheureusement pas voulu qu’il y ait « trop à lire ». Seules 17 œuvres sur plus de 70 sont commentées dans le livret de visite et aucune individuellement dans le catalogue. Les deux premières toiles présentées, Nuit de printemps (1914) d’Akseli Gallen-Kallela (voir ill.) et Arbres arrachés par le vent (1888) d’Ivan Schischkin (seul Russe de l’exposition), spectaculaires, donnent bien le ton du parcours conçu comme un livre d’images. Ensuite, les salles reçoivent des ensembles plus ou moins importants de chacun des 13 artistes. Sans surprise, Gallen-Kallela bénéficie d’une salle entière (en tout, neuf tableaux de lui sont présentés) et l’on en trouve dix de Munch. D’Emily Carr, il n’est pas dit dans le livret que son compatriote Harris l’initia à la théosophie – comme celui d’Hilma af Klint, leur passage respectif à une forme d’abstraction, montrée dans l’exposition, est pourtant certainement dû à cette spiritualité. L’unique toile que « Lumières du Nord » partage avec « Exhibition of Contemporary Scandinavian Art », à Buffalo en 1913, est Une maison sur la côte (Cabane de pêcheur) (1906) d’Harald Sohlberg. La consultation en ligne du catalogue de 1913 nous apprend d’ailleurs que cinq artistes seulement, Boberg, Prince Eugen, Fjæstad, Munch et Sohlberg, sont communs aux deux expositions. Il aurait été intéressant de voir à Bâle, Otto Hesselbom, Thorvald Erichsen, Gunnar Hallström, Thorolf Holmboe ou Eilif Peterssen, peintre de la forêt qui figuraient tous à Buffalo.
À la fin de ce parcours sur le paysage nordique européen où s’est glissée Emily Carr, vient enfin le Groupe des Sept ou plutôt Thomson, Harris et MacDonald. Le livret de visite les présente succinctement mais, dans le catalogue, un essai de Katerina Atanassova souligne l’importance de ce mouvement dans la construction d’une identité nationale canadienne à travers le paysage. Il est dommage qu’aucune œuvre d’autres membres du Groupe ne soit exposée, en particulier d’Alexander Young Jackson qui exerça une forte influence stylistique sur Thomson et MacDonald.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : À la Fondation Beyeler, le public se perd dans la forêt