Le Musée national de la Marine consacre une rétrospective au photographe, autour de plus de quarante ans d’images maritimes.

Paris. En 2002, Jean Gaumy faisait partie des neuf photographes exposés au Musée national de la Marine dans le cadre de la Deuxième biennale internationale de la photographie maritime, consacrée aux « Hommes de la mer ». Un espace spécifique avait été dévolu à son projet « Pleine mer » mené pendant quinze ans sur les derniers chalutiers de haute mer et ses hommes d’équipage. Un an auparavant, le livre éponyme publié sous la direction de Xavier Barral, aux éditions de La Martinière, avait été particulièrement remarqué pour ces images en noir et blanc, réalisées dans le bateau et sur le pont par tous les temps, de jour et de nuit, au plus près des corps et des visages.
Vingt-trois ans plus tard, ces scènes de pêche, de coupes de poissons ou de repos de l’équipage, ces cadrages resserrés sur une raie, un filet gorgé de morues… sont placées à mi-parcours de la monographie « Jean Gaumy et la mer » que propose le Musée national de la Marine. Elles n’ont pas perdu de leur intensité. Avant se découvrent les premières histoires de mer et de rivages, son récit sur les employées de La Boucane de Fécamp (conserverie de poissons depuis disparue) et d’autres sur la pêche en Espagne et à Long Island. Opérations d’assistance et de sauvetage en mer du remorqueur L’Abeille Flandre, marée noire causée par le pétrolier Amoco Cadiz, exploitation de gisements gaziers en mer du Nord ou reportage et film à bord d’un sous-marin nucléaire de la Marine nationale… là encore, le point de vue est à hauteur d’homme. La photographie-documentaire et le noir et blanc dominent mais régulièrement s’immisce la couleur tandis que l’image devient plus graphique à la limite de l’abstraction, qui prend toute son ampleur avec les clichés des expéditions qu’il a menées avec des scientifiques au pôle Nord.
Le monde maritime tisse un fil rouge depuis plus de quarante ans dans une œuvre qui n’avait jamais été déroulée. Cette exposition est par ailleurs pour le photographe et cinéaste, membre de l’agence Magnum, la première que lui consacre un musée national, et la première d’une telle ampleur à Paris. Certes Jean Gaumy est agréé depuis 2008 « peintre officiel de la Marine » dans la catégorie et cinéma. Mais cette exposition est surtout le fruit de la donation de ses archives qu’il a faite, il y a sept ans, à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie. « C’est grâce à ces archives que l’on a pu mener un tel projet », rappelle Matthieu Rivallin, chef du département de la photographie de la MPP et co-commissaire de l’exposition avec Marion Veyssière, directrice de l’adjointe du Musée national de la Marine. Pour la MPP, cette collaboration avec l’établissement est également une première et marque une étape importante dans la valorisation des archives de photographes contemporains, de plus en plus nombreux à donner leur fonds à ce service d’archives du ministère de la Culture, puisqu’il s’agit aussi pour l’institution de sa première exposition de photographie dans un musée national.

L’exposition « La pêche au-delà du cliché », placée en préalable, peut toutefois un peu décontenancer bien que sa réflexion sur la représentation de la pêche depuis le XIXe siècle, construite à partir des collections de photographies du musée, soit intéressante. Son ouverture avec Anita Conti, première femme océanographe française, photographe et cinéaste, renforce le trouble. Son contenu dense, en nombre d’images et de textes à lire, demande du temps, ce qui peut nuire à la section dédiée à Jean Gaumy. Deux expositions présentées consécutivement, cela fait beaucoup pour le visiteur ! Même si la première est bien plus courte, mais encore faut-il le savoir au moment de sa découverte. Car il serait dommage de ne pas apprécier jusqu’au bout ce que raconte Jean Gaumy sur le monde maritime, en 150 photographies (pour la plupart tirées pour l’exposition), deux films et treize chapitres, riches en récits humains. La traversée est pleine de souffle, de vies et de vécus, de convictions et d’attaches. En témoigne aussi en fin de parcours, le choix de Jean Gaumy pour son installation à la section photographie de l’Académie des beaux-arts, non de la traditionnelle épée, mais d’une copie 3D d’une des rares spatules pisciformes de l’art paléolithique.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Jean Gaumy et la mer : une traversée photographique