L’atelier de l’artiste Nicolas Floc’h pourrait bien être un bateau. Le sien ou ceux des scientifiques dont il partage l’intérêt pour la mer. Sa pratique de l’art se met au service de la préservation des fonds marins dont il dresse un état des lieux. Rencontre avec l’artiste-plongeur.
La trajectoire de Nicolas Floc’h est celle d’un personnage atypique. Auteur d’une œuvre foisonnante qui comprend notamment une dizaine de séries photographiques dont certaines sont constituées de plus de 200 images réalisées majoritairement entre 2010 et aujourd’hui, rien ne le prédestinait a priori à devenir artiste. Né à Rennes en 1970, Nicolas Floc’h embarque à dix-sept ans, encore adolescent, sur un navire de pêche de La Turballe. Après dix-huit mois passés à bord et la disparition en mer de deux jeunes marins de son âge dont il était proche, il renonce à devenir capitaine de pêche et décide de reprendre le chemin de l’école. Après une maîtrise d’espagnol, il commence à exposer, notamment Painting (1993), une œuvre dont le fond peint en bleu évoque l’eau d’un aquarium sur lequel deux poissons sont également dessinés. Painting annonce déjà les prémisses de l’œuvre à venir consacrée aux fonds marins et à la couleur de l’eau.
Pendant sa formation à la School of Art de Glasgow de 1997 à 1999, Nicolas Floc’h travaille sur le projet « Habitat », un kit de mobilier très minimal incluant tables, sièges, étagères tenant dans une caisse de 103 x 53 x 46 cm, de 40 kg. Ce premier projet le pousse à s’intéresser à d’autres types d’habitations, notamment sous-marines, celles construites pour la faune et la flore. C’est ainsi qu’en 2010, il commence la série photographique « Récifs artificiels » : « Ce sont ces habitats que les humains vont construire pour d’autres qu’eux-mêmes qui m’amènent sous l’eau afin de questionner comment le vivant s’empare de ces formes et vient les redéfinir. » Ces récifs artificiels répondent à un besoin, les espaces de vie et de reproduction des animaux sous-marins étant détériorés par la surpêche et les pollutions marines, les scientifiques ont dû en recréer afin que la vie sous l’eau perdure. « À l’occasion de mes plongées, j’ai vu les paysages marins se transformer rapidement au fil des années. Il fallait que je puisse le montrer, le donner à voir. » Son travail photographique « Paysages productifs » commencé en Bretagne en 2015 témoigne ainsi d’un état des fonds marins. Ces photographies noir et blanc captent à des profondeurs différentes (3 m, 6 m, 10 m, jusqu’à 25 m) la faune et la flore. On découvre par endroits de vraies forêts sous-marines à l’île de Sein, constituées de sargasses, de laminaires et de gorgones, ou des paysages d’étoiles de mer autour de l’île Dumet, ou de méduses à l’île de Groix. Ces images, réalisées en majeure partie en plongeant depuis son bateau nommé OAO pour Observatoire Artistique de l’Océan, constituent aujourd’hui une archive précieuse des fonds marins de l’Hexagone. Elles pourront servir de points de comparaison pour les scientifiques travaillant sur l’évolution des habitats sous-marins.
En 2016, Nicolas Floc’h commence un travail sur la couleur de l’eau. Il s’agit d’effectuer une coupe dans l’océan ou dans un fleuve, qu’il nomme « colonne d’eau ». Il réalise tous les mètres une image photographique, descendant progressivement dans les abysses. Ses photographies révèlent les différentes tonalités colorées de l’eau en fonction de la profondeur et du lieu. Images quasi monochromes (bleu, vert, parfois ocre), leur couleur renseigne sur la composition (les minéraux, les sédiments) et sur l’« état de santé » de l’eau. Elle est, au même titre que les « Paysages productifs », une archive des mers, des fleuves et des océans. Cette série photographique a conduit Nicolas Floc’h du Mississipi au Golfe du Mexique, de l’embouchure du Tage à l’océan Atlantique et l’amènera prochainement en mer du Nord, dans le cadre de son exposition au Point du Jour à Cherbourg (en septembre prochain). Si l’œuvre de Nicolas Floc’h est autant scientifique qu’artistique, elle est aussi profondément politique. La beauté et la puissance suggestive de ses images sensibilisent le grand public à la détérioration du milieu sous-marin lequel est, rappelons-le, l’un de nos deux poumons avec les arbres.
Tara Pacific, quand l’art rencontre la science
En 2008, Nicolas Floc’h découvre l’existence des récifs artificiels, véritable architecture vivante colonisée par la faune et la flore. En 2017, il embarque à bord de la goélette Tara pour une mission Tara Pacific. Il réalise entre Tokyo et Keelung (Taïwan) des plongées en mer pour photographier ces récifs. « C’est l’occasion de réaliser sur un temps long des échanges avec des scientifiques, de les accompagner dans les plongées […]. Dans mon travail artistique, je raconte cette histoire avec des photographies sous-marines en noir et blanc, jamais dans le stéréotype de l’image sous-marine qui est bleue et très colorée. Je fais plutôt des images monochromes sur du motif et de l’architecture », explique-t-il dans son Journal d’un artiste (2017, vidéo disponible sur www.ddabretagne.org).
Élodie Antoine
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Nicolas Floc’h au chevet de la mer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°785 du 1 mai 2025, avec le titre suivant : Nicolas Floc’h au chevet de la mer