Art ancien

XVIIE SIÈCLE

Chantilly regarde « par-delà Rembrandt »

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2024 - 565 mots

Le Musée Condé offre une lecture politique, économique et sociale de l’estampe néerlandaise au XVIIe siècle qui ne se réduit pas à la figure de Rembrandt.

Chantilly (Oise). Les expositions du cabinet d’arts graphiques du Musée Condé sont toujours l’occasion de découvrir un pan méconnu de la collection du duc d’Aumale. Cet hiver, « Par-delà Rembrandt » est également un marchepied pour la recherche en histoire de l’art sur le siècle d’or hollandais, dont les orientations sont illustrées par le fonds d’estampes néerlandaises conservé à Chantilly. C’est en se détournant de la souveraine figure de Rembrandt et en s’intéressant à des noms oubliés (Jan Both, Karel Du Jardin, Zeeman), ou à d’autres dont la gloire est éclipsée par le maître du noir et blanc (Ferdinand Bol, Jacob van Ruisdael), que le Musée Condé permet de renouveler le discours sur la gravure nordique.

Par son brio technique, son génie inventif en matière de composition, Rembrandt a imposé une réflexion quasi exclusivement artistique et formelle sur son médium de prédilection, la gravure. Bien d’autres angles d’attaque éclairent pourtant cette production artistique florissante du XVIIe siècle, alors que les Provinces-Unies se constituent en un État-nation riche, puissant et à la force de frappe commerciale alors inégalée. « Siècle d’or » est d’ailleurs une expression utilisée au moment même de cet essor, et non rétrospectivement par l’historiographie : non contents d’être puissants, les Néerlandais veulent le faire savoir. C’est avec le même objectif d’ostentation, et de propagande, que se développe l’art de l’estampe : « Il faut arrêter de considérer l’art du siècle d’or comme réaliste, souligne Baptiste Roëlly, conservateur au Musée Condé et commissaire de l’exposition. C’est au contraire une sorte d’utopie collective. »

De l’ensemble de feuilles présentées à Chantilly ressort l’image d’une société idéale, où les soldats sont des gentilshommes et où les scènes de genre témoignent d’une sociabilité polie, tout en magnifiant la figure du père de famille. L’idéalisme se glisse jusque dans les paysages bucoliques, où l’on voit quelques moutons paître paisiblement à l’heure où le capitalisme nordique a déjà transformé l’activité pastorale en une industrie. Diffusée à grande échelle, la gravure permet aussi de familiariser le public avec les visages importants de cette nouvelle république, ainsi qu’avec des personnages-types bien choisis : la bohémienne, le marchand de mort-aux-rats rentrent par ce biais dans l’imaginaire néerlandais, mais pas le docker, rouage indispensable du commerce maritime privé de représentation.

Une exposition d’histoire de l’art

La diffusion de l’art nordique fait partie de cette affirmation nationale : à peine peints, les paysages d’Adam Elsheimer sont transposés en gravure par Henrick Goudt, permettant une diffusion dans toute l’Europe de ces œuvres innovantes. L’exposition insiste sur l’organisation du travail artistique, où le graveur est parfois directement intégré à l’atelier. Une belle salle dont l’accrochage est conçu selon un dégradé de gris revient sur le choix du noir et blanc, qui représente 98 % de la production bien que la gravure en couleurs soit alors parvenue à son degré de maturité. Ce savoir-faire nordique valorise des innovations (comme l’eau-forte, inventée en Allemagne peu avant le siècle d’or) et les qualités de dessin propres aux œuvres néerlandaises. Avec cette explication de texte très matérialiste, le Musée Condé offre une exposition d’histoire de l’art passionnante, en phase avec l’actualité de la recherche. Le simple plaisir de voir est également bien présent : la beauté du premier état d’un portrait gravé par Antoon Van Dyck se passe, elle, d’explications.

Par-delà Rembrandt, estampes néerlandaises du siècle d’or,
jusqu’au 25 février, Château, cabinet d’arts graphiques, 60500 Chantilly.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°625 du 19 janvier 2024, avec le titre suivant : Chantilly regarde « par-delà Rembrandt »

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