Art ancien

XVIIE SIÈCLE

Les gravures de Rembrandt vues de près

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 31 juillet 2023 - 683 mots

FONTEVRAUD

C’est sous l’angle du processus de création que le Musée d’art moderne de Fontevraud présente les collections d’eaux-fortes de Rembrandt, dans une scénographie qui met en lumière la construction d’une image.

Fontevraud, Maine-et-Loire. La création d’une eau-forte est un processus laborieux. Il faut d’abord enduire une plaque de cuivre de vernis, puis procéder par soustraction de cette couche pour réaliser le dessin. La plaque est alors plongée dans une solution acide, qui grave le dessin dans le cuivre par « morsure » ; elle est ensuite nettoyée de son vernis, recouverte d’une couche d’encre, elle-même nettoyée pour enlever l’excès de matière. Lorsque l’encre n’est plus logée que dans les interstices « mordus » par l’acide, la plaque est enfin prête pour l’impression. Cette technique de gravure en taille-douce a un maître : « Il arrive rarement que l’on puisse identifier complètement une technique au génie d’un seul artiste ; cependant, on peut dire que la gravure à l’eau-forte, au XVIIe siècle, c’est Rembrandt », déclarait en 1963 Karel G. Boon, directeur du cabinet des estampes du Rijksmuseum d’Amsterdam.

Cette citation ouvre la deuxième grande exposition estivale du tout jeune Musée d’art moderne de Fontevraud, « Rembrandt en eau-forte ». Et elle donne le ton d’un parcours centré sur le processus de création, dont la visite peut devenir aussi chronophage que les sept étapes d’élaboration d’une eau-forte. « Ce n’est pas une exposition qui se regarde vite, prévient Dominique Gagneux, directrice du musée. On montre comment l’image se construit, on parle de “cuisine”. » Le propos élaboré par des non-spécialistes de la gravure hollandaise (Dominique Gagneux et Gatien Du Bois, chargé de projet au musée) échappe à une catégorisation thématique des gravures, ou même simplement chronologique.

Le parcours est séquencé autour de termes qui sont autant de techniques de composition de l’image mises en œuvre par Rembrandt : la hachure, la trouée, le clair-obscur, l’accumulation. Ce parti pris influence directement la façon dont le visiteur peut apprécier les gravures présentées à Fontevraud, en orientant son regard sur la construction de l’image, les techniques graphiques qui permettent à Rembrandt un rendu de texture et de matière, les cadrages et principes de composition modernes utilisés par le maître.

Voir et comprendre

Il ne faut pas chercher ici un propos historique, un exposé sur Rembrandt en son temps : la contextualisation se limite à un classique rappel chronologique en début de parcours, et les explications de texte iconographiques vont à l’essentiel. Et c’est tant mieux, car bien que la plupart des œuvres fassent l’objet d’un commentaire en cartel – parfois dispensable –, l’exposition n’est pas une invitation à lire et apprendre, mais à voir et comprendre. Les quelques mots-clefs qui jalonnent le parcours suffiraient à guider le visiteur.

C’est aussi la qualité des œuvres (venus de la collection Glénat, du Petit Palais à Paris et de la Fondation Custodia) qui permet ce parti pris. Quel meilleur exemple que le Paysage aux trois arbres pourrait-on trouver dans l’histoire de l’art pour illustrer le clair-obscur ? Y a-t-il un corpus plus éloquent que les tronie (« visage ») de Rembrandt pour évoquer les recherches d’un artiste sur l’expressivité ? Ici nulle querelle d’attribution, nulle identification de modèles ou de thèmes iconographiques. Ce qui permet de se concentrer sur l’essentiel : la construction radicale des images par Rembrandt, qui inspire encore aujourd’hui le vocabulaire du cinéma.

La scénographie valorise ce propos à la fois technique et contemplatif en animant par la variation un parcours d’art graphique, le tout dans une ambiance noir et blanc propice à la concentration. Dominique Gagneux reproduit ici un dispositif de cimaises en accordéon qu’elle avait testé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et qui crée des petites niches devant chaque œuvre, invitation à un rapport intime et prolongé avec les gravures. Le confort de visite optimal (lumières et vitres) rapproche un peu plus le visiteur des gravures, jusqu’à se perdre dans les hachures qui composent un manteau, ou rencontrer une large trouée de papier blanc en réserve autour de laquelle le maître a composé sa scène. Un rapport quasi sculptural aux eaux-fortes de Rembrandt, discrètement prolongé par les quelques photographies imprimées sur plaque de cuivre d’Elger Esser, contrepoint contemporain bienvenu aux œuvres du XVIIe siècle.

Rembrandt en eau-forte,
jusqu’au 24 septembre, Musée d’art moderne de Fontevraud, place Plantagenet, 49590 Fontevraud-l’Abbaye.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Les gravures de Rembrandt vues de près

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