Art contemporain

Robert Indiana par Bernar Venet

Par Bernar Venet · lejournaldesarts.fr

Le 26 mai 2018 - 1162 mots

LE MUY

Bernard Venet a autorisé le JdA à publier un texte inédit écrit en 2012 sur son amitié avec Robert Indiana récemment disparu.

<em>Robert Indiana avec son chat</em>
Robert Indiana avec son chat
Photo Bernar Venet
© Archives Studio Bernar Venet, New York

Robert Indiana est décédé le 19 mai dernier. Bernar Venet était l’un de ses amis. En 2012, à l’occasion de son exposition au Grand-Palais, Robert Indiana avait demandé un texte à Bernar Venet, son « ami français ». L’exposition a été annulée et le texte écrit est à ce jour inédit. Le voici dans son intégralité.
 
Mon premier voyage aux États-Unis en avril et mai 1966, je le dois à Arman qui a eu la générosité de m’offrir un billet d’avion alors qu’à vingt-quatre ans, ma nature impatiente commençait à souffrir de mon isolement niçois. Je lui dois aussi de m’avoir présenté Babette Newburger, cette collectionneuse qu’il avait rencontrée en arrivant à New York, pensant qu’elle pourrait peut-être m’acheter une œuvre et me sortir d’une situation financière dramatique. Tandis que je ne parlais pas encore l’anglais, une véritable amitié s’est créée entre Babette et moi, elle qui avait vécu en France et fréquenté de nombreux artistes et écrivains, elle collectionnait tous les artistes qui comptaient à l’époque et me présenta à la scène new-yorkaise, dont Robert Indiana.

Nous sommes au début du mois de mai et ce jour-là Babette m’emmène à un vernissage à la Stable Gallery dirigée par Eleanor Ward. J’ai pour l’artiste qui y expose une grande admiration datant de la découverte d’un tableau représentant une étoile blanche, paru dans une publicité dans Art International en 1964. L’image est très forte, son graphisme totalement original et typiquement américain. L’étoile blanche en son centre est un symbole que j’avais découvert sur la carrosserie des Jeep conduites par les GI qui venaient de débarquer en Provence et faisaient une étape dans mon village de Saint-Auban ; Indiana en a fait un emblème, un blason, un logo !

Ce jour-là, Indiana présentait pour la première fois ses peintures LOVE et les nombres cardinaux peints en rouge, vert et bleu. Les trois couleurs, m’avait expliqué Bob, avaient été choisies avec soin car elles avaient la particularité de créer un effet optique dû au fait qu’elles avaient la même intensité de valeur. Les tableaux reproduits en noir et blanc n’auraient présenté qu’un fond gris, uniforme, sans dessin ni contraste.

C’est donc ce jour-là que j’ai rencontré Bob pour la première fois. Mon anglais était pauvre, mais suffisant pour lui exprimer l’admiration que j’avais pour son travail. Un art très direct, d’une grande fraîcheur, avec une forte identité américaine, totalement original par rapport à l’histoire de l’art. Totalement unique aussi dans le contexte pop art de l’époque. Ses tableaux EAT, HUG, DIE, LOVE, hautement évocateurs, avaient l’impact de certaines publicités aux couleurs provocatrices et ces mots avaient un pouvoir tel qu’ils dépassaient en force le travail pictural. C’est certainement avec les œuvres d’Indiana que j’ai découvert pour la première fois la puissance symbolique de l’écrit dans une œuvre d’art.

Bob a eu la gentillesse de me reçevoir une semaine plus tard dans son studio de Spring Street, une ancienne fabrique de valise à proximité de Bowery. Je découvrais pour la première fois un « loft » d’artiste où vie pratique et activité artistique cohabitaient. Un univers typiquement Indiana, envahi de tableaux, de sculptures et d’objets personnels. Son ami Bill Katz était là, souriant, attentif et essayant avec Bob de comprendre mes quelques mots d’anglais. J’ai fait quelques photos de Bob dont l’extrême disponibilité me touchait beaucoup. Bill à son tour nous a fait poser devant Mother and Father, ce diptyque capital dans l’œuvre de l’artiste, un hommage à ses parents Earl et Carmen, tous deux immobiles, appuyés sur une Ford. Avec beaucoup de patience, Bob m’expliquait le sens de cette œuvre et de sa place dans « The American Dream ».

Depuis ce jour, une amitié s’est construite au cours de visites d’ateliers, d’événements divers, de dîners entre amis, de courriers échangés aussi car Bob adore envoyer et recevoir des nouvelles de ses proches.

Et puis il y a eu son départ pour Vinalhaven dans le Maine, en 1978, où une nouvelle vie plus solitaire s’est organisée. Alors je recevais des photos de « Star of hope », sa maison, des cartes postales de sa région, des photos de ses chats et de ses oies. À mon grand embarras, je ne suis jamais allé lui rendre visite dans sa retraite où il fait trop froid l’hiver pour qu’un avion s’en approche et comme je passe mes étés en France, je n’ai jamais à ce jour visité « Star of hope ». J’ai une autre excuse aussi car mon angoisse est très grande à l’idée de me retrouver au milieu de sa vingtaine de chats qui ne le quittent pas et auxquels je suis particulièrement allergique. La présence de ces félins que j’aime tant provoque pourtant chez moi depuis mon enfance des crises d’asthme très pénibles.

En 1993, à la veille de mon exposition au musée d’Art moderne de Nice, Bob est venu me rendre visite, à mon insu. Alors que je me trouvais à l’aéroport pour y rencontrer une amie journaliste allemande, Barbara Catoir, qui venait de Cologne, j’aperçois au milieu de la foule de passagers qui débarquent un personnage semblant égaré, vêtu de jeans bleus et d’une chemise rouge. Il s’approche de moi, souriant comme si je lui étais familier, lorsque je le reconnais, stupéfait, Bob était déjà dans mes bras. Je ne m’attendais pas à une telle surprise. Il m’a expliqué qu’un courrier m’avait été envoyé quelques jours plus tôt m’annonçant sa venue pour être présent à mon vernissage. Effectivement, une lettre me parlant d’un « Bob » m’était parvenue. Illisible, je n’en avais pas tenu compte. Le hasard a voulu que je sois là au moment précis de son arrivée. Comment aurait-il réagi s’il ne m’avait pas trouvé à l’aéroport à ce moment précis ?

Bob a ainsi passé une semaine au Muy, nous lui avons fait visiter la région. À Vence, nous avons rendu visite à Arman avec qui il était très ami. L’occasion était parfaite aussi pour parler avec Gilbert Perlein et programmer une exposition rétrospective qui eut lieu cinq ans plus tard au musée d’Art moderne de Nice.

Quarante-six ans se sont écoulés maintenant depuis que j’ai rencontré Bob. La dernière fois que je l’ai vu, il avait rasé sa longue barbe blanche et rajeuni de dix ans. J’étais avec mon épouse Diane au vernissage de son exposition à la Paul Kasmin Gallery. Pendant le dîner qui a suivi, il s’est éclipsé sans dire un mot probablement éreinté par la foule d’admirateurs. Sa vie d’ermite à Vinalhaven l’avait éloigné de cette incontrôlable dynamique new-yorkaise.

Dans un milieu de l’art que nous connaissons bien, qui trop souvent nous fait penser à une jungle impénétrable et parfois cruelle, Robert Indiana est cet artiste exceptionnel qui en plus d’être l’auteur d’une œuvre diverse, riche et radicale, a réussi à introduire dans l’histoire de l’art le mot « LOVE » à tout jamais.

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