Art contemporain

Rétrospective

Robert Indiana, une histoire américaine

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 26 novembre 2013 - 715 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

Le Whitney Museum rattrape le rendez-vous manqué de Robert Indiana à Paris, et célèbre l’artiste et ses puzzles langagiers enfermés dans leur esthétique.

Robert Indiana, LOVE (1966) - Huile sur toile - 182,6 x 182,6 cm - Indianapolis Museum of Art, Indianapolis. © Morgan Art Foundation.
Robert Indiana, LOVE (1966) - Huile sur toile - 182,6 x 182,6 cm - Indianapolis Museum of Art, Indianapolis.
© Morgan Art Foundation

NEW YORK - L’exposition qui, il y a tout juste un an, devait être dévolue à Robert Indiana au Grand Palais, à Paris, ayant été annulée, c’est à New York, au Whitney Museum qui lui consacre sa première rétrospective américaine, que les amateurs doivent se rendre. Ils y découvriront un artiste singulier capable de multiplier les langages parfois touchants lorsque, jeune artiste, il se cherche. Un artiste qui s’est rendu prisonnier de sa propre esthétique alors que, parvenu au bout de ses essais, il mit au point un vocabulaire visuel, certes efficace, mais qui n’évolua plus qu’à la marge. En cela, est symptomatique le fait que l’immense majorité des 98 œuvres exposées date de la décennie 1960 et que seulement six soient postérieures.

Robert Indiana (né en 1928), c’est une histoire américaine. Celle d’un jeune homme qui, en 1958, change son patronyme de naissance, Clark, en Indiana afin d’affirmer ses racines du Middle West. Celle d’un homme qui, sa carrière durant, tenta d’embrasser évolutions et bouleversements de son pays. En 1966, c’est l’ultra célèbre LOVE, d’abord peinture avant de se développer en volume, qui lui assure une notoriété considérable. En pleine révolution contre-culturelle, le symbole devient l’emblème d’une génération appelant à la liberté sexuelle et à la liberté tout court. Le revers de cette popularité fut une diffusion incontrôlée donnant lieu à la production de montagnes de produits dérivés, souvent sans autorisation, mais contre laquelle l’artiste n’intenta jamais d’action, laissant se galvauder tant l’image que le message.Une histoire américaine, c’est aussi une manière de s’emparer des symboles de son pays afin d’en dresser un portrait en s’attachant à ses caractères identitaires qui, par endroits, vont se confondre ou se croiser avec les siens. C’est en cela qu’est pertinente la première salle – la plus intéressante du parcours – où se révèle un artiste aux prises avec des influences diverses. Sensible aux questions raciales, il peint de percutants visages noirs étirés en longueur, (Mene Mene Tekel, 1955-1956). Frappé par l’abstraction, et en particulier les surfaces lisses d’Ellsworth Kelly, il tente sa propre voie avec des cercles dorés sur du contreplaqué laissé brut (Twenty-One Golden Orbs, 1959-2001) ou sur une toile au fond couvert de rouge (Nine Golden Orbs, 1959). Fasciné par la forme de la feuille de ginkgo, il la représente sur un panneau de bois (Ginkgo, 1958) avant de l’inclure dans une composition plus complexe, encadrée par des motifs de bandes de sécurité, évoquant pour lui le désir homosexuel (The Sweet Mystery, 1959-1962).

Le peintre américain des signes
C’est en 1959 qu’Indiana se lance dans l’exploration des coloris saturés allant devenir sa marque de fabrique. Marqué par la multitude de panneaux routiers bordant les routes américaines et la profusion de signes qui y sont déployés – mais pas par le langage publicitaire, ce qui probablement a contribué à le maintenir éloigné des acteurs du pop art –, il incorpore alors à ses toiles un mélange de mots et de signes graphiques permettant d’affirmer le pouvoir du langage qui se charge là de plusieurs niveaux de significations tout en animant la surface, en un véritable puzzle langagier parfois. Partout l’artiste se montre ambivalent, sombre ou optimiste, célébrant dans ses messages l’amour et les plaisirs de la vie tout en pointant le versant sombre de l’Amérique et ses échecs : les limites de la société de consommation, sa capacité d’exclusion, ses dérives politiques… Ainsi des Confederacy Series (1965-1966), quatre toiles se référant à des états du Sud – Alabama, Floride, Louisiane, Mississippi – qui firent sécession lors de la guerre civile, et dont les cartes enserrées dans un cercle porteur d’un slogan sont marquées par des étoiles désignant les villes où l’on vit se perpétrer, dans les années 1960, des violences envers des Afro-Américains au cours des mouvements en faveur des droits civiques. L’ennui c’est que passée l’inventivité des premières années les recettes d’Indiana tournent en rond et ne se renouvellent plus, incapables de dépasser le stade de leur accomplissement premier.

ROBERT INDIANA : BEYOND LOVE,

jusqu’au 5 janvier, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, États-Unis, tél. 1 212 570 3600, www.whitney.org, tlj sauf lundi-mardi 11h-18h, vendredi 11h-21h. Catalogue co-éd. Whitney Museum/Yale University Press, 286 pages.

Commissaire : Barbara Haskell
Nombre d’œuvres : 98

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : Robert Indiana, une histoire américaine

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