Art contemporain

Mr. Brainwash : « Je suis une cocotte-minute sur le point d’exploser »

Par Sarah Belmont · lejournaldesarts.fr

Le 12 mars 2019 - 816 mots

LOS ANGELES / ETATS-UNIS

Le street artiste qui vit à Los Angeles va fêter ses dix ans de carrière. Le JdA l’a rencontré dans son atelier.

Michelle Obama regardant l'une des peintures murales de Mr. Brainwash à l'occasion du premier anniversaire du mouvement "Let Girls Learn", 8 mars 2016 - Official White House Photo by Amanda Lucidon
Michelle Obama regardant l'une des peintures murales de Mr. Brainwash à l'occasion du premier anniversaire du mouvement "Let Girls Learn", 8 mars 2016
© Official White House Photo by Amanda Lucidon

Thierry Guetta (53 ans), alias Mr. Brainwash est né à Paris et vit à Los Angeles depuis son adolescence. Il est devenu street-artiste dans les années 2000. Il figure au 635e rang dans le classement Artindex du Journal des Arts.


Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? 
Fin mars, il est question que je peigne à quatre mains avec le pape, que j’ai rencontré il y a quelques mois. Je lui ai offert une bombe aérosol arborant le jeu de mots « Pope Art », et il a acheté au collectionneur mexicain Carlos Slim un de mes Einstein. Je m’apprête à célébrer mes dix ans de carrière prochainement. Enfin, il est possible que l’une de mes sculptures monumentales « Life is beautiful » soit installée au cœur de Santa Monica. 

À propos de cette phrase, qui vous suit depuis votre toute première exposition, en 2008. S’agit-il, d’une marque de fabrique ? 
Une marque de fabrique, non. J’évolue sans cesse. Et j’espère vivre suffisamment longtemps pour continuer à changer en permanence. Il s’agit plutôt d’un état d’esprit, que j’ai adopté une fois adulte. J’ai décidé de voir le bon côté des choses. Et c’est devenu un message d’espoir pour certains. Comme ces deux jeunes mariés que l’un de mes grafs aurait convaincus de se marier. C’est ce qu’ils m’ont écrit en tout cas. 

Une « positive attitude » que l’on dit répandue aux États-Unis. Est-ce pour cette raison que vous êtes resté à Los Angeles, où vous vivez depuis une trentaine d’années ? 
Non. Paris est toujours dans mon cœur. J’envisage même d’y avoir un atelier, un jour. J’ai atterri ici par hasard. Mon père a obtenu un permis de travail. Nous l’avons suivi. Je me souviens encore du voyage. Un bateau, un train, un avion. Quelle épopée ! Sans entrer dans des généralités, vous avez en partie raison. Les Américains ont l’encouragement facile. Tout le monde a sa chance ici ; ce qui donne envie de toujours se surpasser. C’est un pays encore jeune. La marge pour accomplir de grandes choses demeure considérable.

Le regard que vous jetez sur votre travail est-il toujours positif ? 
Non. Quand une œuvre me déplaît, je me dis que je ne suis pas prêt. Je la mets de côté, afin de pouvoir l’apprécier plus tard. Tout est une question de timing. La plupart des travaux sélectionnés pour mes dix ans de carrière sont des pièces que j’ai laissées reposer pendant des années. 

Michelle Obama et Mr. Brainwash devant l'un des Einstein de ce dernier à l'occasion du premier anniversaire du mouvement "Let Girls Learn", 8 mars 2016 - Official White House Photo by Amanda Lucidon
Michelle Obama et Mr. Brainwash devant l'un des Einstein de ce dernier à l'occasion du premier anniversaire du mouvement "Let Girls Learn", 8 mars 2016
© Official White House Photo by Amanda Lucidon

Justement, en quoi consistera cette célébration ? 
Ce sera spectaculaire. J’ai accumulé tellement d’objets et d’œuvres dans divers entrepôts au fil des ans, que j’ai moi-même du mal à croire en l’ampleur du phénomène. Personne ne m’attend sur ce terrain. Jusqu’ici, j’ai essayé de faire plaisir à tout le monde, en suivant une route bien tracée. Désormais, je vais avant tout me faire plaisir, en espérant bien sûr que cela plaira. Il me reste tellement à exprimer. Je suis une cocotte minute sur le point d’exploser. 

Vous allez changer de support, de dimension, de style ? 
Dix ans, ce n’est rien. Je ne suis qu’au début du chemin. À 3%. Vous n’avez encore rien vu. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce feu d’artifice est susceptible de prendre la forme d’un musée…

Vos tableaux et sculptures sont présents dans quelques galeries. Pourquoi ne pas être resté indépendant comme nombre d’artistes locaux ? 
Je n’ai signé aucun contrat d’exclusivité. Et puis, je débute, rappelez-vous. Vous ne voulez pas déjà m’enfermer (rires) ! Mes lithographies se vendent en ligne à une vitesse phénoménale. Parfois pour mieux être revendues dans la minute qui suit sur e-Bay, au grand dam de mon entourage. Que voulez-vous que j’y fasse ? Une fois partagée, vendue, l’œuvre qui faisait partie de moi vit sa vie. Il faut savoir l’accepter. 

Comment qualifieriez-vous votre art ?
Je ne fais pas de l’art. Je suis art, au même titre que tout ce qui m’entoure. Il ne s’agit pas d’une série de productions mises bout à bout. C’est comme respirer. Je ne m’arrête jamais. Trois-quatre heures de sommeil me suffisent. Et encore, si je pouvais m’en passer. Le temps, c’est la clef. 

Tout le monde vous appelle Thierry autour de vous, et non Mr. Brainwash. Pourquoi ce surnom qui signifie « lavage de cerveau » en anglais ?
J’essaie de surprendre, d’abattre des idées reçues, en laissant mûrir mes projets. Van Gogh n’a jamais cessé de peindre. Il n’a vendu aucune toile de son vivant. Et l’histoire lui a donné raison, puisqu’il compte à présent parmi les grands maîtres. De mon côté, je sème des indices, cultive des mystères qui seront peut-être élucidés des années après ma mort. Je suis une œuvre de jeunesse, inachevée, en perpétuel mouvement, qui marquera, je l’espère, les siècles à venir. 

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