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Artindex 2018, Gerhard Richter détrône Bruce Nauman

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 16 février 2018 - 1335 mots

MONDE

Si Gerhard Richter est passé devant Bruce Nauman en 2017, les artistes nord-américains et allemands se partagent comme à l’accoutumée le haut du classement, l’art conceptuel restant prégnant dans ce segment. Les Français ne pointent qu’au-delà de la 50e place, de même que… les stars du marché.

Gerhard Richter dans son atelier
Gerhard Richter dans son atelier
Courtesy Zero One film

Comme en 2016 et 2015, peu de changements sont à observer dans le peloton de tête du classement de l’année 2017. On retrouve dans l’ordre Gerhard Richter, Bruce Nauman, Cindy Sherman, John Baldessari et Lawrence Weiner. Chose remarquable, Richter détrône Nauman qui détenait la première place depuis plusieurs années. Cette performance s’explique par le nombre d’expositions personnelles dont le peintre allemand a fait l’objet en 2017, entre autres au Museum Ludwig à Cologne, au Folkwang Museum à Essen, à l’Albertinum de Dresde, au Kunstmuseum de Bonn, à la Galerie nationale de Prague ou à la Queensland Art Gallery à Brisbane (Australie). Si avec ce petit roque la peinture coiffe au poteau l’art conceptuel, ce dernier reste prépondérant dans ce segment du classement. En dehors de Georg Baselitz (8e rang, inchangé), l’autre grand peintre allemand, seuls deux peintres, américains, figurent dans les 20 premières places : John Baldessari (4e, inchangé) et Ed Ruscha (6e, perd une place), dont la pratique picturale se distingue pour tous les deux par son fort ancrage conceptuel.

La photographie plasticienne est bien représentée avec Thomas Ruff qui demeure à la 7e place, suivi de près par l’autre Allemand Wolf-gang Tillmans qui gagne deux places et pointe à la 12e. Viennent ensuite Nan Goldin (29e place), Thomas Struth (32e) et Andreas Gursky (38e).

Dans ce domaine comme ailleurs, États-Uniens et Allemands se partagent le gâteau. La domination du monolithe de tête par les premiers est une affaire entendue. Quant à la présence germanique en haut de ce classement, elle a partie liée avec celle des Nord-Américains : loin de s’exclure, ils se consolident mutuellement, et ce pour des raisons historiques qui plongent leurs racines dans le plan Marshall. L’histoire de David Zwirner, deuxième galeriste le plus puissant au monde après Larry Gagosian, en est une belle illustration. Le galeriste allemand, fils du marchand colonais Rudolf Zwirner, a commencé sa carrière à New York. Dès ses débuts, il a représenté Gerhard Richter, Bruce Nauman et Joseph Beuys, confortant ce pont solide entre les deux scènes. La scène allemande se caractérise par ailleurs par des collectionneurs certes puissants financièrement, mais aussi historiquement engagés dans le soutien de leurs artistes locaux. Une histoire qui remonte au XIXe siècle, alors que la bourgeoisie s’arroge les prérogatives de l’aristocratie en matière de prescription artistique (à l’inverse de la France où une aristocratie républicaine s’est substituée à celle de l’Ancien Régime). Les très nombreuses institutions allemandes issues de cette histoire d’une société civile conquérante poursuivent aujourd’hui un fort travail de soutien à leurs artistes locaux, relayé par des galeries connectées internationalement. L’impressionnante liste susmentionnée des institutions allemandes ayant invité Richter en 2017 en est un exemple, si besoin était.

Autarcie française
Les artistes français brillent quant à eux par leur absence de la première moitié du classement : Daniel Buren, le premier, n’arrive qu’en 53e position, suivi de près par Christian Boltanski (57e), Pierre Huyghe (63e) et Kader Attia (66e). Viennent ensuite Sophie Calle (78e) et le duo Claire Fontaine (80e). Si les institutions françaises tentent de mettre les bouchées doubles pour la visibilité de nos artistes nationaux, la scène française souffre encore de son autarcie historique, reproduite au sein d’élites peu influentes internationalement.

L’avancée météoritique de Kader Attia au cœur du Top 100 (+ 26 places) en atteste. Effet du prix Marcel Duchamp qui lui a été décerné en 2016 ? Pas seulement. L’artiste qui vit entre Berlin et Paris a ouvert dans le 10e arrondissement « La Colonie » en 2016, un lieu de convivialité, très axé sur les questions postcoloniales. C’est entre autres à l’aide d’outils de cette nature que Kader Attia se construit un immense réseau d’influence sans attendre l’appui des institutions françaises (qui arrive un peu tard, en 2018, avec plusieurs expositions, notamment au Palais de Tokyo à Paris et au MacVal à Ivry-sur-Seine). En 2017, son œuvre a fait l’objet d’expositions monographiques dans d’importants musées internationaux, tels le Museum Ludwig de Coblence (Allemagne), le Smak à Gand (Belgique), le Kemper Art Museum de Saint Louis (Missouri), le Musée d’art contemporain de Sydney, ainsi que dans ses galeries Continua (San Gimignano, Pékin, Boissy-le-Châtel, La Havane) et Lehmann Maupin (New York, Hongkong, Séoul).

Autre progression remarquable, Louise Lawler avance de 14 places et se hisse au 59e rang : sa rétrospective au MoMA de New York a permis de réévaluer le travail de la photographe conceptuelle qui fait de la citation de ses pairs le cœur de son œuvre. L’artiste libanais Walid Raad, enseignant à la Cooper Union (New York), qui se distingue par une œuvre mêlant un travail sur les images de la guerre du Liban à des éléments fictionnels, gagne lui 16 places pour accéder à la 81e. À la 50e, Kiki Smith avance quant à elle de 13 places : sa participation à la dernière Biennale de Venise, placée sous le commissariat de Christine Macel, a remis en lumière une œuvre féministe engagée dans la déconstruction des stéréotypes iconographiques masculins.

Du côté des flops, pas de dégringolades notoires, hormis pour Günter Brus. L’actionniste viennois perd 17 places et se retrouve au 97e rang (alors qu’à l’opposé l’Autrichienne de la même génération Valie Export gagne 5 places et caracole en 20e position, cette dernière jouissant d’une immense reconnaissance critique depuis quelques années qui s’est conclue par son entrée à la galerie Thaddaeus Ropac fin 2017). Sherrie Levine ne bénéficie pas du sursaut d’intérêt récent pour les positions féministes et perd quant à elle 10 places (67e). De même, l’artiste africain-américain Glenn Ligon en perd 8 et recule au 92e rang après avoir été la coqueluche des institutions états-uniennes au début des années 2010.

Koons 56e
Pour finir, le classement écorne l’image des stars du marché. Jeff Koons, malgré tous les cadeaux qu’il voudra bien faire (exécutés aux frais de leurs destinataires), se traîne à la 56e place, en perte de 5 points. Sa seule exposition personnelle en 2017 est celle que lui consacre sa galerie Gagosian, à Beverly Hills (Los Angeles). Comme pour se ressourcer dans la Mecque du kitsch en attendant de reprendre son envol ? À moins que, à l’instar de Damien Hirst, il ne se concentre sur le must des institutions, le déficit de visibilité dans ce domaine entraînant une baisse dans le classement. La double exposition de Damien Hirst l’année dernière au Palazzo Grassi et à la Pointe de la Douane pendant la Biennale de Venise n’aura guère contribué à contrer l’infortune critique de l’enfant terrible des Young British Artists : le gigantisme et l’ubiquité ne font plus recette. Celui-ci atteint en effet péniblement le 27e rang, gagnant une petite place par rapport à l’an dernier.

Pas de coup de théâtre donc dans ce classement 2018, hormis quelques révolutions de palais dont la plus significative est cette première place cédée par Bruce Nauman à Gerhard Richter. Un combat des chefs qui, à l’image de l’ensemble du classement, reste essentiellement masculin et occidental. Les évolutions multipolaires d’un monde de l’art qui ne peut plus aujourd’hui se penser en termes de centre et de périphérie ne sont pas sensibles ici. L’absence quasi totale d’artistes issus des continents africain, asiatique ou sud-américain est révélatrice du découplage affectant dans le temps court les processus de réévaluation artistique de leur validation institutionnelle et commerciale.

Anri Sala, artiste franco-albanais, apparaît dans notre classement France à la première place au titre d’artiste de la scène française et dans le Top 100 mondial à la 45e place sous la nationalité albanaise, car le plus souvent considéré comme tel par la presse internationale - faisant de Daniel Buren en 53e position le premier artiste français de ce classement.
Complément (19 février 2018)
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Classement des 100 premiers artistes dans le monde : PDF

NC : Non classé dans le top 100 en 2017

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°495 du 16 février 2018, avec le titre suivant : Artindex monde 2018

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