Les artistes ont toujours été fascinés par le règne animal qu’ils représentent à foison. Qu’il soit moqueur, instigateur de la création, d’une action militante, ou simple compagnon, l’animal en dit beaucoup sur notre relation au monde et sur nous-mêmes. Il est un miroir tendu vers notre humanité.
De la faune sauvage des fresques d’art pariétal au confort d’un épagneul Cavalier King Charles assis sur un coussin de velours suggéré par Édouard Manet (1832-1883), du rhinocéros exotique d’Albrecht Dürer (1471-1528) à celui, net et facetté, de Xavier Veilhan (né en 1963), en passant par les vaches paissant dans les prés des tableaux de Rosa Bonheur (1822-1899), l’animal est un motif inépuisable qui traverse toute l’histoire de l’art. Le Musée du Louvre propose d’ailleurs une visite guidée d’environ 1 heure 30 pour découvrir ses nombreuses occurrences peintes et sculptées dans ses salles.
En témoignant de la longue relation qui l’unit à l’homme – et réciproquement –, la représentation de l’animal, vraie dans toutes les cultures et à toutes les époques, en dit long sur le regard que nous posons sur lui. En 1992, Damien Hirst (né en 1965) expose à la Saatchi Gallery, à Londres, un requin-tigre plongé dans un caisson de formol (The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living). La chair du prédateur est réduite à n’être qu’un matériau, que l’artiste s’est procuré auprès d’un chasseur de squales australien. L’œuvre fait scandale, devenant aussitôt une icône de l’art contemporain, et de ses excès. Au début du XXe siècle, l’écrivain Roland Dorgelès se moquait pour sa part de l’art moderne en exposant au Salon des indépendants Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, une huile sur toile signée d’un soi-disant peintre italien, mais qu’il prétendit ensuite avoir été barbouillée par la queue d’un âne.
Les animaux, toutes catégories confondues, à bec ou à poils, ont surtout longtemps été pris comme sujet d’étude naturaliste ou de démonstration allégorique, ce qui n’exclut pas l’empathie. Voire la révolte. Lorsque le peintre Gilles Aillaud (1928-2005) s’émeut du sort des félins, des éléphants et des girafes séquestrés dans les zoos, ses tableaux, tout en faisant écho au combat politique que mène le Front de libération animale, semblent décrire des créatures passives. Il en est de même avec ces individus esseulés, oisillon ou guenon à l’enfant qui ont fait leur apparition dans les photographies récentes de Sophie Ristelhueber (née en 1949). À première vue, ils ne sont que les simples figurants d’une situation environnementale déplorable. Dans les deux cas, c’est pourtant notre relation frelatée à la nature qui s’impose au cœur de l’œuvre.
En installant le personnage d’une pieuvre au centre de l’installation qu’elle crée pour le pavillon français à la 58e Biennale de Venise (2019), Laure Prouvost (née en 1978) s’identifie en tant qu’artiste à cette créature hypersensible capable de voir en touchant (Deep See Blue Surrounding You, 2019). Dans les clichés de William Wegman (né en 1943), ses braques de Weimar endossent, outre les costumes dont ils sont revêtus pour l’occasion, une part de la création. À plusieurs reprises, au fil de sa correspondance, Joan Mitchell (1925-1992) relate la manière dont ses compagnons à quatre pattes inspirent son œuvre – dans laquelle ils ne figurent pourtant jamais. Quant à Vivian Suter (née en 1949), elle a voulu que son exposition au MAAT, à Lisbonne, à l’automne dernier, porte le nom de l’un de ses chiens, Disco, dont l’empreinte se devine parfois sur les toiles jonchant le sol de son atelier. Dans la rétrospective que lui a consacrée le Musée d’art moderne de Paris, Hubert Duprat (né en 1957), quant à lui, ne s’est pas contenté de présenter sous vitrine les délicats fourreaux confectionnés par les trichoptères pour protéger leur mue, agrémentés des pierres, des perles et des fils d’or qu’il leur fournit diligemment. Il a également présenté l’ouvrage imposant consacré aux larves aquatiques, soulignant en introduction de ce gros livre l’extraordinaire capacité constructive de ces phryganes méconnus qu’il considérait pendant plusieurs années comme ses collaborateurs (Miroir du trichoptère, 2022, Édition Fage). L’humilité n’est pas incompatible avec l’humour.
Chez Suzanne Husky (née en 1975), c’est « l’agentivité » des castors qui a pris possession de son œuvre au point de déteindre sur ses dessins, puisque c’est en s’intéressant au « peuple des rivières » qu’elle a été amenée à adopter la technique plus fluide de l’aquarelle. L’artiste s’est même engagée auprès du Mouvement d’alliance avec le peuple castor, une association en faveur de la régénération des cours d’eau qu’elle copréside, et dont elle a notamment dessiné le blason. L’art a-t-il un rôle de sensibilisation à jouer auprès du public ? Empruntant son titre au célèbre essai de John Berger, Why Look at Animals ? (1980), qui explore les liens entre l’objectivation du vivant et sa marchandisation, le Musée d’art contemporain d’Athènes (EMT) met en tout cas la cause animale au centre de sa programmation, invitant à considérer « l’animal non humain non pas comme un “autre”, mais comme un être capable de socialisation, de plaisir, d’inventivité, de douleur et de chagrin ». Et doué de talent.
ATHÈNES (GRÈCE)
Musée national d’art contemporain – Jusqu’au 7 janvier 2026

© Lin May Saeed Estate
Ouvertement militante, l’exposition « Why Look at Animals ? » entend dénoncer la violence faite aux animaux qui les prive de « leurs droits naturels fondamentaux ». Ce projet est emblématique d’une programmation qui place les enjeux de justice écologique au cœur de l’institution pour les mois à venir. Et il insiste : « Tout engagement sérieux en faveur de la protection de l’environnement doit impliquer les animaux comme partie intégrante de la conversation. » L’affiche impressionne par son casting : une cinquantaine d’artistes, parmi lesquels Sammy Baloji, David Claerbout, Marcus Coates, Mark Dion, Lin May Saeed. Il faudra vraiment prévoir un détour après la visite du Parthénon.
« Why Look at Animals ? A Case for the Rights of Non-Human Lives », Musée national d’art contemporain, Athènes (Grèce)
www.emst.gr
LANDERNEAU (FINISTÈRE)
Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture – Jusqu’au 2 novembre
Plus de 150 œuvres de 130 artistes, des prêts émanant d’institutions comme le Louvre, le Musée d’Orsay, le Centre Pompidou, la Fondation Maeght, la Tate Modern à Londres et le Guggenheim Museum à New York : « Animal !? » est l’une des expositions phares de cet été, visible jusqu’à la fin de l’année. Son propos aussi didactique qu’ambitieux, offre une promenade à travers l’histoire de l’art, des dieux Égyptiens à l’Araignée de Louise Bourgeois, et comporte quelques chefs-d’œuvre signés Bonnard, Kandinsky, Matisse…
« Animal !? Une exposition de chefs-d’œuvre »,
Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, Landerneau (29)
www.fonds-culturel-leclerc.fr
METZ (MOSELLE)
Centre Pompidou-Metz – Jusqu’en février 2027

© ADAGP Paris
Cette exposition événement a été conçue par l’artiste italien Maurizio Cattelan à partir d’une quarantaine de ses œuvres et d’une sélection de plus de 300 autres issues des collections du musée messin. Elle est divisée en 27 chapitres déclinés sur le principe d’un abécédaire. Dans « Nous, les Animaux » figure notamment un autoportrait géant de l’artiste en chien, heureux, allongé sur le dos « vulnérable mais comblé, prêt à n’importe quoi pour obtenir une caresse ».
« Un dimanche sans fin. Maurizio Cattelan et la collection du Centre Pompidou », Centre Pompidou, Metz (57)
www.centrepompidou-metz.fr
NICE (ALPES-MARITIMES)
Villa Arson – Jusqu’au 24 août
L’exposition « Becoming ocean… » organisée conjointement par la Villa Arson, TBA21 Thyssen-Bornemisza Art Contemporary et la Fondation Tara Océan fait partie de la programmation de la Biennale des arts et de l’océan de Nice dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC3). Elle réunit les œuvres d’une vingtaine d’artistes, comme l’installation sonore et visuelle Ziggy and the Starfish de l’artiste coréenne Anne Duk Hee Jordan. Constituée d’un film et de plusieurs sculptures, celle-ci aborde la diversité de la sexualité dans les océans soumis au réchauffement climatique.
« Becoming ocean, a social conversation about the ocean », Villa Arson, Nice (06)
www.villa-arson.fr
NOISY-LE-SEC (SEINE-SAINT-DENIS)
La Galerie, centre d’art contemporain – Du 12 septembre au 13 décembre
En présentant le travail d’une vingtaine d’artistes inspirés par la figure féline (d’Adel Abdessemed à Sarah Tritz en passant par Marcel Broodthaers, Nina Childress, Laurent Le Deunff, Rayane Mcirdi…), l’exposition « Cat People. Des artistes et des chats » adopte un point de vue explicitement ironique. Tandis que son titre fait référence au film de Jacques Tourneur tourné en 1942, elle vise à illustrer « la relation décrite par Jacques Derrida dans ce que l’animal révèle de l’humain ». Elle souligne aussi l’ambivalence de la figure domestique du chat, mignon ou inquiétant.
« Cat People. Des artistes et des chats », La Galerie, centre d’art contemporain, Noisy-le-Sec (93)
www.lagalerie-cac-noisylesec.fr
ROMAN
Les meilleurs amis de Joan Mitchell

Un premier caniche offert par son ex-mari, plusieurs skye-terriers, un épagneul breton, des bergers allemands… Joan Mitchell a vécu entourée de chiens. Responsable des archives de la Fondation qui lui est consacrée, Laura Morris s’est plongée dans les carnets et la correspondance de l’artiste pour retracer avec précision cette histoire canine. Celle-ci est illustrée par une iconographie charmante et quelques reproductions d’œuvres dont les titres et les dédicaces attestent de la façon dont ses chiens chéris, s’ils n’étaient pas représentés par la peintre, n’ont cessé cependant de l’inspirer.
Laura Morris, « Joan Mitchell et ses chiens », Éditions Norma, collection Amigos Forever, 2025, 24 €.
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Les animaux dans l’art, un miroir de l’humanité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°787 du 1 juillet 2025, avec le titre suivant : Martin Bethenod : « Picasso remplace le chien des "Ménines" de Velázquez par son teckel ! »








