Arabie Saoudite - Biennale

BIENNALE D’ART CONTEMPORAIN

« Desert X AlUla », l’art au cœur de la géopolitique saoudienne

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 21 mars 2024 - 845 mots

Pour sa 3e édition, la biennale revient avec une quinzaine d’œuvres créées au cœur du désert saoudien. Desert X AlUla est symptomatique de la stratégie d’influence de la Commission royale pour Al-Ula.

Al-Ula (Arabie saoudite). Lancée en 2020, « Desert X AlUla » revient tous les deux ans en alternance avec son édition californienne, inaugurée en 2017 par ses fondateurs américains. Mieux identifiée internationalement et abondamment financée par la Commission royale pour Al-Ula (RCU), l’édition saoudienne exerce un effet levier pour la scène régionale. Les artistes invités sont ainsi soigneusement répartis : un tiers de Saoudiens, un tiers d’artistes du Moyen-Orient et un tiers d’« internationaux ». L’équipe curatoriale reflète également cet équilibre avec les deux codirecteurs artistiques, l’Américain Neville Wakefield et la Saoudienne Raneem Farsi, rejoints par deux commissaires pour l’édition 2024, l’Anglo-Libanaise Maya El Khali et le Brésilien Marcello Dantas.

La formule semble fonctionner car tous les artistes s’intègrent au site avec des propositions artistiques convaincantes et adaptées. Le couloir anguleux creusé dans le sable conçu par les Saoudiens Sara Alissa et Nojoud Alsudairi dialogue ainsi avec le land art et la géométrie des vestiges nabatéens d’Hegra, patrimoine de l’Unesco depuis 2008. Les installations du Bahreïni Faisal Samra et de la Libanaise Caline Aoun s’inscrivent dans la même mouvance artistique, tout comme celle du Mexicain Bosco Sodi. Les sculptures des Koweïtiennes Aseel AlYaqoub et Monira Al Qadiri, et de l’Irakienne Rand Abdul Jabbar explorent une veine biomorphique, révélant le désert comme lieu de vie.

Une « vallée des arts » en prévision

Cet effet levier pour les artistes de la région, moins établis internationalement, se prolonge sur place à l’espace culturel Maraya, bâtiment miroir spectaculaire, avec une exposition consacrée aux artistes saoudiens depuis les années 1950. Une double exposition consacrée à Manal AlDowayan se tient également au centre-ville, préparant ainsi sa participation à la 60e Biennale de Venise où elle représentera l’Arabie saoudite. Son installation de trampolines, créée pour la toute première biennale de 2020, est toujours accessible, et sera vraisemblablement intégrée au projet « Wadi AlFann » [des commandes à grande échelle spécifiques au site, NDLR], prévu pour 2026 dans la continuité de Desert X, mais dans un format permanent déployé sur plusieurs dizaines de kilomètres. Signifiant « vallée des arts » en arabe, ce développement de la RCU sera rejoint vers 2028 par un musée d’art contemporain ad hoc développé en partenariat avec le Centre Pompidou et conçu par l’architecte franco-libanaise Lina Ghotmeh. Les falaises de grès sculptées par l’érosion et ses vallées de sable dans le désert d’AlUla offrent un terrain également propice à l’Arte povera. Giuseppe Penone a installé, couché sur le sable, un tronc d’arbre en bronze entouré de troncs pétrifiés et de branchages trouvés sur place, une œuvre intitulée La Logique du végétal. Métamorphose. Le membre de l’Académie des beaux-arts est déjà connu dans la région du Golfe avec Germination, autre œuvre monumentale installée sous le dôme du Louvre Abu Dhabi depuis son inauguration.

D’autres artistes accentuent plus encore le contrepoint avec l’écosystème naturel, tant au niveau du thème, des matériaux, que des couleurs, à l’instar de Kimsooja, Kader Attia ou Ayman Yossri Daydaban, artiste saoudien d’origine palestinienne qui a recréé un terrain de football fluorescent à taille réelle sur l’un des plateaux désertiques d’AlUla.

Le choix du football, entre autres thèmes fédérateurs de la biennale, n’est pas anodin dans un pays qui a investi massivement dans ce sport. Cette ouverture à la culture populaire permet d’attirer un public au-delà des cercles de l’art contemporain, sur une période relativement courte, limitée à six semaines. Le public est au rendez-vous avec une majorité de Saoudiens et bon nombre de touristes internationaux, à commencer par les Français.

Cet ancrage populaire optimise par ailleurs la visibilité de la biennale sur les réseaux sociaux, où sa viralité est sensiblement plus forte que celle de sa consœur américaine. Le séjour de plusieurs semaines à AlUla du rappeur américain Kanye West en novembre dernier a préparé le terrain. Cette « instagramabilité » est à l’image de mise à l’agenda du pays : la couverture médiatique de Desert X AlUla offre une vitrine moderne et attrayante à l’un des régimes les plus autoritaires au monde, selon l’indice de démocratie que publie chaque année le groupe de presse britannique The Economist : 2,08 pour l’Arabie saoudite en 2023, contre 8,07 pour la France (et 2,12 pour la Chine). Elle a également permis d’atténuer l’onde de choc provoquée par l’arrestation d’Amr Al-Madani, ancien président de la RCU soupçonné de corruption, remplacé par Abeer AlAkel fin janvier 2024. L’opération est particulièrement payante lorsqu’on se rappelle que l’accord entre Desert X et la RCU avait provoqué le départ de trois membres du comité en 2019, dont le célèbre artiste Ed Ruscha qui dénonçait un partenariat toxique. Depuis, la stratégie saoudienne de normalisation par l’art et la culture a été consacrée avec l’attribution de l’Exposition universelle de 2030 à Riyad en novembre dernier.

Rappelons au passage le rôle-clé de la France : cinquième client pour les exportations d’armement entre 2013 et 2022 et important fournisseur de pétrole, l’Arabie saoudite est devenue un partenaire culturel privilégié depuis la création d’Afalula en 2018.

Desert X AlUla 2024,
jusqu’au 23 mars, desertX.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : « Desert X AlUla », l’art au cœur de la géopolitique saoudienne

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