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Xavier Veilhan : « Je suis un privilégié ! »

Artiste

Par David Robert (Correspondant à Rio de Janeiro) · Le Journal des Arts

Le 30 décembre 2014 - 1510 mots

L’artiste Xavier Veilhan, qui vient de signer un projet audacieux pour le château de Rentilly, commente l’actualité.

Xavier Veilhan (né en 1963) est un des artistes français les plus reconnus de sa génération. Notamment invité au château de Versailles en 2009 (après Jeff Koons et avant Takashi Murakami), il vient d’inaugurer – en collaboration avec les architectes Bona-Lemercier et le scénographe Alexis Bertrand – le château de Rentilly (Seine et Marne), il exposera début 2015 simultanément à Paris et New York, dans deux des espaces de la Galerie Perrotin.

Quelle fut la meilleure exposition de l’année à Paris ?
En ce moment, plutôt que Jeff Koons, que j’admire, je choisirais Seth Price chez Chantal Crousel ou « Inside », pourtant très éloigné de mon univers, au Palais de Tokyo. Sur la dernière année, deux événements : Philippe Parreno (Palais de Tokyo) et Pierre Huyghe (Centre Pompidou).

La plus décevante ?
J’allais vous répondre : « La manière dont sont présentés les candidats du Prix Marcel Duchamp ». Or je viens d’apprendre que les nominés seront au Centre Pompidou plutôt qu’au Grand Palais. C’est une bonne chose, parce que l’espace était réellement inadapté.

Qu’est-ce qu’un bon commissaire ? Un souvenir personnel ?
Éric Troncy, à l’occasion de « Coollustres » à la collection Lambert (2003). J’aime quand les commissaires prennent à bras-le-corps un travail, considérant qu’il a une certaine autonomie, quitte à le maltraiter un peu. En étant trop respectueux ou conscient de l’articulation avec le reste d’une œuvre, on finit toujours par montrer les choses de la même manière.

La présence d’art contemporain dans les lieux patrimoniaux ou les musées d’art ancien est-elle une façon d’éduquer le public à l’art contemporain ?
L’art contemporain dans les lieux historiques répond avant tout au besoin d’injecter de l’événement. Parce qu’un musée ou un lieu patrimonial, c’est le contraire de l’événement ! Il faut être conscient de cette dimension, comprendre l’origine du désir de la personne invitante. Prenons Versailles : d’abord, il y a une invitation, pas un désir de l’artiste. Ensuite on étudie le lieu, in situ. Quand c’est un lieu patrimonial, c’est moins formel, plus orienté vers l’histoire. Le but alors n’est pas d’être éducatif, mais d’établir un lien. Il faut penser que la monstration d’une œuvre n’a pas la même vocation quand quelqu’un paie un billet pour voir une monographie, se balade à la nuit blanche, ou visite le château de Versailles.

N’est-ce pas aussi une façon de donner de la valeur aux pièces contemporaines, quitte à les intégrer de manière artificielle dans un univers prestigieux ?
Si l’on pense à Jeff Koons ou même à Takashi Murakami, il ne faut pas nier une certaine logique formelle : une manière de tendre vers la perfection, d’assumer la superproduction, la méticulosité dans les détails… Entre la volonté de panache et un certain mariage du grand public et de l’exclusif en même temps, c’est un art qui fonctionne bien avec l’univers de la cour, de Versailles.

Il y a une grande pudeur – ou hypocrisie, c’est selon – quand il faut parler d’argent dans le monde de l’art. Vous êtes un des rares artistes à en parler librement. Pourquoi ?
Le marché est une porte d’entrée de l’art contemporain, qu’on le veuille ou non. Pour un non-averti, ce qui va frapper l’imaginaire, c’est le prix de telle œuvre adjugée aux enchères. Au lieu de le nier, il faut utiliser ce phénomène, aussi anecdotique et exceptionnel soit-il, pour amener les gens à comprendre le monde de l’art contemporain. Bien sûr ce n’est pas le meilleur chemin, mais c’en est un. Si en parallèle, un enfant raconte à ses parents qu’il est allé au Frac avec l’école, qu’il a vu des travaux de jeunes artistes avec une bonne médiation, alors ces deux réalités se complètent, et l’on commence à construire une image plus juste.

Mais il est difficile de nier que le marché de l’art entretient une relation étroite avec les ultra-riches (1), à l’origine d’un élitisme dérangeant ?
Il n’y a aucune raison de le nier. Une certaine perversion transforme des valeurs intellectuelles (des œuvres) en valeur financière, parce que les gens abordent l’art d’une manière erronée. Malheureusement trop rarement – l’art peut être aussi une rencontre, qui permet à des gens qui ont beaucoup d’argent de le dépenser en vivant une expérience intellectuelle impossible en investissant dans d’autres domaines.

Comment expliquer qu’à parcours comparable, la cote des artistes français soit inférieure à celle des Américains, Anglais ou Allemands ? Par ailleurs, on voit constamment des records tomber pour le top 10 mondial, mais le marché intermédiaire se porte-t-il aussi bien ?

Si on prend Wade Guyton, Christopher Wool ou Jeff Koons, certes, j’ai une cote inférieure, liée à un ensemble de facteurs. Mais dans la scène américaine, beaucoup d’artistes (talentueux, de ma génération) sont moins chers. Cela dépend notamment de la force de la galerie qui les soutient. La mienne, en France, promeut des artistes français tout en cultivant son côté « power galerie ». Donc je suis peut-être un contre-exemple, car je suis un privilégié : je peux vivre de mon art et alimenter de nouveaux projets, j’en suis heureux.

À la dernière Triennale, on dénombrait une minorité d’artistes français. Comment expliquer que le milieu de l’art contemporain soit si rétif à soutenir les artistes français en milieu de carrière comme vous ?
Mais c’est très bien, d’avoir 80 % d’artistes étrangers ! On a la chance de travailler dans un monde (de l’art) passionnant : il faut se décontracter, être généreux, s’ouvrir, ce qui est d’ailleurs une belle spécificité française ! On n’est pas dans une logique de quotas, tout le monde est trop crispé. L’ouverture favorise la circulation des idées. Il faut créer un état d’esprit dans lequel on se sent bien. On a un réseau incroyable de Frac et de centres d’art, on a la possibilité de voir plus de films en France que partout ailleurs, on a de grandes galeries qui sont des musées gratuits…

Y a-t-il une french touch en art contemporain ?
Allez savoir pourquoi, je pense d’abord à Guy de Cointet (1934-1983), un Français qui vivait en Californie, et à Thomas Hirschhorn, un Suisse qui vit à Paris. S’il faut parler de ma génération, je pense que Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parreno et Pierre Huyghe ont un lien évident quand on les voit de l’extérieur. De près, ils ont évidemment surtout des disparités.

Pourquoi a-t-on tendance à présenter nos grands artistes comme des artistes « officiels » (Boltanski, Buren, Soulages) ?
On confond parfois l’intention et le résultat. Le terme « officiel » ne dit rien de l’artiste. C’est comme dire d’un artiste musical qu’il est commercial, alors qu’il est parfois le premier surpris de l’être devenu. Moi je suis très content quand une institution que je respecte me reconnaît !

Justement : une ministre de la Culture qui fait le déplacement à Rentilly un samedi de novembre, c’est une reconnaissance institutionnelle, non ?
C’était une belle surprise. J’attache beaucoup d’importance à la reconnaissance de l’État. C’est logique, je suis intégré à ma société : mon atelier possède un comptable, crée des emplois, etc. Il me paraît normal que le ministre de la Culture (et non « des arts »), fasse des incursions dans notre sphère. Je suis toujours heureux quand un Frac achète une œuvre, ou lorsqu’on me demande de siéger au conseil d’administration d’un musée ou de l’École des beaux-arts.

Vous avez perdu au tribunal après avoir porté plainte pour parasitisme : le plagiat est-il un problème sans solution dans l’art contemporain ?

D’abord, de quoi est-on propriétaire ? De la matière, la couleur, la forme ? Il y a ensuite une différence entre ce qui est évidemment reconnaissable et la réalité de la loi. Enfin, il y a une question de positionnement : je suis relativement copié parce que je fabrique des objets autonomes, identifiables, commercialisables, en quantité moindre que la demande. La loi naturelle de l’économie vient « occuper ce vide ». Ce peut être gratifiant ou énervant selon les cas, mais c’est plus constructif de me pencher sur les raisons de la copie, que sur l’énervement qu’elle occasionne.

La critique d’art en France fait-elle son travail ?
Oui, je pense. Des endroits sont animés par des gens qui ont une action critique, comme Castillo-Corrales ou Bétonsalon. De plus, nous invitons régulièrement au studio des personnes de tous horizons artistiques. Certaines écrivent, échanger avec elles est enrichissant.

Ouvrir les musées 7 jours sur 7, est-ce une fausse bonne idée ?

J’aime le Palais de Tokyo la nuit. C’est fabuleux de voir une expo après dîner, au calme, puis de poser le sommeil sur des images encore fraîches. J’ai aussi souvenir de nocturnes au Louvre. C’est comme visionner un film le matin et garder son empreinte toute la journée : c’est fort. Oui à une ouverture maximale a priori, mais à choisir, plutôt le soir et la nuit que le 7 jours sur 7.

Note

(1) Voir le Tefaf Art Market Report 2014, et les corrélations établies entre l’accroissement des très hauts revenus (étude de la banque suisse UBS) et l’évolution du marché de l’art.

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Légende Photo :
Xavier Veilhan © Photo Stéphane Grangier pour Canal

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°426 du 2 janvier 2015, avec le titre suivant : Xavier Veilhan : « Je suis un privilégié ! »

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