Patrimoine

Récolement : les mauvaises pratiques perdurent

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2011 - 725 mots

PARIS

Le 13e rapport sur le récolement des œuvres d’art de l’État en dépôt rappelle le nombre élevé de disparitions.

PARIS - La publication est passée relativement inaperçue, mais c’est un rapport assez dérangeant qui a été rendu public, courant octobre, par le ministère de la Culture. Au fil de ces quelques cinquante pages, le document fait état de la proposition qui a été faite de déposer pas moins de 991 plaintes pour vol caractérisé d’œuvres d’art appartenant à l’État. Cela depuis 1996. Trente-huit de ces demandes concernent l’Assemblée nationale, huit le Sénat, deux la Cour des comptes, mais aussi cinquante-deux le ministère des Affaires étrangères ou quarante et un les services du Premier ministre. Le rapport stipule par ailleurs que plus de 518 000 euros sont réclamés, par le biais de titres de perception, par des institutions culturelles à des administrations dépositaires d’œuvres, en compensation des disparitions non élucidées. À ce jour, seuls 177 000 euros ont été perçus.

Ce brûlot, qui démontre que les mauvaises pratiques avec les biens publics ont la vie dure, n’est autre que le 13e rapport publié par la Commission de récolement des dépôts des œuvres d’art appartenant à l’État (CRDOA). Créée en 1996 suite à un rapport de la Cour des comptes déplorant la mauvaise gestion des collections nationales en matière de dépôts, la CRDOA, pilotée par un magistrat de la Cour des comptes – aujourd’hui Jacques Sallois, ancien directeur des Musées de France –, s’évertue depuis à détricoter la question des dépôts d’œuvres d’art dans les administrations, tout en prônant l’adoption de bonnes pratiques. La tâche n’est pas mince. À l’origine de la création de la CRDOA, l’affaire devait être soldée en trois ans et ne concerner que 10 000 œuvres. La commission a depuis été pérennisée et les chiffres atteignent, pour les seules institutions relevant du ministère de la Culture, 435 000 numéros, plus de la moitié n’ayant pas encore été récolés. Cela alors que la tâche a été étendue à d’autres ministères.

Triste record
Deux ans après un premier rapport qui ne faisait plus mystère de l’importance des disparitions, ce dernier document, portant sur l’année 2010, produit à nouveau des statistiques assez explicites. Depuis le début des travaux de la CRDOA, ce sont 107 œuvres de musées qui ont été déclarées volées, mais aussi 33 pièces appartenant au Centre national des arts plastiques (Cnap) et 13 au Mobilier national. Sèvres détient un triste record, avec 761 œuvres volées, dont 755 déposées au Musée d’art et d’archéologie de Nogent-sur-Seine (Aube). Or, ces chiffres ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Car, si seules 33 œuvres du Cnap ont été déclarées volées, 8 669 n’ont pas été localisées, alors que seulement 710 ont été présumées détruites pour faits de guerre. Les autres ont donc bel et bien disparu, mais, étant jugées secondaires ou mal documentées, aucune plainte n’a été déposée. De nombreuses institutions préfèrent encore se passer de cette mauvaise publicité… Preuve en est : sur les 991 demandes de plaintes formulées par la CRDOA, seules 243 l’ont été dans les faits.

Si le rapport pointe quelques bonnes nouvelles pour 2010, comme ses six œuvres du Louvre retrouvées par le Musée des beaux-arts de Lyon – elles se trouvaient au Musée Gadagne – ou encore cette pendule précieuse du Mobilier national, finalement localisée… dans un placard du Quai d’Orsay, il s’inquiète aussi de défaillances, et non des moindres. Les Blanchisseuses de Degas, un tableau volé en 1973 au Musée du Havre, où il avait été déposé par le Musée d’Orsay, retrouvé en 2010 en vente publique, à New York, grâce à la sagacité d’un amateur, n’avait pas été signalé lors du récolement du musée parisien mené en 2006. Des surprises pourraient donc encore se produire. La CRDOA déplore également que le Musée national d’art moderne délivre des statistiques imprécises et parfois peu cohérentes, mais aussi que des institutions telles que l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, riche pourtant d’un important patrimoine d’œuvres d’art susceptibles d’avoir été déposées, échappent encore au champ du récolement.

Enfin, le rapport met en évidence le nombre élevé d’œuvres de musées encore présentes dans des administrations alors que, désormais, ces dépôts ne peuvent avoir lieu que vers un autre « musée de France ». À titre d’exemple, 117 pièces du Louvre sont encore dans les mains du seul ministère des Affaires étrangères…

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Le Sénat dans le Jardin du Luxembourg - 2011 - © photo Ludosane

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Récolement : les mauvaises pratiques perdurent

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