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Marfa et l’agenda Trump

Budget culturel, énergies fossiles et mur à la frontière mexicaine : la petite ville de Marfa est au cœur des principales controverses de la première année de mandat du président américain.

Marfa (Texas, États-Unis). Sur le perron gris clair de sa maison battue par les vents, Gabriela, la cinquantaine élégante et l’accent chicano, fronce les sourcils : « Je suis citoyenne américaine, c’est avec mes impôts qu’il veut construire cette aberration ! » Gabriela rentre voir sa famille mexicaine plusieurs fois par an, à 100 kilomètres au sud-ouest de sa maison. « Comme si le mur n’existait pas déjà ! Il suffit de voir le nombre de morts chaque année parmi ceux qui essaient de traverser. » Pour elle, le mur est « une insulte à tous les travailleurs méritants », à ceux qui font vivre cette région en passant quotidiennement la frontière.

Aujourd’hui, la petite ville de Marfa, à peine 2 000 habitants, est essentiellement connue pour le patrimoine artistique laissé ici par l’artiste Donald Judd (1928-1994), et la lignée d’artistes conceptuels venus lui rendre visite dans les années 1980 et 1990. Autour de cette présence artistique majeure, les fameuses Marfa Lights, le festival de cinéma, les tournages réguliers ont fait du village un lieu mythique, convainquant l’École supérieure des beaux-arts de Nantes et la Haute d’école d’art et de design à Genève d’y envoyer des étudiants chaque année depuis 2011 (lire le JdA no 465, 14 oct. 2016). Or, depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, Marfa se retrouve au cœur des annonces les plus controversées du président.

Car si la frontière est située à 80 kilomètres de la ville, le mur n’y est pas la seule préoccupation. Le blanc-seing donné aux producteurs d’énergies fossiles par le décret du 28 mars 2017 a envoyé un signal aux promoteurs du Trans-Pecos Pipeline, mis en service quelques jours plus tard pour alimenter le Mexique en gaz naturel. Après des années de lutte, les propriétaires terriens, agriculteurs et organisations de protection de l’environnement (le sublime Parc national Big Bend, à proximité, est l’emblème de la région) ont dû se résoudre à voir le pipeline traverser leurs terres. Et leurs inquiétudes sont redoublées, parce que le sous-sol de l’ouest du Texas regorge de gaz de schiste, dont l’extraction, encouragée par la posture productiviste du président, n’est pas sans risque environnemental.

Dans un état historiquement républicain, le comté de Presidio, dont le siège est Marfa, a voté à plus de 70 % pour les démocrates aux dernières élections. Il serait pourtant inexact d’imaginer une oasis intellectuelle coupée des réalités. À Marfa, la majorité de la population active est ouvrière ou agricole, le plus souvent d’origine latino-américaine. La défiance à l’encontre du président républicain tient plus à la relation traditionnelle du plus grand État américain au pouvoir fédéral qu’à des raisons partisanes. Ainsi Salvador, 60 ans, employé de la Compagnie des eaux du comté, « n’aime pas parler de politique fédérale, même s’il est vrai que Marfa, pour une ville texane, subit plutôt l’impact de ces décisions ». La plupart des terrains traversés sont souvent de grandes exploitations agricoles. Dans un pays très aride, où l’agriculture est difficile et coûteuse, l’impact environnemental des décisions de Trump prend une autre dimension. « Tout le monde sait qu’il doit une partie de son niveau de vie au pétrole ou au gaz, résume un élu. Mais tout le monde sait aussi l’impact des extractions sur le sol, désormais. »
 

L’importance du label « NEA »

Or, pour s’informer, le média dominant est encore la radio. Une radio que la suppression des fonds fédéraux à la culture, également souhaitée par Donald Trump, mettrait en danger. La programmation de Marfa Public Radio repose sur une équipe de journalistes produisant des programmes locaux, mais surtout sur une majorité de programmes nationaux, échangés sur une « bourse » aux émissions, la plupart d’entre elles subventionnées par Washington. « Notre zone d’émission couvre un cinquième de la superficie de la France », explique Elise Pepple, productrice et journaliste à Marfa. « Beaucoup de gens, dans des zones désertiques, n’ont pas accès à Internet. Marfa Public Radio est souvent la seule source d’information fiable. » Si le Sénat n’a pas validé a priori la suppression du National Endowment for the Arts (NEA, une agence culturelle fédérale), l’épée de Damoclès reste en suspens jusqu’au vote du budget 2018 par le Congrès. La station locale a déjà lancé des souscriptions, dans le but de combler le tiers de son budget qui pourrait être coupé.

Il en est de même pour les institutions culturelles de la ville comme Ballroom Marfa, centre d’art créé dans le sillage des Fondations Judd et Chinati, les deux musées d’art contemporain emblématiques qui exposent les œuvres de Donald Judd. Le discours est régulièrement repris à l’antenne et dans la presse locale : « La question est moins la part du budget fédéral dans nos ressources que le signal envoyé par la suppression du NEA. D’une part, un projet labellisé par le NEA a plus de chance de capter des fonds privés. D’autre part, supprimer le NEA revient à expliquer au citoyen que la culture n’est pas un levier de développement », explique Susan Sutton, directrice de Ballroom Marfa.

Entre flux migratoires, écologie et rôle de la culture dans le développement, une petite ville de 2 000 habitant dans l’ouest du Texas se trouve ainsi au cœur des questions exacerbées par les positions controversées de Donald Trump sur ces sujets. En envoyant ses étudiants découvrir Marfa depuis six ans, les Beaux-Arts de Nantes ont eu le nez creux, faisant de ce Far West rêvé une ouverture aiguë sur le contemporain.

 

Légende photo

La fondation Chinati à Marfa, Texas, Etats-Unis © Photo John Cummings - 2012 - Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°487 du 20 octobre 2017, avec le titre suivant : Marfa et l’agenda Trump

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