États-Unis - Environnement - Grands sites

PATRIMOINE NATUREL ET ARCHÉOLOGIQUE

Parcs nationaux, Biden déplume Trump

Par Barthélemy Glama, correspondant à New York · Le Journal des Arts

Le 12 janvier 2022 - 1208 mots

ÉTATS-UNIS

Joe Biden vient de renforcer la protection de plusieurs parcs nationaux du sud-ouest américain riches en vestiges archéologiques, revenant sur la décision de son prédécesseur de les ouvrir à l’exploitation minière et pétrolière.

Parc national de Bears Ears dans l'Utah aux États-Unis. © Bob Wick, Bureau of Land Management, 2016, CC BY 2.0
Parc national de Bears Ears dans l'Utah aux États-Unis.
Photo Bob Wick, Bureau of Land Management, 2016

États-Unis. Au cœur du désert de l’Utah, dans le sud-ouest des États-Unis, les canyons de roche rouge des parcs nationaux de Bears Ears et de Grand Staircase-Escalante cisaillent des paysages spectaculaires, dignes des westerns de John Ford. Ces sites, considérés comme sacrés par les tribus amérindiennes qui habitent la région, regorgent de fossiles et de trésors archéologiques. Ils abondent aussi en hydrocarbures et en minerais qui suscitent la convoitise des industriels et des dirigeants politiques de cet État très républicain.

En 2018, Donald Trump avait pris la décision de réduire la superficie des deux parcs pour permettre l’exploitation des gisements de gaz, de charbon et d’uranium qu’abritent leurs sous-sols : Bears Ears, créé en 2016 par Barack Obama avait alors perdu 85 % de sa superficie ; Grand Staircase-Escalante, créé en 1996 par Bill Clinton, avait lui été réduit de 45 %. Comme l’a révélé depuis le New York Times, les puissants lobbies des industries minière et pétrolière avait joué un rôle actif dans le tracé des nouveaux périmètres.

Dans un geste fort de symbolique, Joe Biden, qui achève en ce mois de janvier la première année de son mandat présidentiel et qui n’en finit plus de solder méthodiquement l’héritage des années Trump, est revenu sur la décision de son prédécesseur, rendant aux deux parcs leur superficie originelle. « La protection de ces sites décidée par le Président fait partie d’une série de mesures prises par ce gouvernement pour œuvrer à la sauvegarde des paysages les plus aimés d’Amérique, dont la plupart sont sacrés pour les nations autochtones », explique la Maison Blanche dans un communiqué daté du 8 octobre.

La mesure, applaudie par de nombreuses associations de défense de l’environnement, les représentants des tribus amérindiennes concernées et le World Monuments Fund, ONG de défense du patrimoine en péril qui œuvre à la protection de Bears Ears depuis 2017, a en revanche été accueillie froidement par les représentants de l’Utah au Congrès américain, tous républicains : ils dénoncent, dans un communiqué joint, un « coup dévastateur » porté à leurs efforts pour trouver une solution durable qui puisse résister aux alternances politiques.

« Le Président Biden a ignoré l’opinion de l’État de l’Utah et de ses dirigeants, et a étendu unilatéralement les limites des parcs nationaux de Bears Ears et de Grand Staircase-Escalante. Ces sites magnifiques méritent des protections de long terme adaptées. Malheureusement, le Président Biden a sapé cet objectif. Ses actions créent davantage d’incertitudes et prolongent les querelles politiques », explique Sean Reyes, procureur général de l’Utah, qui veut ouvrir une action judiciaire pour casser la décision présidentielle. Selon lui, « des opinions récemment exprimées par des membres de la Cour suprême indiquent fortement que le Président Biden a une lecture maximaliste de la loi sur les antiquités de 1906 », celle qui donne autorité au président pour consacrer comme parcs nationaux des terres fédérales présentant un intérêt culturel, historique ou scientifique particulier.

Le cas de Chaco Canyon

Pour Joe Biden, les parcs nationaux sont un sujet d’importance. La question mêle protection de l’environnement et défense des minorités, notamment amérindiennes, deux thèmes qu’il a érigés en « priorités » de son mandat. Le 15 novembre dernier, à l’occasion d’un sommet virtuel avec des représentants des nations autochtones, il a promis de « passer à l’action pour protéger » un autre site, celui de Chaco Canyon dans le Nouveau-Mexique. Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1987, celui-ci abrite les vestiges archéologiques les plus importants des États-Unis : des complexes d’habitations bâtis par les Indiens Pueblos entre le Xe et le XIIe siècle. Biden veut geler, pendant vingt ans, l’octroi de concessions fédérales pour le creusement de nouveaux puits de gaz et de pétrole dans un rayon de seize kilomètres autour des ruines.

« Aucun groupe d’Américains n’a créé ni ne s’est soucié davantage de préserver ce dont ils avaient hérité que les nations autochtones », a appuyé le Président en ouverture du sommet. En dépit de l’opposition des leaders tribaux et de militants écologistes, Donald Trump avait approuvé un plan qui aurait permis la construction de 2 300 puits dans la zone ; c’est ce plan qu’enterre aujourd’hui Biden, emportant l’ire des industriels et des représentants républicains de l’État : « Il ne semble pas y avoir de logique scientifique ou environnementale derrière ce rayon de seize kilomètres », oppose Robert McEntyre, porte-parole d’un lobby pétrolier du Nouveau-Mexique qui dénonce une décision « arbitraire ».

« Chaco Canyon est un endroit sacré, empreint d’une signification toute particulière pour les peuples autochtones dont les ancêtres ont vécu, travaillé et se sont épanouis dans ces communautés », défend la secrétaire à l’Intérieur Deb Haaland, première Amérindienne à occuper cette fonction. Toutefois, malgré la multiplication des gestes en direction des nations autochtones, certains « Native Americans » se montrent encore sceptiques : « Il y a eu beaucoup d’annonces prometteuses mais pas beaucoup de résultats tangibles jusqu’ici », commente Heather Tanana, professeure de droit à l’Université d’Utah et membre de la tribu Navajo. « Sur le papier, tout cela paraît très bien. Mais on exploite pétrole et gaz à Chaco depuis les années 1950, beaucoup de mal a déjà été causé. Que fera-t-on pour le réparer ?»

« Protéger les vestiges à risque »

Trois questions à Bénédicte de Montlaur, directrice du World Monuments Fund

Comment accueillez-vous la décision de Joe Biden de protéger à nouveau le site de Bears Ears ?
Bears Ears est un vaste site naturel et culturel qui compte des milliers d’anciennes habitations troglodytes, de vestiges, de pétroglyphes et d’artefacts liés aux premières civilisations autochtones Pueblos et encore aujourd’hui considérés comme sacrés par de nombreuses tribus amérindiennes dans la région. Nous applaudissons cette décision. En 2016, les limites du parc avaient été établies en étroite relation avec une coalition intertribale historique. C’est dans ce sens qu’il faut encore œuvrer aujourd’hui : celui d’une collaboration entre acteurs publics et représentants des nations autochtones.

Quelle est la nature du travail du World Monuments Fund à Bears Ears ?
En 2020, nous avions ajouté Bears Ears à notre « World Monuments Watch » pour attirer l’attention sur les menaces qui pesaient sur le site et l’exclusion des communautés autochtones de la prise de décision. Sur place, nous avons depuis établi un partenariat avec une ONG locale, Friends of Cedar Mesa, pour protéger les vestiges les plus à risque. Nous avons notamment œuvré à la stabilisation des structures de maçonnerie historiques, à la pose de clôtures et à l’amélioration des outils de médiation pour favoriser des visites responsables.

Quel rôle jouent aujourd’hui les questions sociales et environnementales dans la protection du patrimoine ?
Il y a une prise de conscience de plus en plus importante, à travers le monde, que le patrimoine culturel et naturel doit être envisagé comme un ensemble, afin de mettre en place des stratégies de sauvegarde d’un site qui préserve en même temps la flore et la faune qui l’environne ou le compose. Dans le même temps, on prend aussi de plus en plus la mesure du rôle que le patrimoine peut jouer dans les grands débats de société, sur la justice sociale et environnementale, en faisant entendre des voix et des récits divers. C’est dans cet esprit que nous voulons agir aujourd’hui.


Barthélemy Glama, correspondant à New York

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : Parcs nationaux, Biden déplume Trump

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