Hongkong - Société

Les promesses de Hongkong

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 4 juin 2014 - 1002 mots

HONG KONG / CHINE

Alors que le marché de l’art y croît rapidement et que les initiatives culturelles s’y multiplient, la ville la plus riche de Chine représente-t-elle un nouvel eldorado ?

La veille de l’inaugura-tion d’Art Basel Hong Kong, Adrian Cheng, 33 ans, entrepreneur milliardaire héritier de l’une des toutes premières fortunes de la ville et grand amateur d’art, dévoilait dans un espace temporaire, au nom de sa Fondation, une exposition du peintre Zhang Enli. Avec la force de frappe dont il dispose, le jeune homme fait partie des collectionneurs locaux dont l’action est particulièrement scrutée et la compagnie courtisée, à l’instar de Monique Burger, très active au travers de divers types d’initiatives, ou de William Lim qui développe lui aussi une solide collection. Architecte de formation s’étant notamment lancé dans une entreprise de restauration, le jeune collectionneur Andy Lo relève que « la situation aujourd’hui est fascinante. Il s’est passé beaucoup de choses en très peu de temps et un grand nombre de jeunes collectionneurs ont commencé à développer des collections sérieuses ». Mais si Hongkong, cité iconique, carrefour international et financier où circulent de colossales sommes d’argent, semble parée d’une aura de glamour et d’opulence, le marché de l’art y fonctionne peut-être moins aisément que ce qu’un regard superficiel pourrait laisser imaginer.

Une éducation à faire
Les choses pourtant évoluent vite. En quelques années, depuis 2008 et le lancement de la foire Art HK, qui, selon le conseiller artistique Jehan Chu, « a constitué une alternative, une plateforme pas seulement dévolue aux ventes mais aussi à l’éducation du public », le marché de l’art a connu une accélération. Les regards, qui jusque-là étaient essentiellement tournés vers les ventes aux enchères et leurs résultats mirobolants [lire p. 35], se sont peu à peu déplacés vers une scène artistique en mouvement constant.« Le nombre d’expositions et d’événements a considérablement augmenté ici ; la scène devient plus importante et plus originale, même si elle demeure inégale », souligne Cosmin Costinas, le directeur de l’excellent centre d’art Para Site. Cette scène voit des galeries toujours plus nombreuses s’installer tandis que les pouvoirs publics ont pris conscience à la fois de l’impact de la culture sur l’image d’une ville et de la nécessité d’une éducation à l’art. Ils ont décidé d’investir massivement, en particulier dans le West Kowloon Cultural District et ce qui devrait en être le projet phare, le « musée M », dont l’ouverture est programmée en 2017. D’autres projets sont en gestation, ainsi, en plein centre-ville, du commissariat de police central, ancienne caserne que les autorités souhaitent reconvertir en lieu culturel, sans toutefois que les contours et le profil des intervenants ne soient encore précisément définis. Si Para Site et la Fondation K11 sont sur les rangs pour y obtenir des espaces d’exposition, on évoque aussi des expériences culinaires.

Ces failles dans l’éducation artistique, qui au rythme où vont les choses en Asie pourraient être résorbées en une génération, créent un marché de l’art encore immature et teinté d’approximations et de lacunes. Ainsi que le résume la galeriste Pearl Lam, « c’est un marché qui apprend : les musées n’y ont pas encore de voix ; l’art conceptuel n’y est pas compris ; un art contemporain coupé du passé et de ses traditions historiques est encore impossible ici ; et les maisons de ventes qui se sont installées il y a plus de trente ans, avant les galeries, entretiennent encore des phénomènes spéculatifs ». Et d’enfoncer le clou en affirmant que « les résultats des ventes sont bien trop élevés. Toutefois, si 99 % des acheteurs chinois sont des spéculateurs, ceux de Hongkong le sont beaucoup moins. »

Des réflexes de marque
À travers la question du goût perce celles de l’ouverture à l’originalité de la création et du soutien aux jeunes artistes se démarquant d’une certaine forme de suivisme. « Le marché est en évolution mais il est encore trop focalisé sur les grands noms et ne porte pas assez d’attention aux artistes émergents, même si cela s’améliore », pointe Anthony Tao, directeur de la galerie Exit. Un avis partagé par son confrère Édouard Malingue, selon lequel « l’accès à l’art tient ici pour beaucoup d’un statut social ». « On n’est pas encore dans la sophistication du goût et il est plus facile de vendre un artiste déjà consacré à l’Ouest qu’un jeune pas cher qui monte. Nous sommes encore confrontés à des réflexes de marques et rencontrons peu de collectionneurs qui cherchent une œuvre pour compléter leur collection. »

Si l’idée reçue d’un imposant et opulent marché est donc battue en brèche par la réalité, Hongkong bénéficie toutefois d’une localisation stratégique et d’un statut de carrefour d’affaires. Ce qui en fait un lieu de passage incontournable et fait dire à Claudia Albertini, directrice de l’antenne hongkongaise de la galerie Platform China : « Je n’ai pas énormément d’attentes pour Hongkong en tant que lieu mais en tant que pont. » Un pont, la cité en est un effectivement, qui, outre de nombreux Occidentaux, attire des collectionneurs asiatiques. « Cette ville est un point de contact, confirme Édouard Malingue, mais j’ai beaucoup plus de collectionneurs en Corée ou en Indonésie qu’à Hongkong qui est un petit marché et qui nécessite de beaucoup voyager dans la région, en Chine, en Malaisie ou à Taïwan si l’on veut y survivre. Mais en même temps, c’est ici que les foires marchent le mieux, que l’on rencontre le plus de gens et que les affaires sont le plus enthousiasmantes. » Le galeriste voit là un formidable potentiel d’évolution : « C’est un marché à peine né et déjà en plein développement, le nombre de fortunes qui se créent est phénoménal et le potentiel est exponentiel à long terme. » Une opinion partagée par Pearl Lam : « C’est un processus de longue haleine que de construire les bases des collectionneurs, mais il y a beaucoup de perspectives pour le futur. »
Le marché de l’art à Hongkong n’est pas encore un eldorado, mais il pourrait le devenir.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Les promesses de Hongkong

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