Les metteurs en scène de la rue

L’affiche des années 30

Le Journal des Arts

Le 1 février 1997 - 923 mots

Au temps de Toulouse-Lautrec, les peintres peignaient des affiches. Dans les années trente, créer une affiche est devenu un métier. Metteur en scène de la rue, messager des marques, l’affichiste, pour rendre la publicité plus parlante, puise dans l’esthétique des peintres et des photographes, joue avec les lettres, pour caractériser les produits. Radio et cinéma de l’entracte vont devenir temps et espace acheté à prix d’or pour mieux conditionner le client potentiel.

Celui que Blaise Cendrars désigne comme « le metteur en scène de la rue » a un nom qui devrait faire réfléchir : il s’appelle Cassandre, pseudonyme d’Adolphe Jean-Marie Mouron, peintre, décorateur de théâtre et typographe, créateur de caractères d’imprimerie pour Peignot et pour Olivetti, affichiste enfin, et qui définit très clairement ce que doit être une affiche : « La peinture est un but en soi, l’affiche n’est qu’un moyen de communication entre le commerçant et le public ». (1)

Il considère le Cubisme « comme le fait capital de ces vingt dernières années », en subit l’influence dans sa méthode qui est « essentiellement géométrique et monumentale... mais pourtant plutôt architecturale ». Il est marqué sans doute aussi par les théories des futuristes qui se sont servis des techniques publicitaires pour promouvoir leur esthétique. La publicité participe du hasard objectif. Lancer des mots en liberté suppose qu’à la provocation verbale on associe la provocation graphique.
La lettre, pour ce typographe, est essentielle. « C’est autour du texte que doit tourner le dessin. » Dada et les surréalistes y ont joué avant lui, après les Calligrammes d’Apollinaire et les lettres au pochoir dans les natures mortes ou les papiers collés de Braque et de Picasso. Le livreur de bouteilles Nicolas surgit dans un feu d’artifice zébré cinétique. La silhouette du Normandie fonce sur le passant comme une pyramide flottante. Sur le mur d’en face, montagnes, lac, un peu de vert entre vieux manoir et arbre foudroyé… Écosse.

Il suffit d’un mot pour inviter au voyage. Le gros plan de cinéma ayant fait ses preuves, pour la Miniwatt Philips ou les cigarettes Celtiques, Cassandre se contente de représenter l’objet démesurément agrandi. Gulliver et les bons géants ont toujours eu la meilleure place dans notre inconscient. Une façon de passer au superlatif sans le dire. Sur les murs, Paul Colin aligne ses vedettes : Joséphine Baker, Wiener et Doucet dans une symétrie de pianos très savante ; Damia, aux bras si longs, chanteuse réaliste ; le clown Grock enfin, frottant son archet sur un disque.

La publicité coup de poing
Charles Loupot a commencé dans le maniérisme avec des affiches sur la mode. Depuis qu’il lance des automobilistes à pleine vitesse sur le spectateur, il faut qu’il stylise. « L’œil est paresseux, il faut le surprendre par un graphisme simple et parfait ». Dans un style cubiste, à coups de hache, il crée ses bonshommes : celui de Valentine et celui des Galeries Barbès. Loupot travaille pour Les Belles Affiches, l’agence des frères Damour qui, comme bien d’autres, favorisent les rencontres des graphistes et des poètes : on y voit Prévert, Anouilh, des surréalistes, des peintres, des photographes, des cinéastes. C’est que, de plus en plus, cette publicité devient une science qui fait appel à toutes les techniques des arts appliqués. Le photomontage, que Rodchenko avait utilisé pour faire écho aux textes de Maïakovski, que le Bauhaus enseignait avec les travaux de Lászlo Moholy-Nagy, s’impose à Cassandre qui l’utilise pour Pernod ou pour « Wagon Bar », tout comme Carlu pour Le Désarmement des Nations inaugurant la série qu’il conçoit dans son Agence de propagande graphique pour la paix. Le grand ancêtre de l’affiche moderne, celui dont les femmes à la cigarette ont imposé le Cachou Lajaunie, qui a fait cracher le feu au Pierrot du Coton thermogène, et qui vient, en 1931, d’un énorme coup de tête de bovidé, d’imposer Bouillon Kub, c’est Leonetto Cappiello. Bible et prophète de tous les publicitaires, ses œuvres égaient nos murs depuis 1900. La publicité coup de poing, c’est lui : il nous arrête d’une main pour, de l’autre, mettre le doigt sur une bouteille. C’est par un choc visuel instantané qu’il faut individualiser une marque en la caractérisant par un archétype très explicite.

Le slogan et ses échos
Le principe est le même pour l’activité mentale déclenchée par l’impression auditive. Chansons de nourrice et proverbes nous ont préparés à accepter tous les slogans : « Les petites Visseaux font les grandes lumières ! » Prévert est passé par là. Les slogans fleurissent sur les affiches, mais ils s’imposent encore mieux par la voie des ondes. Bleustein-Blanchet a acheté un poste fantôme, « Radio L L ». Il le rebaptise « Radio-Cité » et ouvre les portes de son studio à l’homme de la rue qui s’y précipite pour assister au « Radio-Crochet ». Narcisse est au micro, les furies dans la salle. Entre chaque crochet, un slogan, une marque, un message, dans un silence religieux nappé d’un caramel de musique. À la sortie, le même slogan resurgira, au coin de la rue sur une affiche, ou sur un petit pavé dans un journal. La publicité apporte son bonheur au futur Français moyen en lui faisant oublier les crises. Et s’il entre au cinéma, à l’entracte, un film de publicité – dans lequel Max Ernst commande le peloton d’exécution – lui montrera qu’on ne peut pas tirer sur un bonhomme en bois signé « Les Galeries Barbès ». La publicité est entrée dans l’ordre des choses.

1. Cité par Alain Weil dans L’Affiche dans le Monde, Somogy.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Les metteurs en scène de la rue

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